Prix littéraires

Chloé Delaume lauréate du prix Médicis pour «Le cœur synthétique»

Chloé Delaume remporte le prix Médicis 2020 pour Le cœur synthétique (Seuil). En pleine crise du Covid, le jury a choisi de couronner un texte qui parle des peines de cœur d'une jeune cinquantenaire confrontée au monde impitoyable de son obsolescence programmée. Il couronne aussi l'univers d'une écrivaine qui tisse par l'écriture le fil d'Ariane d'une vie en miroir de la folie du monde.

Chloé Delaume. Photo Leafar-Wikipedia Chloé Delaume. Photo Leafar-Wikipedia

Les jurés du prix Médicis ont choisi de couronner Chloé Delaume. Une écrivaine qui évoque dans son livre Le coeur synthétique (Seuil), les affres du coeur d'une presque cinquantenaire, se sentant au rebut du marché de l'amour. A l'ère de #metoo, ce choix peut se comprendre.

Chloé Delaume est à l'écriture ce que Sophie Calle est à l'art contemporain

Mais ce serait se méprendre sur le choix du jury que de le réduire à une gentille halte sur le front du féminin. Chloé Delaume est à la litérature ce que Sophie Calle est à l'art contemporain. Un Ovni qui se raconte et se reflète à l'infini, dont l'écriture se joue des miroirs et des histoires. L'écrivaine franco-libanaise mène un travail expérimental mêlé d'autofiction et de recherches sur le langage. Elle avait déjà reçu le prix Décembre pour Le cri du sablier (Farrago/Leo Scheer) en 2001 et depuis construit sa "maison déshabitée" avec  de belles briques imaginaires : ainsi en 2006 : J'habite dans la télévision (Verticales), en 2011 : Le Deuil des deux syllabes,(L'Une & l'autre), en 2012 : Une femme avec personne dedans (Seuil) ou encore en 2016 : Les Sorcières de la République (Seuil). 

Quand Boris Vian rencontre Antonin Artaud

 L'écrivaine s'est baptisée Chloé en hommage à l'héroïne de L'écume des jours de Boris Vian et Delaume en référence à Antonin Artaud, dans  L'Arve et l'Aume. L'écrivaine  s'en était expliqué dans un entretien de la Bibliothèque Médicis : « Il y a mort de l'identité civile parce que je ne l'ai pas choisie. Un beau matin je me suis dit “ça suffit, ma vie ne me convient pas, qui je suis ne me convient pas, je vais être autre” et j'ai pris cette décision. »

Celle qui s'appelait initialement Nathalie Dalain est née en 1973 d'une mère française et d'un père libanais. Son enfance à Beyrouth, est marquée par la guerre civile et la destruction de sa maison. En 1983 se déroule à Paris un drame qui hantera toute son œuvre : alors qu'elle n'a que dix ans, son père tue sa mère devant ses yeux puis se suicide.

Elle définit elle-même son entreprise littéraire comme une « politique de révolution du Je » dont la volonté interne serait de « refuser les fables qui saturent le réel, les fictions collectives, familiales, culturelles, religieuses, institutionnelles, sociales, économiques, politiques et médiatiques. » (La Règle du Je)

Quand Adélaïde ne rencontre plus personne

Dans Le coeur synthétique, Chloé Delaume s'attaque à l'obsolesecnce programmée de la vie amoureuse des femmes. Au delà de cinquante ans, votre ticket n'est plus valable. Adélaïde vient de rompre, après des années de vie commune. Alors qu’elle s’élance sur le marché de l’amour, elle découvre avec effroi qu’avoir quarante-six ans est un puissant facteur de décote à la bourse des sentiments. Obnubilée par l’idée de rencontrer un homme et de l’épouser au plus vite, elle culpabilise de ne pas gérer sa solitude comme une vraie féministe le devrait. Entourée de ses amies elles-mêmes empêtrées dans leur crise existentielle, elle tente d’apprivoiser le célibat, tout en effectuant au mieux son travail dans une grande maison d’édition. En seconde partie de vie, une femme seule fait ce qu’elle peut.
La romancière fait son autorévolte dans ce livre incisif dans lequel une mariée déchue se met à nu devant les célibataires en puissance. Adélaïde ressemble aux femmes qui prenent de l'âge sans vieillir et restent toujours des petits filles qui rêvent de devenir grandes. Le lecteur se laisse envelopper dans le tissu synthétique de ce coeur qui ne palpite plus. Adélaïde aurait pu s'appeler Emma, en hommage à Emma Bovary. Sauf qu'Adélaïde n'a personne sur qui projeter ses passions. Et plus de mari à empoisonner. Juste l'écume de ses jours restants à occuper. Au mieux du pire ou au pire du mieux. Selon. Les statistiques, elles, sont sans appel : « Il y a plus de femmes que d’hommes, et ils meurent en premier. » 

> Chloé Delaume, Le coeur synthétique, Seuil, 208 p, 18 euros

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