Si la question du genre passe par une remise en cause des représentations des identités sexuelles et de leurs rôles sociaux respectifs, la littérature américaine, principalement la littérature queer a construit les racines d'une nouvelle manière de nommer et de regarder. Zoom sur une des autrices les plus emblématiques de cette révolution, Alison Bechdel avec ses livres graphiques Fun Home et C'est toi ma maman? Soline Launay qui travaille sur les spécificités de la littérature queer nous en explique les ressorts.
Légende photo : Fun Home, le livre culte d'Alison Bechdel (couverture et 2 planches intérieures)
Le mois de juin, traditionnellement « mois des fiertés » (le Pride Month institutionnalisé Outre-Atlantique) vient de se terminer. Quel bilan après plusieurs années de manifestations et prises de parole diverses ? Qu'en est-il aujourd'hui de la question du genre et de l'identité sexuelle ? La littérature américaine a posé la matrice d'une réflexion en remettant en perspective la question de la représentation. En tête de cette révolution, la littérature queer qui est une source essentielle pour déconstruire les schémas préexistants.
Dans le genre de la fiction, celle-ci a été de plus en plus prolifique au cours du XXe siècle, d’autant plus grâce à la révolution sexuelle des années 1960. Pour l’autrice américaine Alison Bechdel, c’est au travers de l’écriture et de l’illustration de son autobiographie que ce thème se révèle. Les différents genres, autobiographie et bande dessinée, lui ont permis de transmettre la complexité des identités qui ont pénétré sa famille, son enfance, et sa propre construction. Dans Fun Home, oeuvre qui a fait sa renommée, on plonge donc à la fois dans l’univers du roman graphique et celui de la littérature queer.
De son titre complet, Fun Home : Une tragicomédie familiale, c’est d’abord une autobiographie d’Alison Bechdel. Littérature queer, non seulement par son sujet mais aussi par la manière dont celui-ci est raconté (queer en anglais signifie aussi étrange et inhabituel). En effet, le récit n’est pas linéaire. Il s’ouvre bien sur l’enfance de l’autrice mais rapidement, le thème de la mort du père, central, s’impose et c’est une suite d’analepses qui permet à Bechdel d’expliquer au lecteur, et de s’expliquer à elle-même, quels évènements de leurs vies entrelacées sont liés à cette mort.
L’autrice exploite pleinement toutes les subtilités du genre. L’esthétisme singulier du roman graphique, en noir et blanc, est propice à une efficacité narrative qui met l’accent sur les nombreux détails du dessin, reflets des souvenirs de toute une vie. Mais l’intérêt du format se trouve surtout dans l’entrecroisement du texte et de l’image. Ainsi, les références littéraires font partie intégrante de la narration. Bechdel évoque même que « c’est en termes de fiction que [ses parents] lui apparaissent les plus réels ». Et en effet la littérature et la fiction s’accordent, de façon presque dérangeante par moment, à la vie de la famille Bechdel. Si c’est Far Side, la biographie de F. Scott Fitzgerald, affectionnée par le père Bruce, qui construit le fil directeur de sa propre vie, les pièces de théâtres (La mégère apprivoisée) jouées par la mère d’Allison prédisent le chaos de son mariage et c’est aussi dans les livres que la jeune femme découvre son homosexualité.
Légende photo : Alison Bechdel (photo Wikipedia)
L’autobiographie de Bechdel, c’est aussi l’histoire intime d’un foyer où les non-dits pèsent et éclatent et d’une famille dont les membres sont à la fois isolés les uns des autres et inévitablement marqués par le mal-être du couple Bechdel. Car Fun Home, comme C’est toi ma maman ? publié en 2012 qui sera un hommage à la mère, est dédié à la figure du père, vieil artisan, mari idéal, anti-héros, comme il sera successivement désigné dans les titres des chapitres. Si c’est un personnage aussi marquant dans la vie d’Alison, c’est parce que leurs destins semblent croisés : toute sa vie, il cache et refoule une homosexualité qu’elle affirme à 19 ans, et précisément, il meurt alors qu’elle se révèle. Ils semblent le reflet l’un de l’autre, car tous deux aspirent à une expression de genre opposée à celle qui leur est assignée. Inévitablement, les obsessions maniaques de Bruce qui se traduisent dans la décoration de sa maison se retrouvent dans les troubles compulsifs de la jeune Alison. L’image du miroir, dans lequel père et fille s’observent et projettent leurs désirs l’un sur l’autre, est particulièrement frappante.
Mais le caractère intime et personnel de l’autobiographie n’empêche pas l’autrice d’écrire, au travers de sa propre histoire, une histoire universelle. En dessinant la découverte de sa propre identité, Alison Bechdel ne s’attache pas à expliquer l’homosexualité. Le lecteur la vie et l’expérimente lui-même par le naturel de l’image et la profondeur du mot. L’identité de genre comme l’identité sexuelle sont à la fois fluides et profondément normales. Toutes les expériences sont valides, mêmes celles, dans le cas de Bruce, qui mènent au rejet de sa propre identité, et à la mort. Et l’humour qui apparaît çà et là malgré le sujet sérieux pousse à rire avec Alison, plutôt que de rire d’elle.
>Alison Bechdel, Fun Home : une tragicomédie familiale, Traduction: Lili Sztajn et Corinne Julve, Denoël Graphic, 240 pages, 24 euros
>Alison Bechdel, C'est toi ma maman ? : un drame comique, Traduction: Lili Sztajn et Corinne Julve, Denoël Graphic, 304 pages, 24 euros
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