Depuis la publication de Gomorra (Gallimard) en 2006, une enquête sans concession sur les méthodes de la camorra dans le Sud de l'Italie, Roberto Saviano est menacé de mort. Contraint de vivre sous surveillance policière, il n'a jamais cessé son combat pour la vérité. Dans Crie-le ! 30 portraits pour un monde engagé (Gallimard), il présente 30 exercices d'admiration au sujet de personnes remarquables, qui ont payé eux aussi le prix fort pour leur engagement. En évoquant Giordano Bruno, Émile Zola, Martin Luther King ou Anna Akhmatova, c'est un portrait en creux de lui-même, que Roberto Saviano nous livre. Avec en contrepoint, la question de la vérité morale. Rencontre avec un écrivain défenseur de la liberté.
Des chambres d'hôtel anonymes, sept gardes du corps, deux voitures blindées... tel est le quotidien sous haute protection de Roberto Saviano depuis le succès phénoménal de Gomorra, son roman-enquête sur la mafia locale –la Camorra– publié en 2006. Depuis, l'auteur napolitain n'a jamais cédé aux menaces. Il continue de défendre la liberté d'expression au péril de sa vie, poursuit ses enquêtes qui dérangent et a déjà publié 8 livres. Toujours très impliqué dans les débats socio-politiques de son pays, Roberto Saviano incarne aujourd'hui, notamment pour la jeunesse, une figure référentielle. La parole de cet ami de Salman Rushdie est un cri que nul n'a réussi à ce jour à faire taire.
Sa dernière publication Crie-le ! 30 portraits pour un monde engagé (Gallimard) présente 30 exercices d'admiration au sujet de personnes remarquables, qui ont payé eux aussi le prix fort pour leur engagement. Ici, c'est davantage le Saviano témoin et ancien étudiant en philosophie qui parle. En évoquant Giordano Bruno, Émile Zola, Martin Luther King, ou Anna Akhmatova, c'est un portrait en creux de lui-même, que Roberto Saviano nous livre. Avec en contrepoint, la question de la vérité morale.
Nous nous rendons à une réunion organisée au Silencio des Prés par le journal Transfuge et animée par Oriane Jeancourt Galignani, autrice elle-même et rédactrice en chef du journal. Le service de sécurité est sous pression pour contrôler chaque personne à l'entrée. La salle déborde de monde. Soudain, le silence s'installe. Un petit groupe d'hommes en noir, portant armes et oreillettes arrive. Au milieu, Roberto Saviano. Grand, se tenant bien droit, pas alerte, presque sportif, avec une présence qui révèle sa force, l'écrivain marche jusqu'à la scène. Silence religieux. Ses gardes du corps se déploient aux différentes parties de la salle. Roberto Saviano a l'habitude de ces entrées qui le font ressembler à un chef d'Etat. Il s'apprête à prendre la parole. Nous oublions les «hommes en noir» qui tapissent les murs de la salle. Rencontre avec un écrivain au courage exemplaire.
-Roberto Saviano : Pour rappeler la force de ces personnes. Elles ont choisi la cohérence souvent au péril de leur vie. Elles n'ont pas fait le choix de la mort. Elles ont fait le choix de la fidélité à leurs engagements et ont résisté. On voit bien aujourd'hui comment la société nous pousse à être consensuel, à fermer les yeux, à adopter la ligne générale. Être celle ou celui qui vient se dresser contre cette «pensée majoritaire» dérange toujours. Quand Giordano Bruno maintient que c'est la Terre qui tourne autour du soleil, il s'attaque au pouvoir de l'Eglise qui affirme l'inverse. L'Inquisition voudra lui faire renier sa parole. Il refusera et sera brûlé sur un bûcher. Pourquoi a-t-il refusé ? Il ne voulait pas renier sa vérité morale.
-R.S. : A posteriori on peut dire qu'il a eu raison. Mais sur le moment, il a été seul. Et c'est cette parole unique et contradictoire, portée par un homme qui avait autorité, qui a permis la bascule. Car parfois, il suffit d'un homme pour renverser les choses. Mais on ne dit pas toujours le prix qu'il doit payer pour cela. Dans son J'accuse, il y a «je vois». Voir et écrire pour dénoncer le mensonge de l'affaire Dreyfus. Quand on est seul contre tous, il faut être prêt à être ostracisé. Zola à ce moment-là est un des écrivains les plus importants. Mais sa position dans l'Affaire Dreyfus va le marginaliser. Même lui. Il est mort isolé. Cependant, l'Histoire a retenu qu'il était dans la vérité.
-R.S. : Cette tentative de délégitimation est une arme terrible. Elle est systématique. On essaie de discréditer la parole de celui qui «dit», a fortiori celui qui «crie». On ternit sa réputation. On fait courir des rumeurs.
Zola n'a pas été tué physiquement, mais il a perdu sa réputation. Quand on combat le pouvoir, on la perd toujours d'une façon ou d'une autre.
Plus récemment, instrumentalisés par les Suprématistes Blancs, les médias américains ont essayé de discréditer Martin Luther King en mettant en avant qu'il trompait sa femme, alors que cela n'avait rien à voir avec ses engagements politiques.
Quant à Jean Seberg, elle a été tout simplement détruite par les rumeurs la concernant. Parce qu'elle avait soutenu financièrement les Black Panthers, qui agissaient pour aider les enfants Noirs en créant des écoles avec des repas gratuits, elle a été vilipendée. On a dit qu'elle avait une liaison avec le leader du mouvement (alors qu'elle était mariée à Romain Gary), pour brouiller la valeur de son engagement social. Quand elle a été enceinte, les ragots sont devenus ignobles, pour savoir si le bébé allait être Noir ou Blanc. Cette violence sournoise a plongé l'actrice dans un tel stress qu'elle tentera de se suicider quelques jours avant la naissance deux mois avant terme, le 23 août 1970 de sa fille, Nina, qui mourra deux jours plus tard. L'actrice la fera enterrer dans un cercueil de verre afin que tous puissent voir qu'elle était blanche. Finalement, le 30 août 1979, Jean Seberg qui ne s'est jamais remise de ce drame, se suicidera à Paris en laissant une lettre à son fils Diego, où elle s'excuse de ne pas avoir réussi à surmonter ce massacre médiatique. Le harcèlement médiatique tue à petit feu. C'est une autre forme de mise à mort.
-R.S. : Pasolini a lui aussi été affaibli pour une sordide histoire de vol de pistolet en or qui avait été montée de toute pièce. Il n'a jamais été totalement lavé de ces fausses accusations, ce qui l'a tourmenté toute sa vie. Ceux qui voyaient en lui une menace politique ont aussi tout fait pour le discréditer. Alors que je pense qu'il faut dissocier ce que quelqu'un fait dans sa vie privée, de ce qu'il dit. C'est aussi un mythe que celui qui porte une parole dérangeante et vraie se doive d'être irréprochable dans sa vie intime. Non seulement on lui impose l'ostracisation, mais en plus on exige de lui qu'il soit parfait. C'est une vue de l'esprit très dangereuse. Celui qui défend la vérité n'est pas un prophète. Il enquête, démontre, dénonce, révèle une vérité qui dérange. Il ne prétend pas être un surhomme. Le courage peut prendre plusieurs visages, mais la vérité, elle, est une et indivisible.
-R.S. : Les réseaux sociaux peuvent incarner la pire des désinformations. La mafia le sait bien, qui est présente sur les réseaux alors que cela lui fait prendre des risques. Mais les réseaux sociaux peuvent être aussi l'antidote. Le respect de la vie privée me paraît essentiel. Ceux qui payent et se font «prendre» en quelque sorte sont en général les gens honnêtes. Les autres savent très bien se protéger et ne pas laisser de traces. C'est pourquoi il faut être conscient que cette société, comme l'a montré Edward Snowden, a mis en place une surveillance indirecte généralisée. Quand on attaque le pouvoir, il faut se préparer à être scruté dans tous ses actes. Et penser à ses réponses. Les réseaux sociaux peuvent être un moyen de diffuser ses idées bien sûr, mais aussi ses réponses aux rumeurs.
-R.S. : Je leur dis surtout d'agir ! De ne pas être passifs. De s'engager dans des actions, y compris politiques. Même un petit nombre peut faire entendre sa voix. Vous Français, regardez bien ce qui se passe en Italie en ce moment. Ceci pourrait aussi arriver en France. Alors, résistez !
-R.S. : Nous nous sommes parlé. Heureusement, il est vivant. Plus vivant que jamais. Il m'a dit : «La seule chose que je regrette c'est d'avoir cru que le monde avait changé. ». Mais j'observe qu'il n'y a pas eu beaucoup de soutiens médiatiques à ce qui lui est arrivé. Quoi qu'il en soit, cela ne change en rien sa détermination de poursuivre son métier d'écrivain.
-R.S. : Lâchement, je dirais probablement pas. Je n'ai pas pensé qu'avec Gomorra, je basculerai à jamais dans une vie sur le fil du rasoir. Car il y a avait eu beaucoup d'autres enquêtes publiées avant moi sur la mafia. Je n'imaginais pas devenir une telle cible. Aujourd'hui, j'ai la liberté de l'esprit, mais mon corps est toujours contraint. Si j'arrêtais mon combat, je pourrais peut-être redevenir libre. Mais je perdrais ma vérité morale. Alors je vis dans cette sorte de prison, mais je suis cependant «vivant» car je conserve mon intégrité. Le plus important pour moi, c'est de rester vivant, pleinement vivant. Je ne veux pas arriver à la mort en étant déjà mort. Je veux rester fidèle à mes convictions. Et c'est seulement, en restant debout, qu'on est vivant. Toutes les personnalités que j'ai choisies de décrire dans Crie-le ! ont été vivantes jusqu'à leur dernier souffle. Elles n'ont pas courbé l'échine. Elles sont inspirantes pour moi et j'espère qu'elles le seront pour les lecteurs.
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