Les éditions 13e Note viennent de publier le dernier recueil de nouvelles de l'écrivain américain Barry Gifford, intitulé Vera Cruz sous les étoiles. Après avoir mis à disposition des lecteurs American Falls, autre recueil, et l'impressionnant roman autobiographique Une éducation américaine, 13e Note nous offre les textes d'un auteur fasciné par les freaks, dans leur grandeur et leur pathétisme.
Barry Gifford est né à la fin de l'année 1946 à Chicago, époque où la ville est en équilibre instable entre un Âge d'Or pratiquement révolu et une cascade de crises morales et urbaines qui vont influencer le mode de vie de la population, provoquant misère ghettoïsée et confort des privilégiés. Gifford ne cache pas l'activité professionnelle, plutôt...atypique de son géniteur, acteur du crime organisé qui règne sur Chicago. Ce milieu influence sans doute possible le jeune Barry Gifford qui, après avoir envisagé une carrière de joueur de base-ball, se tourne vers l'écriture. Il compose d'abord plusieurs recueils de poésies, qui oscillent entre mysticisme et hyper-réalisme (à l'image de ce titre, Coyote Tantras, recueil paru en 1973). Il se dirige peu à peu vers le nouvelle et le roman, jusqu'à cette rencontre qui deviendra un succès commun: en 1990, David Lynch adapte son roman Sailor et Lula (Palme d'Or la même année à Cannes) et Gifford accède à une reconnaissance publique. Rencontre logique: les univers des deux artistes sont hantés par les freaks, ces "monstres humains" (l'expression n'est pas vraiment péjorative) qui oscillent entre grandeur et petitesse: femme à barbe délurée, unijambiste incestueux déçu, qui se suicide pour oublier chez Gifford; nain glapissant ou clochard velu chez David Lynch. Le regard n'est jamais moqueur ou réducteur (souvenons-nous que Lynch a réalisé Elephant Man), mais ne s'enfonce pas non plus dans un misérabilisme larmoyant: ces personnages sont humains, c'est tout.
Les nouvelles de Vera Cruz sous les étoiles sont toutes précédées d'une notation géographique, qui définit d'emblée l'influence du lieu sur la nouvelle. Cependant, Barry Gifford n'utilise pas cette grossière ficelle pour masquer les lacunes d'une écriture qui ne parviendrait pas à rendre compte d'une atmosphère caractéristique. Ainsi, chaque texte est porteur d'un style particulièrement révélateur d'un climat, ou, devrait-on écrire, d'un climax unique et sensible. Presque oriental, nouvelle située en Roumanie, est une enquête austère et hantée par des conversations perpétuelles; tandis que L'Equilibriste, introduction du recueil, texte nerveux et vacillant, suspendu au-dessus de l'intensité du réel que l'écrivain doit capter pour "[s]'avancer nu" comme écrit Gifford. Les climax, les points d'orgue de la nouvelle, sont subtilement insinués avant de se révéler à l'improviste, au détour d'une phrase. A ce titre, Meurtre à l'Espadon Club est un parfait exemple, retardant à outrance les moindres informations du présent pour mieux se concentrer sur un passé ultra-réaliste, en égrenant la naissance et le développement de Russel, "une bourgade paisible" de Nouvelle-Zélande. Hélàs, cette précision microscopique n'est pas efficiente sur tous les textes, et la nouvelle éponyme du recueil, localisée à Mexico, échoue dans cette prouesse d'évocation en utilisant des mécanismes similaires à d'autres textes: le lecteur ne se laisse pas prendre au piège deux fois.
Dans ces périples à l'échelle internationale, Barry Gifford sème des indices quant à la localisation géographique du drame, renforcant ainsi cette ambiance qu'il essaye de créer: "Este hombre esta bajo mi protecciòn" lâche un personnage de la nouvelle Les lois de l'affection (une référence aux Lois de l'attraction, de Bret Easton Ellis?), sans qu'aucun sous-titre ne suive ce discours en version originale. Le lecteur, confronté à ces bribes inconnues, devient comme certains personnages des textes du recueil, un individu en déplacement, en équilibre une fois encore entre le pays natal et l'étranger, ou entre l'accueil chaleureux (Ce qui s'est passé au Japon) et le rejet aux frontières: un personnage de la nouvelle Le fils du sculpteur dote ainsi sa maison d'une pièce supplémentaire à chaque fois qu'il quitte une femme, pour lui permettre, si elle le souhaite, de s'installer avec lui, mais à l'écart.
Quelques lignes précédent les nouvelles de Vera Cruz sous les étoiles: une vingtaine de mots seulement, pour former un récit court et poétique, qui semble épouser parfaitement la fugacité de la seconde, la brièveté de la sensation. "Voilà un homme/qui peut occasionner/de grave dégâts/chez une femme/qu'elle soit tigrée/dans le dos/ou pas": entre l'absurde et le surréalisme, le style de ces haïkus indisciplinés hante le lecteur durant toute la nouvelle qui suit. Dans ses nouvelles ou dans ses romans, on avait déjà remarqué le goût de Barry Gifford pour l'insinuation, préférant l'ambigüité du mystère à l'austérité de la révélation: Sailor et Lula, ou Lost Highway, le scénario qu'il écrivit pour et avec David Lynch, sont porteurs de cette attirance, et sont deux road-books exemplaires figurant la route comme un moyen de progression plutôt que de locomotion. Dans Vera Cruz sous les étoiles, les personnages se déplacent, sont mobiles, profitent de leur liberté de déplacement, et foncent à toute vitesse. Droit dans le mur, le plus souvent.
Barry Gifford, Vera Cruz sous les étoiles, 13e Note éditions
Barry Gifford, Une éducation américaine, 13e Note éditions
Barry Gifford, American Falls, 13e Note éditions
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