«Vous ne connaissez rien de moi » de Julie Héraclès: l'histoire derrière la photo de la Tondue de Chartres

Pas de rentrée littéraire digne de ce nom sans premiers romans. Au chapitre des révélations de cette rentrée 2023, il y a bien ce livre aussi incandescent que son sujet est brûlant : Vous ne connaissez rien de moi. Son auteure, Julie Héraclès, s'impose avec force dans la famille des écrivains qui savent mêler recherches documentaires, construction narrative addictive et subtilité des psychologies. 

Au commencement du livre, une photo

Au commencement du récit, une photo. Il s'agit d'une des figures les plus célèbres de femmes honteuses de la Libération, Simone Touseau, immortalisée par une photo de Robert Capa prise le 16 août 1944 dans une rue de Chartres (Eure-et-Loir).Celle qui a été surnommée à jamais La Tondue de Chartres, apparaît rasée et marquée au fer rouge sur le front (la seule dans le groupe des tondues), serrant contre elle un nourrisson, née de ses amours avec un soldat allemand. Elle est conspuée par une foule qui l’entoure. Cette photo qui fera le tour du monde est devenue un des emblèmes de l'épuration sauvage en France à la Libération.

Quatre-vingts ans plus tard, reprendre l'histoire de La Tondue de Chartres

«Dans trois jours, j'aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. La pute du Boche va être butée. » Ainsi commence le récit de Julie Héraclès, née à Chartes elle aussi, qui a observé ce cliché aussi puissant que violent. Elle l'a regardé avec le recul de presque quatre vingt ans. Elle s'en est imprégné au point de lui redonner vie. Au point de s'immerger dans son personnage en écrivant à la première personne. Qui était Simone Touseau ? Elle n'avait que 22 ans lors de son arrestation. Pourquoi tant de haine à son égard ? Pourquoi a-t-elle basculé du mauvais côté de l'époque ? La jeune autrice qui est partie à l'île de la Réunion pour écrire ce premier roman, porte un regard complexe sur l'histoire de cette héroïne maudite, ainsi que sur la page d'Histoire qu'elle reflète.

Itinéraire d'une femme en quête de réussite à tout prix

Son roman nous montre l'itinéraire d'une femme subissant les déclassements de sa famille - ses parents qui tenaient une crèmerie-poissonnerie font faillite en 1935.  Recherche-t-elle dans les idéologies d'extrême droite un espoir d'élévation ? Une situation qui n'est pas sans rappeler celle de Lacombe Lucien, le personnage du film éponyme de Louis Malle, dont le scénario a été co-écrit par Patrick Modiano. L'humiliation cherche toujours la porte de sa revanche... ou de sa perte. Julie Héraclès décrit les dessous de l'Occupation, comme une sombre scène, source de nouvelles illusions et de règlements de comptes sans pitié. La romancière n'est ni tendre, ni complaisante avec Simone Touseau, sa famille sans morale et ses petits arrangements avec la collaboration. Dans une ville de Province où tout se sait et où la société corsetée empêche les femmes d'exister, surtout celles de peu.

L'espoir d'une autre vie, malgré les interdits

C'est ainsi, qu'à rebours de ce destin empêché, apparaît la force d'un espoir. Une tentative désespérée pour Simone de sortir de l'enfermement dans lequel sa condition et de femme et de petite bourgeoise déclassée la contraint. Lorsqu'une jeune fille sans avenir rêve de grand destin, l'Occupation lui offrirait-elle une porte de sortie ? Naïveté ? Ambition ? Esprit de revanche ? Simone Touseau était une bonne élève : elle avait réussi son baccalauréat en juillet 1941, alors qu'à l'époque seules 5% de femmes faisaient partie des candidats. Julie Héraclès nous montre cette rage couvée au nid de la frustration. Pour s'en sortir à tout prix. Comme elle parlait allemand, Simone réussit à se faire embaucher en tant que secrétaire-interprète dans les services administratifs de la Feldkommandantur. C'est ainsi qu'elle rencontre l'officier allemand Erich Göz, un jeune bibliothécaire allemand. Tout s'enchaîne vite. Il s'aiment. Ils vont même se fiancer en 1942. De cette passion naîtra une petite fille, Catherine, celle qui apparaît sur la photo. Entre temps, Erich Göz mourra finalement sur le front de l'Est en Biélorussie en juillet 1944 et ne connaîtra jamais son enfant. Le destin de Simone Touseau se poursuivra dans les années 50, portant l'ombre de ses années de passion consumées dans la guerre et de ses funestes espérances. 

Marquée au fer rouge d'un destin impossible

Si l'histoire de la plus célèbre Tondue est notoire dans ses faits, Julie Héraclès lui apporte un éclairage nouveau. Elle nous montre une Simone Touseau, marquée au fer rouge de son amour tragique, comme une femme exaltée, qui a eu comme principal défaut d'oser être libre. D'oser espérer sortir de sa condition. Elle montre comment le glissement vers l'interdit peut se faire facilement. Et sans regret. Parce que, même dans les complicités coupables, se cachent parfois les éclats d'un appel. A un plus ample destin. 

« Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge et maintenant vous m’insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous  n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée. »

Vous ne connaissez rien de moi est un roman d'amour et de fureur. Dans une époque qui confond tribunaux et réseaux sociaux, ce livre brûlant comme son héroïne, redonne un visage de chair et de sang à tous ses protagonistes, y compris les plus ambigus. Une page d'Histoire se revit sur fond d'histoire intime. Avec ses excès et ses ambivalences. Dans ce labyrinthe d'ombres et d'émotions, une chose est sûre, une écrivaine est sortie dans la lumière.

>Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès, JC Lattès, 384 pages, 20,90 € >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien