Gaëlle Josse sait pénétrer les tourments des âmes et les tisser aux fils du réel. On se souvient de son magnifique Femme en contre-jour qui revenait sur l'étrange destin de la photographe Vivian Maier. Dans Ce matin-là, la romancière se penche sur le burn-out de Clara, une femme «presque» sans histoire. De cette vie en lambeaux va se dessiner le chemin d'une lente reconstruction. Un très beau récit qui renvoie à toutes les fêlures contenues dans le système social contemporain et au sens d'une vie au plus juste de soi-même.
«À ceux qui tombent». Gaëlle Josse dédie son livre Ce matin-là à tous ceux qui connaîtront un jour une implosion personnelle. Défragmentation, burn-out, dépression... ces maux dévastateurs qui résonnent dans le monde moderne, avec les abîmés de la performance et les laissés pour compte de la toute-puissance. Ce matin-là n'est pourtant pas un livre sombre. Ecrit avec finesse et sobriété, il nous invite à entrer en empathie avec une héroïne, pour qui soudain tout s'arrête et qui va petit à petit retrouver le mouvement de la vie. De sa vie.
Gaëlle Josse, qui est venue au monde de l'écriture par la poésie, sait pénétrer dans l'intimité des âmes. Elle cherche toujours à révéler ce que l'humain a de singulier. Dans Une femme en contre-jour ou Dans une longue impatience, elle donnait vie à des personnages féminins forts, photographe entrée dans la légende de manière posthume ou mère qui attend son fils disparu. Dans Ce matin-là, Gaëlle Josse choisit en Clara, une héroïne plus banale en apparence, qui, un jour, va plonger dans son vide intérieur, en suspension, en sidération. Clara semblait parfaitement en phase avec la société, plutôt plus performante que les autres, avec son travail de «marchande d'argent», vaillant petit soldat toujours prêt à agir «comme il faut». Certes sa cheffe lui assénait quelques petites phrases assassines. Certes, l'exigence augmentait petit en petit. Toujours plus, jamais assez. Mais quand même, elle avait «tout pour être heureuse».
Pourtant, ce fameux matin, Clara ne va pas pouvoir se lever. On comprend petit à petit l'enchaînement des meurtrissures, la volonté de trop bien faire, ce léger flottement que Clara refuse d'écouter, jusqu'à son anéantissement. On réalise que le travail l'a pulvérisée par sa pression grandissante et son harcèlement presqu'ordinaire. On découvre le visage d'une mère finalement peu aimante, celui d'un père à ne jamais décevoir. Tiens justement, ce père qui a fait un AVC, première cassure dans le socle apparemment solide de cet arrière-plan familial. On découvre des amis comme des personnages de décor, dont la scène s'éloigne de plus en plus. Jusqu'à la chute, radicale, sans appel, à laquelle aucun «Remue-toi» ou «Arrête de t'écouter» ne peut répondre.
Gaëlle Josse écrit avec cette manière d'effleurer l'intime sans jamais le dévoiler; elle pose un regard qui révèle sans jamais nommer. Ici, rien de spectaculaire. A part cette soudaine absence. Cela n'arrive pas qu'aux autres. Pourtant, Clara n'a pas vécu de grands traumatismes dans sa vie. Elle a suivi un mouvement sans jamais vraiment exister par et pour elle-même. Désormais, elle fait couple avec son canapé et compte ses meilleurs amis parmi les héros des séries télévisées. Comment Clara va-t-elle se «désensabler» ? Comment va-t-elle laisser son cœur palpiter de nouveau et accueillir sa reconstruction?
Comme dans un miroir, le lecteur se sent lui-aussi entraîné dans les interrogations de Clara. Qui osera accomplir sa partition personnelle en se libérant des injonctions de son entourage ? Toutefois le récit de Gaëlle Josse n'est pas un manuel thérapeutique. Il ne contient pas de leçons pour sortir d'un burn-out. Il est avant tout sensible. Il parle aux émotions. Il ouvre les voies de l'esprit, montre un chemin, qui sera lent et progressif. A partir d'un destin individuel, le récit atteint une dimension tristement universelle. La dépression est l'une des maladies les plus répandues dans le monde occidental. L'autre visage de la société de consommation. Ici, ce sont les personnes qui deviennent des produits consommables. A jeter après usage ?
La renaissance de Clara interroge sur le sens de la vie. Sa traversée obscure renvoie à la lumière d'une rédemption personnelle. Qui ouvre le champ à une autre voie. Peut-être aidera-t-elle quelques lecteurs à écouter leur petite voix intérieure sans attendre leur éventuel effondrement ? Est-il jamais trop tard pour se poser la question de son désir ?
> Gaëlle Josse, Ce matin-là, Editions Noir sur blanc, Collection Notabilia, 224 pages, 17 euros
Gaëlle Josse parle de son livre.
>Réalisation Mollat
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