Rushdie y pousse ses talents de jongleur jusqu'à la limite du possible. Saladin et Gibreel, caractères incompatibles, se retrouvent dans le même avion et deviennent complémentaires au cours d'un miracle. La crise identitaire qui s'était amorcée chez chacun prend alors des proportions gigantesques. Gibreel est assailli par un rêve feuilleton où il découvre avec effroi qu'il joue à la fois le rôle de l'archange Gabriel et celui du prophète Mahound. Saladin, lui, rencontre Rosa Diamond qui, en attendant le retour de Guillaume le Conquérant, ne rêve que de son passé argentin, au point que Chamcha finit par devenir la réincarnation de son amour de jeunesse. Le doute ontologique a de plus en plus de prise sur les esprits et, dans ce roman aux accents kafkaïens, l'hybridité et l'imagerie animale sont d'une monstruosité angoissante.
Or, paradoxalement, à force de multiplier les points de vue et les mises en abyme, Rushdie pousse le roman dans des retranchements tels qu'il est obligé, pour exister, de se fixer un centre narratif beaucoup plus fiable que dans les autres romans. Grâce à une instance transparaissant dans tout le récit, le seuil de l'éclatement narratif n'est pas franchi. --Sana Tang-Léopold Wauters
Le 12 Août 2022 Salman Rushdie a failli perdre la vie après une attaque terroriste.