Solène Goehrs nous livre sa critique libre de "Millénium" de Stieg Larsson. Elle souligne avec conviction ce qui la fascine dans la série et analyse le réalisme comme l'un des moteurs du succès de la trilogie.
Avant de lire Millénium je ne connaissais rien à la Suède du XXIème siècle, rien de ses us et coutumes, ses paysages politique et social n’avaient aucune représentation précise dans le champ de mes connaissances. Grâce à Stieg Larsson j’ai découvert un pays intéressant, des personnages attachants, mais surtout une histoire d’investigation captivante. Après ma lecture des trois tomes, quelle déception d’apprendre que l’auteur ne m’offrirait plus le plaisir d’autres histoires ! Mort le 9 novembre 2004 à Stockholm d'une crise cardiaque, le journaliste et écrivain suédois avait contacté quelques mois avant son décès le plus grand éditeur suédois, Norstedts, et lui avait livré sa série de romans policiers, soit près de 3000 pages. Connu pour son engagement contre le racisme, le fascisme et l'extrême droite, l’écriture de ses trois romans est pétrie de cette volonté de contester les intolérances et les idées reçues.
Une petite fille au collier de têtes de poupées sur un fond noir aux bordures rouges : drôle de couverture pour un polar nommé « Les hommes qui n’aimaient pas les femmes ».
Pourtant une fois les premières pages tournées, l’histoire nous prend à la gorge. Millénium c’est la revue d'investigations sociales et économiques dirigée par Mikael Blomkvist. Ce personnage principal nous entraîne dans une première aventure policière dont la mission est de retrouver la petite fille d’un riche industriel. « Super Blomkvist » reçoit l’aide d’une jeune hacker introvertie : Lisbeth Salander. Par leurs fortes personnalités, le charismatique rédacteur en chef et l’associable enquêtrice de génie marquent ce premier tome par leur rencontre atypique et agréablement étonnante. Comment ne pas dévorer d’une traite ce premier tome ? Humour et suspense sont au rendez-vous, menant remarquablement bien l’intrigue. L’enquête autour du tueur en série est résolue, le journaliste repart à Millénium et Lisbeth disparaît, laissant derrière elle une aura mystérieuse…
« La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette » annonce un deuxième tome aussi vif que le précédent. La première de couverture représentant la jeune hacker titille notre curiosité. Mademoiselle Lisbeth est le personnage insaisissable au centre de ce roman. Son inaccessibilité la rend séduisante, et le malheureux secret qui l’entoure lui offre un caractère sympathique et attachant. Super Blomkvist dont l’un des nouveaux journalistes de Millénium vient de se faire assassiner, se retrouve confronter au passé tumultueux de son ancienne coéquipière d’investigation. De nouveau Stieg Larsson crée l’angoisse à travers la réalité du trafic humain des filles de l’Est. Les descriptions et les actions semblent loin de la fiction. Le lecteur est très vite happé par le flux d’informations et le soucis de réalisme. Le lien étroit qui unit les deux personnages principaux fait dérouler deux enquêtes différentes mais implicitement liées. A chaque page un lien se crée et une nouvelle piste s’ajoute à l’intrigue. Le deuxième tome suit toujours la même directive : il nous captive.
Gravement blessée notre héroïne de « La reine dans le palais des courants d’air » est coincée à l’hôpital. Michael Blomkvist toujours lié à elle par son enquête, poursuit sa progression dans le lourd passé de la jeune fille et cherche à la disculper. Quoi de mieux que faire rejaillir un scandale d’Etat par un scoop concocté par Millénium ? Le lecteur suit la détermination du journaliste à faire éclater l’affaire. Quant à Lisbeth, c’est le sentiment d’injustice qui devient le moteur du troisième tome. La loi du Talion domine le roman et c’est avec plaisir que l’on se replonge dans les plans machiavéliques de Stieg Larsson pour aboutir à la réhabilitation de la jeune hacker et au succès médiatique de Blomkvist. Cette affaire suivie sur les deux tomes a fortement rapproché les deux personnages centraux, mais également le lecteur avec ce monde violent et tortueux.
La trilogie Millénium est un succès international qui s’explique par une écriture vivante où se mêlent une multitude d’enquêtes. Les personnages sont attachants par leurs caractères forts et leurs défauts les rendent tellement humains qu’on en oublie l’aspect fictif. C’est ce qui, me semble-t-il, a rendu faisable l’adaptation cinématographie et la réalisation de la série, toutes deux signées du cinéaste danois Niels Arden Opleve.
Je conseille la lecture de ces trois romans car tout au long des différentes enquêtes Stieg Larsson nous montre comment et pourquoi il est bon d’avoir l’esprit critique et ouvert sur le monde qui nous entoure. Les deux personnages de Michael Blomkvist et Lisbeth Salender représentent selon moi les différentes facettes de l’auteur : celle du journaliste engagé qui cherche à découvrir la vérité malgré l’aveuglement de la population et l’opacité du gouvernement. Mais celle aussi du citoyen qui doit tous les jours affronter les abus de la société, les vices du « vivre-ensemble ». La figure de Lisbeth est celle de la rébellion, de la remise en question de toutes les institutions en place, même si cela nécessite l’utilisation de moyens illégaux.
Le côté sombre et malsain de cette trilogie réside dans le choix des sujets abordés : trafic de femmes, corruption politique, faille judiciaire et abus sur mineurs. La Suède qui se pose souvent en modèle pour le reste de l’Europe, est ici exposée de manière brute à travers les mêmes problèmes auxquelles sont confrontés les autres pays européens. Par son style mi-journalistique, mi-romancier on prend plaisir à lire une critique vivante et illustrée de ce pays nordique. Les personnages tels maître Bjurman, le père et le psychiatre de Lisbeth Salander sont tous les défauts humanisés de la société suédoise, et vu le succès rencontré à l’étrangers, des défauts partagés par d’autres pays. Les scènes de viol et de violence sont crues, Stieg Larsson ne cherche pas à édulcorer la réalité et c’est ce qui rend plus prenant le fil de l’histoire.
Millénium c’est plus qu’une suite de trois romans suédois. C’est la volonté de mettre à bas un système trop hiérarchisé et verrouillé afin de révéler ses failles et de s’interroger sur la place de la littérature, mais surtout de la critique. Stieg Larsson refuse le moule formel dans lequel la société veut l’enfermer, et à travers un décors très réaliste, il invite ses lecteurs à sortir des sentiers battus pour mener une enquête de mœurs et faire rejaillir la vérité. Au prix de mots crus, de situations déroutantes, et à l’aide de personnages entiers et familliers, il nous ouvre les portes d’un monde violenté, souvent refoulé par la société elle-même.
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Stieg Larsson, Millenium I, II, III, Actes Sud.
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