Annie Ernaux, a exprimé combien la dimension sociale chez Marcel Proust lui était insupportable. Jean-Marc Holsters qui est un Proustophile accompli n'est pas d'accord et s'en explique. Alors Proust méprisant pour les classes inférieures ou simplement homme de son époque attaché à la peinture de toute la société ? Le débat est lancé !
« Il y a chez Proust une dimension sociale qui m’est insupportable. La façon dont il parle de Françoise. Il y a des phrases terribles où il compare sa façon de regarder le monde à celle d’un chien. Une sorte de vie inférieure. Il y a là quelque chose de profondément douloureux pour moi car, pour moi, profondément, Françoise, c’est tous mes ascendants. » Annie Ernaux
Apparemment, on peut être Prix Nobel de littérature sans avoir appris à lire.
C'est bon à savoir.
Moi, je n'ai pas - encore - reçu de Prix Nobel, mais il se trouve que lire, j'y arrive.
Moi, je n'ai pas - encore - reçu de Prix Nobel, mais il se trouve que lire, j'y arrive.
Le passage auquel madame Ernaux fait allusion se trouve au début des Jeunes filles en fleurs, il est rédigé comme suit :
«On n'aurait pu parler de pensée à propos de Françoise. Elle ne savait rien, dans ce sens total où ne rien savoir équivaut à ne rien comprendre, sauf les rares vérités que le cœur est capable d'atteindre directement. Le monde immense des idées n'existait pas pour elle. Mais devant la clarté de son regard, devant les lignes délicates de ce nez, de ces lèvres, devant tous ces témoignages absents de tant d'êtres cultivés chez qui ils eussent signifié la distinction suprême, le noble détachement d'un esprit d'élite, on était troublé comme devant le regard intelligent et bon d'un chien à qui on sait pourtant que sont étrangères toutes les conceptions des hommes.»
Ce que veut dire Proust - on a honte de devoir l'expliquer - c'est que l'apparence de Françoise semblait promettre une intellectualité dont elle était entièrement dépourvue. Il n'y a pas là l'ombre d'un jugement social.
Si madame Ernaux avait poursuivi sa sa lecture - ce dont je doute - elle aurait trouvé maint passage où le Narrateur professe une absence de préjugé de classe assez remarquable pour l'époque.
Dans Albertine disparue, on trouve ce court passage...
Dans Albertine disparue, on trouve ce court passage qui eut sans doute fait frémir madame Ernaux :
«Devant la porte d'Albertine, je trouvai une petite fille pauvre qui me regardait avec de grands yeux et qui avait l'air si bon que je lui demandai si elle ne voulait pas venir chez moi, comme j'eusse fait d'un chien au regard fidèle. Elle en eut l'air content. »
Mais là encore, je crains que la traitresse conjonction «comme» ne lui eut fait commettre un contresens.
Comparaison n'est pas assimilation
Comparaison n'est pas assimilation.
Pour qualifier mon air généralement chagrin, l'un de mes amis comparait mon regard à celui d'un cocker, sans (je me plais à le croire) me confondre en aucune façon avec cet aimable quadrupède.
Madame Ernaux commence-t-elle à entr'apercevoir le mécanisme littéraire de la comparaison ?
Pour être juste, il faut signaler une troisième occurrence de comparaison canine, concernant encore - horresco referens - l'infortunée Françoise. C'est dans Le Temps retrouvé :
«Elle [Françoise] ne perdait pas ses défauts pour cela. Quand une jeune fille venait me voir, si mal aux jambes qu'eût la vieille servante, m'arrivait-il de sortir un instant de ma chambre, je la voyais au haut d'une échelle, dans la penderie, en train, disait-elle, de chercher quelque paletot à moi pour voir si les mites ne s'y mettaient pas, en réalité pour nous écouter. Elle gardait malgré toutes mes critiques sa manière insidieuse de poser des questions d'une façon indirecte pour laquelle elle avait utilisé depuis quelque temps un certain « parce que sans doute ». N'osant pas me dire : « Est-ce que cette dame a un hôtel ? » elle me disait, les yeux timidement levés comme ceux d'un bon chien : « Parce que sans doute cette dame a un hôtel particulier… », évitant l'interrogation flagrante moins pour être polie que pour ne pas sembler curieuse. »
Une fois de plus, loin de comparer Françoise à un animal, cette notation souligne simplement la duplicité de l'acariâtre servante.
Voilà, in extenso, à quoi se résument, «les phrases terribles» conférant cette fameuse «dimension sociale» insupportable à madame Ernaux.
Parce que, sinon, dans les trois mille autres pages, les relations du Narrateur avec Françoise sont complexes...
Parce que, sinon, dans les trois mille autres pages, les relations du Narrateur avec Françoise sont complexes, changeantes, rugueuses, mais PAS UNE SEULE FOIS l'auteur ne donne à entendre que sa bonne serait un être inférieur.
Et, dans toute l'œuvre, le bourgeois élégant et cossu qu'était Proust montre plutôt pour ce que l'on appelait alors ouvertement «les classes inférieures», une prédilection presqu'anachronique.
Si madame Ernaux n'a pas encore complètement perdu la raison, il faudrait peut-être lui conseiller de se désintoxiquer un peu de l'idéologie qui est la sienne, sa prose, par ailleurs estimable, ne s'en portera que mieux.
Les avis
Cher lecteur. Nous pensons à Viabooks que toutes les opinions des passionnés de livres, par essence subjectives et même parfois excessives, ont leur place dans notre "site littéraire qui n'a même pas le courage de porter un nom français. " Marcel Proust est une cathédrale intouchable aux yeux de certains. Annie Ernaux suscite des réactions contradictoires. Et c'est tant mieux. Signe de la vitalité du monde littéraire. Pourquoi n'écririez-vous pas un billet en réponse à celui de Jean-Marc Holsters où vous expliqueriez pourquoi vous allez dans le sens de la remarque d'Annie Ernaux ? Nous serions ravis de le publier.