A l'occasion de la parution de Sacha Lenoir, retour sur le coffret Béatrice Merkel des éditions Capricci, qui fait dialoguer écrivains et cinéastes par l'intermédiaire de nouvelles inédites, suivies d'une proposition d'adaptation cinématographique. Cinq écrivains français ont ainsi rédigé un texte, avant de discuter avec un cinéaste d'une adaptation potentielle, explorant les possibilités offertes par deux moyens d'expression, aux relations multiples et profondes.
Béatrice Merkel parvient à conjuguer réflexions critiques et créativité littéraire en cinq nouvelles, avec pour seule contrainte un nom commun, et quelques renseignements: "Béatrice Merkel est une femme d’âge mûr (45/50 ans). Elle exerce la profession de conseillère clientèle dans une banque. Sa langue maternelle n’est pas le français. Elle est d’origine allemande. Elle est célibataire. Elle a été mariée, mais a divorcé. Elle n’a pas d’enfant. On peut dire d’elle que c’est une femme de droite. Elle habite le 13e arrondissement, vers la Place d’Italie. Elle a un chien". A partir de cette silhouette, les écrivains vont composer cinq fragments de la vie d'une femme, usant chacun de leur style pour lui donner une consistance: Joy Sorman déploie ainsi une avalanche de formules dans ses phrases ("C'est résumé là, scientifique puisque chiffré, incontestable, implacable." conclut sa Béatrice Merkel, tandis que François Bégaudeau émaille sa nouvelle avec les textes laconiques qu'il affectionne: listes, impressions sensibles éparses... Mais la figure la plus surprenante est peut-être la Béatrice Merkel de Stéphane Bouquet (Beate), qui s'éloigne des contraintes sans les transgresser, proclamant que "Toutes les vies ne vont pas avec tous les gestes: moi, qui claque des talons sur le sol, depuis longtemps, quel énervement me dévore?"
La proposition de collaboration ne s'accompagne pas d'une consensualité partagée: les écrivains proposent de vrais défis aux cinéastes, et les "nouvelles cinématographiques" ne sont en aucun cas des scénarii parfaits "offerts" aux réalisateurs. Le texte de Pierre Alferi en témoigne: l'auteur saupoudre son dialogue d'une tonalité poétique particulièrement sensible à certains endroits du texte. "il y a même un cimétière/entre trois tours il est nickel/si on y meurt/c'est qu'on y vit" déclame un personnage du récit. A l'opposé, l'incipit d'Un hold-up, par Christine Montalbetti, propose une description précise et révélatrice du caractère des personnage, passage extrêmement ardu à filmer. Echanges de mails ou de vives voix, les dialogues se développent entre cinéastes, auteurs et actrice dans l'un des cas (Emmanuelle Devos rejoint Noémie Lvovsky pour discuter de Déontologie, la nouvelle de Joy Sorman): concessions et accords sont présents, mais aussi farouches résistances, comme lorsqu'Albert Serra défend sa conception visuelle auprès de l'auteur Pierre Alferi, assurant qu'elle peut "faire gagner de l'intérêt au film". Chaque artiste apporte ses impressions, et sa vision personnelle du texte ou du personnage. Le lecteur peut également comparer ses attentes de spectateur avec les propositions esthétiques des participants: Beate, la nouvelle de Stéphane Bouquet, est ainsi suivie de quelques photos préparatoires de Claire Denis, pour l'adaptation.
Le grand intérêt de Béatrice Merkel est d'interroger notre rapport au langage et à l'image. Le langage "anobli", celui du nom propre (titre du coffret, figure qui hante chaque phrase) est étudie: "un nom peut avoir un contenu très fort", "il y a des noms expressifs", "tout un imaginaire arrive dans la tête du spectateur quand il écoute ces noms" notent Pierre Alferi et Albert Serra à propos du nom propre. Dans Beate, de Stéphane Bouquet, le personnage principal assure: "Toi et moi nous sommes seulement des pronoms personnels." Contre-point de ces considérations linguistiques, les réflexions visuelles des cinéastes, à l'image de Claire Denis, qui écrit: "En film, on ne peut pas lâcher le souci de la forme", tandis que Caroline Champetier matérialise la place d'Italie dont "le flux des sept boulevards, avenues ou rues dont les rubans se nouent ensemble sur la place et qui grondent tout autour comme des cours d'eau tumultueux et lointains."
Comme le faisait remarquer Robert Bresson, dans ses Notes sur le cinématographe, cinéma et littérature sont deux moyens d'expression différents, aux moyens d'expression différents: plutôt que l'équivalence amoindrie, les auteurs préfèrent une pleine création, présentant un intérêt d'oeuvre, à la place de celui, plus faible, d'adaptation. Si les cinéastes prennent en considération le texte (l'analyse de la simple phrase "Beate, tu es en retard" par Claire Denis est impressionnante), ils s'appuient surtout sur les outils les plus pertinents de leur art. Les références à des oeuvres antérieures sont régulières, de Tati à Hitchcock, en passant par Bernard Schlink, Richard Prince, Sonic Youth ou les Tindersticks (avec lesquels Claire Denis collabore régulièrement), confirmant l'intention des réalisateurs d'imprimer la marque de leur choix esthétiques sur les nouvelles.
Pierre Alferi, François Bégaudeau, Stéphane Bouquet, Christine Montalbetti, Joy Sorman, Béatrice Merkel, avec la collaboration d'Albert Serra, Patricia Mazuy, Claire Denis, Caroline Champetier, Noémie Lvovsky et Emmanuelle Devos, éditions Capricci
Du 27 novembre au 2 décembre 2024 Montreuil accueille le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse en Seine-Saint-Denis.
L'écrivain Boualem Sansal d'origine algérienne qui a obtenu récemment la nationalité française, célèbre pour ses critiques en profondeur des d
Les organisateurs du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême viennent de faire connaître leurs sélections d'ouvrages et o
Vous avez aimé Le Bureau des Légendes et Le Chant du Loup ?