Mort de Kenzaburō Ōe, prix Nobel de littérature en 1994

Kenzaburō Ōe, l'écrivain japonais prix Nobel de littérature en 1994 est mort le 3 mars 2023.  Il était né le 31 janvier 1935. L'Académie Nobel avait déclaré consacrer celui « qui, avec une grande force poétique crée un monde imaginaire où la vie et le mythe se condensent pour former un tableau déroutant de la fragile situation humaine actuelle ».  Revenons sur la vie de cet écrivain, érudit de littérature française et engagé contre la guerre et le nucléaire.

Le Japon au coeur

Kenzaburō Ōe est né dans un village « cerné par la forêt de l’île de Shikoku, où sa famille habitait depuis des centaines d’années sans qu’aucun de ses membres ne se soit jamais exilé ». Il reçoit à l'école, comme l'ensemble des enfants japonais, une éducation très nationaliste. Alors que le Japon est en guerre, on lui apprend à tirer à balles réelles, à se préparer à tuer et à mourir pour ne pas se livrer à l'ennemi. Il est plusieurs fois battu par son professeur, qui estimait qu'il se tenait mal lors de la prosternation devant l'autel impérial.
Dès l’école primaire, il s’intéresse aux cultures et aux littératures étrangères et découvre, grâce à sa mère Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain d’abord dans une traduction japonaise qu’il apprend par cœur puis dans la version originale à laquelle il accède au moment de l’occupation américaine.
Son ouverture se renforce par la connaissance du travail de Kazuo Watanabe. À 18 ans, admis à l’université de Tokyo, il quitte pour la première fois l’île de Shikoku pour étudier la littérature française. Étudiant brillant mais solitaire, moqué de ses camarades et honteux de son accent provincial, il s'essaie à l'écriture dès 1957 sous l'effet de l'alcool et de tranquillisant.

L'influence de la littérature française

Il est alors fortement influencé par la littérature contemporaine occidentale, notamment française et américaine. Les œuvres de François Rabelais, Albert Camus et Jean-Paul Sartre, sur lequel porte son mémoire de fin d’études, nourrissent son inspiration. Ōe reconnait aussi en Louis-Ferdinand Céline, dont il étudie les ouvrages dans la version originale, l’une de ses influences majeures. Par ailleurs, il se plonge dans l'analyse de Dante et William Blake. Il ne se départira pas de sa curiosité pour les littératures occidentales et en 2006, il citera Pierre Gascar, Thomas Mann et Günter Grass parmi ses écrivains préférés et dira, par exemple, en 2015, trouver admirable le travail de Pascal Quignard.
Il est fortement impliqué en 1960 dans la lutte contre le renouvellement du Traité de Sécurité nippo-américain, que les manifestants voient comme un déni de l’indépendance et de la vocation pacifiste du Japon d’après-guerre. Il se mobilise ultérieurement contre la guerre du Vietnam, contre les bases américaines au Japon et l'arme atomique.

Porte-parole de la jeune génération japonaise

Son premier récit publié, Un drôle de travail, fait de lui le porte-parole de la jeune génération japonaise dont il incarne le désarroi. Au début des années 1960, son livre Ainsi mourut l'adolescent politisé fait de lui une cible des nationalistes. Face aux menaces de mort, son éditeur prit peur et présenta ses excuses d’avoir publié ses livres8. Il vit pendant un temps « reclus » avec son épouse Yukari Itami et restera «  en proie à la vindicte de l'extrême droite pendant longtemps ».

Naissance de son fils handicapé

En 1963, la naissance de son fils handicapé mental, Hikari, « modifie son univers avec autant de violence qu’une explosion solaire ». Dans le prolongement immédiat de cet événement personnel, il écrit deux ouvrages : Une affaire personnelle, premier d’une série de récits dont le personnage central est le père d’un enfant handicapé mental puis Notes de Hiroshima, recueil d’essais sur les survivants d’Hiroshima. Ils enregistrent les faits qui témoignent de la persistance vitale à la suite des bouleversements subits à l’échelle individuelle et mondiale. Ces expériences modifient définitivement sa vocation d’écrivain.

Après le prix Nobel

Après avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1994, Ōe annonce qu’il n’écrira plus de romans, arguant que son fils (en), compositeur, a désormais sa propre voix et qu’il n’a donc plus besoin de lui apporter une possibilité d'expression par son œuvre de fiction.
En 1995, lors de la reprise des essais nucléaires français, à Fangataufa, il adresse une lettre de protestation au président Jacques Chirac, qui lui vaut une réponse virulente de Claude Simon, également lauréat du Prix Nobel.

Le combattant antinucléaire

Il reprend la plume à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, qu'il anticipe dans un article publié dans le quotidien Asahi le 10 mars, soit la veille du tremblement de terre.
« Je caresse depuis longtemps le projet de retracer l’histoire contemporaine du Japon en prenant comme référence trois groupes de personnes : les morts des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, les irradiés de Bikini et les victimes des explosions dans des installations nucléaires. Si l’on se penche sur l’histoire du Japon avec le regard de ces morts, victimes du nucléaire, la tragédie qui est la leur est une évidence [...] L’histoire du Japon est entrée dans une nouvelle phase, et une fois de plus nous sommes sous le regard des victimes du nucléaire... »
Ōe a été marqué par les dégâts causés par le nationalisme par une société militarisée. Défenseur du pacifisme et de la démocratie, il milite avec d’autres intellectuels pour que le Japon ne remette pas en cause l’article 9 de sa constitution. Il a ainsi fondé en 2004 avec Shūichi Katō et d’autres, une association de défense de la Constitution pacifique. Depuis 2011, il prend activement part aux manifestations antinucléaires consécutives à la catastrophe de Fukushima.
En mars 2012, Kenzaburō Ōe est l'invité d'honneur du salon du livre de Paris, où il participe à des débats avec la journaliste du Monde Josyane Savigneau (L'œuvre : « une affaire personnelle ») et l'écrivain japonais Satoshi Kamata (La Littérature de la catastrophe) sur l' « Agora » du Centre national du livre, qui attirent un public nombreux. La même année, il présente au Premier Ministre japonais une pétition de plus de 7 millions de signataires pour l'abandon de l'énergie nucléaire.
Il meurt le 3 mars 2023, à l'âge de 88 ans, mais la nouvelle n'est annoncée que le 13 mars par sa maison d'édition Kōdansha, après la tenue de funérailles familiales privées.

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