Pascal Vandenberghe a créé de véritables lieux de vie plébiscités par les lecteurs avec son réseau de librairies Payot en Suisse romande. Dans Le Funambule du livre, complété par La Librairie est un sport de combat (L'Aire), il se confie sur son difficile exercice. Le philosophe François de Bernard qui a lu son livre rend hommage à ce «coureur de fond de la librairie du XXI° siècle».
>Lire aussi l'interview de Vera Michalski
Et si l’avenir du « livre papier » — tel que nous aimons à le humer de loin, puis de près, à le soupeser, à le feuilleter délicatement et caresser avec bonheur, comme l’objet le plus précieux —, si l’avenir de la librairie indépendante de proximité (du grand capital d’origine numérique ou industrielle), si cet avenir pouvait s’évaluer à l’aune des enseignements de l’expérience menée avec constance et succès depuis deux décennies par Pascal Vandenberghe, son équipe et son réseau de librairies Payot en Suisse romande, particulièrement depuis son rachat en 2014 ? Le Funambule du livre1, nourri de ses entretiens avec Christophe Gallaz, complété par l’essai provocant intitulé La Librairie est un sport de combat, procurera peut-être aux sceptiques, désabusés, persuadés que la librairie traditionnelle est à l’agonie, plus que des raisons d’espérer : la conviction que le livre objet et la librairie physique resteront contre vents et marées des pivots essentiels de la vie morale, sociale, intellectuelle et politique d’une Cité envahie par le tout-numérique !
Montaigne parlait avec affection et même ravissement de sa « librairie »2, mot délicieux auquel nous avons substitué le plus sévère et clinique « bibliothèque ». Il voyait déjà dans la librairie le plus beau lieu du monde, celui de tous les possibles et de tous les imprévus : de toutes ces rencontres qui a priori ne devaient pas se faire, mais se concrétisent par la grâce d’un livre que nous ne recherchions pas et dont nous n’avions pas la première idée du contenu ni des horizons vers lesquels il nous projetterait — tels les Voyages de Gulliver... Pascal Vandenberghe a fait sien ce théorème, mais il est allé plus loin encore. Car, d’un côté, il est bien comme Montaigne un lecteur compulsif et passionné, vivant au milieu d'une cathédrale de livres et s’efforçant de rendre compte par des chroniques de ceux qui l’ont particulièrement touché, comme dans Cannibale lecteur (Favre, 2019), toutes menées avec la volonté de se tenir contre le courant et d’ignorer la doxa et les goûts dominants. Mais, d’un autre côté, avec une formation initiale d’ajusteur-mécanicien, puis longuement préparé et affûté par ses parcours antérieurs dans les différents métiers cloisonnés du livre, il a relevé le défi le moins évident de cette industrie supposée « déclinante » : reprendre avec l’aide de Vera Michalski le réseau suisse de librairies Payot (né en 1918), et lui insuffler une grande transformation, respectant toutefois les caractéristiques de son histoire singulière et de son biotope : « Payot était sauvé, et avec lui le fragile écosystème du livre en Suisse romande », et en en faisant une « entreprise éthique », avec l’assentiment massif du personnel. Des architectures intérieures attrayantes ; un accroissement de l’offre de services de magasins animés par de vrais conseillers ; un « élargissement » signifiant (avec l’inclusion en leur sein même du réseau Nature & Découvertes, par ex.). ( >Lire aussi l'interview de Vera Michalski)
Des architectures intérieures attrayantes ; un accroissement de l’offre de services au sein de magasins animés par de vrais conseillers ; des partenariats signifiants (l’inclusion des espaces Nature et découvertes, par ex.) ; une lutte sans répit pour le prix unique du livre et la non-discrimination des lieux de vente en temps de pandémie ; une confrontation directe avec l’intouchable géant de la distribution Migros (bailleur de deux librairies Payot qui s’est permis de vendre des livres dans ses supermarchés au moment où les Payot en étaient empêchées par mesure anti-Covid…) ; de nouvelles implantations à Nyon en 2004, Yverdon-les-Bains en 2005, Morges en 2018, Sierre en 2020 : voilà autant de challenges relevés avec panache année après année3.
Leur enjeu commun : concevoir et rebâtir la librairie contemporaine comme un lieu de vie, de séjour, de découverte, de rencontre, de lecture sur le vif et de partage sans équivalent. Les défis posés par les poids lourds tels qu’Amazon (ce serial killer de la librairie indépendante : « Amazon est à la bibliodiversité ce que Monsanto est à la biodiversité ») et par l’importance croissante de l’impression numérique à la demande, Pascal Vandenberghe les affronte avec une approche économique réaliste. C’est ainsi qu’il préconise la mise en place en ce domaine d’un outil commun aux libraires permettant de répliquer à l’hégémonie amazonienne, en même temps qu’il répond en partie à la quadrature du cercle du métier de libraire : la lourdeur financière structurelle excessive de la gestion des stocks.
Le livre biface de Pascal Vandenberghe (entretien sans concession doublé d’un roboratif essai de combat) surgit aussi et surtout en un moment critique où tout paraissait (presque) perdu pour le livre, considéré des deux côtés du Léman comme « un bien » pas ou plus forcément « essentiel » — sujet sur lequel il a fallu résolument se battre contre des autorités aveuglées par le prisme sanitaire. Contrairement au scénario princeps, qui anticipait un écroulement des ventes, les commandes de livres physiques ont en fait explosé, et le livre numérique n’a nullement effacé son précurseur : « Si chaque livre imprimé est un “objet”, sa version numérique n’est qu’un “avatar virtuel” banalisé, standardisé, aseptisé. Comme l’était d’ailleurs le CD ou le vinyle de musique enregistrée. Contrairement à une idée reçue, le livre numérique est donc une version dégradée du livre imprimé ». La pandémie aura peut-être même été une chance pour la « vraie librairie » et le livre papier : comme la possibilité de retrouver enfin le livre dans un « temps retrouvé » lui-même et paradoxal — celui où « les contenus » pré-mâchés à la Netflix se dévalorisent en moins d’une soirée.
Soyons donc reconnaissants à notre « funambule du livre » d’avoir consenti à partager avec tous ceux qui se soucient de son avenir : une leçon ni magistrale ni abstraite, mais menée de manière expérimentale et réussie au long cours.
1 Le Funambule du Livre, 256 p., Editions de l’Aire (Suisse), février 2021, 24€.
2 « Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie, d’où tout d’une main je commande à mon ménage (…) Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voici. » in Essais, III, 2
3 On soulignera ainsi l’ouverture en 2015 d’un nouvel immense espace aussi convivial que joyeux au cœur de la Cité financière de Genève : Payot Genève Rive Gauche, rue de la Confédération, 7 — et agrandi contre toute attente dès 2018 !
François de Bernard est philosophe et essayiste. Derniers essais parus : L’Homme post-numérique et Pour en finir avec « la civilisation » (Ed. Yves Michel).
La première librairie Payot fut ouverte en 1875 à Lausanne. Douze enseignes existent aujourd'hui en Suisse romande – Lausanne, Genève, Fribourg, La Chaux-de-Fonds, Montreux, Morges, Neuchâtel, Nyon, Sion, Vevey et Yverdon-les-Bains -, avec près de 200 libraires expérimentés. Payot édite le magazine Aimer Lire, ainsi qu' un site Internet, www.payot.ch. De nombreux événements sont organisés au sein des librairies du réseau Payot.
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