Alors que le Grand-Palais consacre une remarquable exposition à Hergé, Benoît Peeters, grand spécialiste et biographe de l'auteur nous a adressé un texte sur sa fascination pour Tintin qu'il a intitulé "Une Passion pour Hergé", que nous vous proposons en exclusivité. A travers ces lignes, il nous raconte sa première découverte de Tintin, sa rencontre avec Hergé en Avril 1977, les différents livres qu'il a consacrés sur Tintin et son créateur et tant d'autres histoires passionnantes encore sur son approche personnelle d'une oeuvre visionnaire.
Toute passion pour Hergé naît pendant l’enfance. Mon intérêt pour Tintin est donc presque aussi vieux que moi : Tintin au Tibet est, si mes souvenirs ne me trompent pas, le premier album que j’ai reçu, en 1960 : j’avais quatre ans. Quant à mes recherches sur la série, elles remontent à plus de trente ans : à ce jour où je me suis rendu compte que les albums d’Hergé étaient les seuls livres qui m’avaient constamment accompagné. Comprendre le miracle de cette œuvre, ce caractère « inusable » évoqué par Michel Serres, c’était déjà ce qui m’importait, au printemps 1976, quand j’adressai à Hergé une première lettre. C’est, aujourd’hui, ce qui continue de me préoccuper. J’ai vieilli avec Les Aventures de Tintin, mes interrogations se sont déplacées. Ma curiosité n’a pas faibli.
Ma première rencontre avec Hergé remonte au 29 avril 1977. Il répondit pendant plus de deux heures aux questions précises et pressantes, souvent naïves, parfois impertinentes, que nous lui posions, Patrice Hamel et moi-même. Je me souviens de sa disponibilité, de sa curiosité à notre égard et de ses éclats de rire. Je me souviens plus encore de la réécriture intensive à laquelle il soumit le texte de l’entretien, avant qu’il ne soit publié dans le numéro 25 de la revue Minuit. Sous la conduite de Roland Barthes et sur le modèle de son livre S/Z, analyse d’une nouvelle de Balzac, je travaillais alors à une lecture minutieuse des Bijoux de la Castafiore (cette étude vient de reparaître, dans une version retravaillée, sous le titre Lire Tintin, les Bijoux ravis). Il s’agissait pour moi, d’approcher une œuvre réputée mineure en lui portant la même attention qu’à un classique de la littérature.
Je croyais en être quitte avec Hergé lorsqu’il suggéra mon nom pour le gros volume sur son œuvre que voulaient réaliser ses éditeurs scandinaves et qui devint Le Monde d’Hergé. C’est pour ce livre qu’il m’accorda sa dernière interview, le 15 décembre 1982. Je me revois aux Studios Hergé, ouvrant ces grands tiroirs métalliques débordant d’un invraisemblable mélange de dessins originaux, d’épreuves diverses et de photocopies, ainsi que d’anciennes images de documentation, assorties par le père d’Hergé de cotes devenues incompréhensibles. J’allais de trouvaille en trouvaille, exhumant avec émerveillement des pages oubliées, des illustrations publicitaires et d’innombrables couvertures dessinées pour Le Petit Vingtième.
Au fil des ans, je n’ai cessé de retrouver Hergé. J’ai lu des dizaines de livres et de manuscrits à son propos, préfacé de nombreux volumes et dirigé chez Casterman une collection le concernant, la « Bibliothèque de Moulinsart ». J’ai assuré le décryptage et la mise en forme des brouillons de son histoire inachevée, Tintin et l’Alph-Art. Je me suis occupé de l’édition de son Œuvre intégrale pour les éditions Rombaldi, en vingt volumes dont les sept derniers recueillaient essentiellement des inédits. J’ai conçu et préparé avec Pierre Sterckx de vastes expositions comme Hergé dessinateur et Au Tibet avec Tintin, et réalisé pour Arte la soirée thématique Tintin reporter. Ces travaux furent l’occasion d’explorer minutieusement les archives d’Hergé, de me pencher sur les dessins de jeunesse, les publications dans la presse, les esquisses et les crayonnés, les carnets de notes, les correspondances publiques et privées.
Ma découverte essentielle fut celle d’un individu bien plus complexe que je ne l’avais d’abord imaginé. Rarement fut aussi manifeste le décalage entre la grandeur d’une œuvre et l’apparente fadeur de son auteur. Le Hergé public, celui des interviews, était parfois fatigant à force de candeur et de boy-scoutisme. Lisse, presque absent, il semblait vouloir disparaître derrière ses personnages. Mais derrière ce personnage public, il existait un autre Hergé. Ce Hergé-là, qui n’est pas toujours sympathique, cet homme parfois dur et souvent tourmenté, me semblait autrement passionnant. Même si plusieurs biographies étaient parues entre-temps, dont celle de Pierre Assouline, je me suis finalement résolu à entreprendre un nouveau portrait. Ce fut, en 2002, Hergé, fils de Tintin.
L’une des choses qui me passsionne dans le parcours d’Hergé, c’est qu’il est parti de presque rien et s’est peu à peu inventé, comme auteur et comme individu, à travers son personnage. Quel trajet que celui qui mène des maladresses de Tintin au pays des soviets aux finesses de Tintin au Tibet et des Bijoux de la Castafiore ! Quel parcours que celui qui a permis au petit employé d’un quotidien ultra-conservateur de devenir un amateur éclairé d’art contemporain et un lecteur du taoïsme!
Hergé, après plus de trente ans de recherches, n’a pas fini de me fasciner. Dans trente ans, je l’espère, mon regard sur son œuvre et sur lui sera devenu tout autre. B.P.
Dossier réalisé par Philippine Cruse
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Il est l'auteur de :
>Le Monde d'Hergé
>Lire Tintin, Les Bijoux Ravis
>Hergé, Fils de Tintin
>Visionner la bande-annonce de l'exposition Hergé qui se tient au Grand-Palais jusqu'au 15 janvier 2017 :
>Benoît Peeters, Le Monde d'Hergé
>Benoît Peeters, Lire Tintin, Les Bijoux Ravis
>Benoît Peeters, Hergé, Fils de Tintin
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