Le romancier suédois Jens Liljesntrand a rencontré un succès planétaire avec Et la forêt brûlera sous nos pas (Autrement). Ce roman à peine dystopique met en scène des Suédois aisés pris au piège de feux de forêts à des latitudes qui nous semblent encore improbables, en pleines vacances d’été. L’alternance des points de vue, la finesse de la psychologie, la justesse avec laquelle sont campés les personnages placent le lecteur face à ses propres paradoxes sur la question du climat. Cathartique !
Le romancier suédois Jens Liljesntrand a rencontré un succès planétaire avec Et la forêt brûlera sous nos pas. Cette dystopie n’en est pas une. Car ce roman très actuel met en scène des Suédois aisés pris au piège de feux de forêts à des latitudes qui nous semblent encore improbables, en pleines vacances d’été. L’alternance des points de vue, la finesse de la psychologie, la justesse avec laquelle sont campés les personnages placent le lecteur face à ses propres paradoxes sur la question du climat.
« Nous sommes une partie du problème. Soyons une partie de la solution ! ». C’est l’une des réponses que les dirigeants des Majors pétrolières peuvent être amenés à faire aux activistes qui dénoncent leurs projets d’exploration. Le propos est à la fois pertinent et impertinent. Une seconde réponse consiste à pointer le fait que c’est la consommation d’essence ou de gasoil qui pollue autant selon que les projets d’extraction, avec un ratio de comparaison différents selon les zones du monde. Les émissions « scope 3 » dans le jargon de la finance durable.
Facilité rhétorique ? Ces réponses font écho au paradoxe le mieux partagé du monde. D’un côté, une urgence climatique – qui l’est sans doute devenue faute de réelle volonté politique depuis quarante ans. Et cinquante bien sonnés si l’on prend pour repère la première Réunion du Club de Rome. De l’autre, la difficulté à adapter nos modes de vies comme ceux des entreprises, des industries et des investisseurs, de toutes les chaînes de valeur et d’approvisionnement, avec la rapidité voulue.
Une aporie ? C’est l’impression qui ressort parfois à la lecture du roman de Jens Liljestrand - comme dans la réalité. La forêt brûle. Les vacanciers se retrouvent parqués dans des camps de transit. Seuls les couples avec bébé ont accès au train qui rejoint péniblement Stockholm. La chaleur et la fumée sont intenables. Le lait maternisé vient à manquer. Personne ici n’a envie de penser que ce problème est sans solution. Surtout pas les plus jeunes personnages de ce roman efficace, dérangeant tant il contraint le lecteur à la lucidité. Cette mise en scène habile incite le lecteur à l’humilité quant aux inévitables limites de nos choix. Il aussi un pouvoir déculpabilisant. Les anti-héros ont cette vertu que nous amener à voir les choses à l’échelle humaine. C’est-à-dire faillible.
Parler climat sur son compte Twitter et apprécier une bonne viande maturée dans un restaurant à la mode. Le premier narrateur de ce roman, Didrik, incarne cette attitude très commune. Didrik est aussi un père de famille de la middle-class qui aimerait se voir en héros aux yeux de sa femme, et de sa maîtresse. Sa situation dit tout de son courage et de ses prouesses fantasmées. En plein drame, il lui faudra aussi tenter de sauver aussi sa réputation numérique. Une gageure pour ce consultant en média !
Vouloir dévorer la vie à vingt ans et goûter de l’anguille fumée (une espèce menacée ?) – ce dont on peut d’ailleurs aisément se passer. Donc refuser en cela de payer l’addition des générations précédentes. Mélissa est une jeune influenceuse rompue à monétiser son image, sa philosophie hédoniste et son égocentrisme assumés. « C’est de ça que je rêvais. Me poser seule le matin, laisser les pensées vagabonder. Philosopher. Rêver. Créer. Devant la fenêtre, la mère a pris son nourrisson et l’a mis au sein, les yeux fermés dans le soleil du matin. Le garçon a sorti un téléphone portable, fait défiler des photos de son doigt sale sur la toile d’araignée de l’écran fissuré ». C’est une famille de sans-abris que Mélissa contemple avec béatitude. « Le mieux à faire pour aider les autres, c’est de tirer un trait sur l’empathie. L’empathie comporte toujours une part de mépris. L’idée que ta vie est moins bonne que la mienne (…) ». Le sophisme fait toujours recette.
Par-delà la caricature de l’enfant des Social Media, Jens Liljestrand révèle l’impact paradoxal des discours alarmistes et des actions parfois violentes des activistes du climat. Tout le monde n’est en effet pas aussi zen - ou indifférent - sur le sujet. Surtout pas la fille de Didrik. Vilja est la dernière narratrice du roman, juste sa maman, Carola, qui ne voit pas plus loin que ses vacances en Thaïlande. Ses parents forment un couple pas si mal assorti, avec ce qu’il faut de rancune et de rancœur mâtinés de la bonne conscience qu’apporte un confort bien mérité.
Les romanciers sont infernaux. Toujours là pour mettre au jour les vérités que nous essayons de nous cacher. Et d’abord à nous-mêmes. Les personnages tour à tour attachants et agaçants de ce roman ambitieux placent le lecteur face à ses contradictions avec nuance et subtilité. Forme de délicatesse qui consiste à éviter le choc frontal de la dénonciation et des accusations en ping-pong qui suscitent likes hâtifs et commentaires accusateurs si payants sur les réseaux sociaux - ce qui, d’un point de vue cognitif a plus de chance de bloquer la réflexion et l’imagination que de faire avancer le débat et d’inciter l’action.
Le drame et l’action rendent la fable d’autant plus efficace. Il y a la peur, la colère, le découragement et un sentiment d’impuissance. Sources de violence. « Acclimatez-vous ! », lancent les jeunes activistes qui cassent les joujoux de luxe des bourgeois pour sensibiliser les esprits à leur cause. Un yacht et un voilier ancien par-ci, une villa par-là. La fumée que provoquent leurs actes de vandalisme ne fait clairement rien de bon aux poumons, ni au climat.
L’auteur suédois à succès étire le temps de la tragédie de trois à six jours. L’action de ce drame se déroule entre le lundi 25 août et le vendredi 29 août. Comme chaque année désormais, une large partie du monde vit une canicule. Les plus climato-conscients y voient le signe que le pire est à venir. Que cet été cataclysmique sera peut-être le plus beau – ou le plus vivable – de leur existence. Finies les cartes postales de Saint-Jacut-de-la-Mer au pied des glaciers, mettent-ils en garde.
Comment changer dans l’urgence ? Qui doit/va payer la facture des dégâts accumulés avec les décennies, après deux siècles de révolutions industrielles ? Ces questions n’ont pas manqué d’agiter le round de négociation de la Cop27 de Sharm-El-Sheikh qui vient de s’achever. Ce roman à la fois glaçant et brûlant, tour à tour émouvant et dérangeant nous place face à nos propres contradictions. En ce sens il a cette vertu cathartique qu’il fait se sentir moins seul face à un problème qui nous dépasse.
>Et la forêt brûlera sous nos pas de Jens Liljestrand, Traduction Anna Postel, Autrement, 528 pages, 24,90 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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