1. La nuit du 16 juin 2018, à Oran.
Le vois-tu ?
Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette, ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer. Dans la lumière, j’apparais...
Le 17 juin, au petit matin.
J’ouvre la fenêtre, car l’air manque comme dans une tombe. Tu les entends ? Je les ai vus avant-hier au retour de mon salon de coiffure. Dans trois jours, ils seront tous morts. Les premiers gisent déjà là, entravés par deux dans les marchés de la périphérie d’Oran. Attachés par les cornes et accolés dans un combat perdu. La nuit, ils accordent mieux leurs voix, ils bêlent sans s’arrêter. On dirait qu’ils supplient, qu’ils cherchent une réponse. Si tu allais te promener dans les marchés à bestiaux des nouveaux...