Véronique Grisseaux est une plume bien connue des BDphiles. Depuis quelques années, elle est devenue l'une des meilleures adaptatrices de romans en BD. Dernière livraison particulièrement réussie, Dieu n'habite pas la Havane (Michel Lafon) d'après le roman éponyme de Yasmina Khadra, avec au crayon Arnaud Floc'h. Rencontre avec une auteure qui aime raconter des histoires, mais ne se la raconte pas.
Par une journée d'hiver parisien qui a posé un grand manteau de neige sur toute la ville, nous allons à la rencontre de Véronique Grisseaux pour lui poser quelques questions sur sa dernière livraison : Dieu n'habite pas la Havane (Michel Lafon), adapté en BD du roman éponyme de Yasmina Khadra avec au dessin Arnaud Floc'h. Véronique Grisseaux est la bonne copine que tout le monde rêverait d'avoir. Elle est drôle, pleine d'esprit et tellement sympathique. Même si elle jouit d'une véritable reconnaissance professionnelle plus que méritée, elle est restée simple et aime partager son enthousiasme. Pour résumer, elle aime raconter des histoires, mais ne se la raconte pas.
-Véronique Grisseaux : Le cœur de mon travail, c'est la narration. J'aime les histoires, j'aime les mots et j'aime le rythme. Alors qu'il s'agisse d'un roman, d'une BD ou d'un scénario pour la télévision, c'est chaque fois un exercice de style, avec en point commun : la construction narrative. Pour adapter des livres en BD ou écrire directement pour la BD, mon expérience de scénariste m'est très utile, car elle m'a appris à écrire en pensant au déroulement des images.
-V.G. : Oui, en tout cas, c'est comme cela que je travaille. Le texte est vraiment le squelette du livre. En BD, sans texte bien construit, pas de dessin bien pensé. Et puis, il est important d'obtenir l'aval de l'écrivain, de ne pas trahir son récit. J'étais un peu intimidée de me confronter à un écrivain de la stature de Yasmina Khadra. Mais justement, quand un livre est puissant et bien écrit, il est encore plus simple de l'adapter car la matière est là.
-V.G. : On s'est rencontré. Il est essentiel d’instaurer une confiance mutuelle dès le début. Puis, j'ai lu le roman deux ou trois fois de manière «chirurgicale» et souligné les éléments qui me semblaient importants avant de commencer le découpage. Ensuite, j'ai proposé un premier jet. On a continué de travailler par échanges successifs. Le challenge est d'arriver à créer 120 pages à partir d'un texte de 312 pages sans perdre le fil du récit. Cette discussion en amont permet de décider ce qu’il faut conserver ou non. J'aime bien rajouter des petites introductions qui permettent d'esquisser les transitions et donner les informations qui vont disparaître ensuite.
-V.G. : Une fois le socle du roman défini avec l'accord de l'auteur, je l'ai découpé en scènes. Quand j’adapte un texte, je n’invente pas un mot. Tout vient du roman original. Mon travail, c’est simplement de sélectionner, de trouver le relief. A ce stade seulement est intervenu mon travail avec Arnaud Floc'h. Je lui ai tout décrit, c’est-à-dire les personnages, les plans, les angles de vue… Je travaille comme pour un story board de film. Je suis même allée jusqu'à mettre des photos «d'inspiration» pour les personnages ou les décors. On a choisi une gamme chromatique un peu «vintage" en accord avec La Havane. Tout a été pensé visuellement pour créer un univers cohérent.
-V.G. : Avec Dieu n'habite pas la Havane, Yasmina Khadra nous transporte à Cuba du temps de Fidel Castro. L'histoire est une réflexion sur le vieillissement et la passion amoureuse. Le héros Juan del Monte a la soixantaine. Il est un chanteur de rumba qui est en train de passer de mode. Il perd son travail lorsque son night-club est vendu à une riche étrangère. Sa vie qui lui échappe. Il croise sur sa route Meyensi, une jeune fille «rousse et belle comme une flamme», dont il tombe éperdument amoureux. Mais un mystère entoure cette beauté fascinante. Voilà la trame. Elle est déjà très visuelle. Car, on imagine les lieux, les décors, les visages. On entend la musique et le son des désillusions, la séduction et l'appétit de vivre. Le livre de Yasmina Khadra respire cette odeur de vie par dessus-tout et l'abandon à son destin. J'ai évidemment «mordu» à l'hameçon. Qui ne le serait pas ? C'est l'ensemble du livre qui m'a séduite. L'atmosphère, les personnages, les émotions...
-V.G : Il a eu l'occasion de valider chaque étape, y compris visuelle. Donc, il n'y a pas eu de surprise. Je crois qu'il aime beaucoup ce que nous avons fait. Il faut dire que les dessins d'Arnaud Floc'h ont une présence très forte. Certains sont comme des tableaux. Ils permettent au texte de trouver une autre dimension.Voir le livre en BD c'est un peu comme le voir au cinéma, c'est une autre écriture. Cela doit être passionnant pour un auteur de se découvrir dans un nouveau miroir. Yasmina Khadra s'est retrouvé devant ce miroir et a aimé ce qu'il y a vu. Une danse de séduction et de résistance au temps qui passe.
>Véronique Grisseaux-Arnaud Floc'h d'après Yasmina Khadra, Dieu n'habite pas la Havane, Michel Lafon, 120 pages, 20 euros
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