Lauréate du prix Madeleine Zepter 2010, Simonetta Greggio a choisi de remonter le temps. Elle nous plonge avec Dolce Vita 1959-1969 dans une Italie entre flamboyance et décadence, avant son crépuscule, faisant vivre au lecteur une tranche d’histoire et d’histoires. C’est écrit comme un roman, raconté comme un film, construit comme un récit épique. Nous avons été conquis, vous le serez aussi, par ce récit qui cherche au détour des années sixties les limites vénéneuses d’une liberté sans entraves.
Lorsque Federico Fellini présente son film La Dolce Vita en 1960, il règne un parfum de scandale et une excitation immense devant ce qui semble la bible d’une nouvelle génération. Le film remporte la Palme d’or à Cannes en 1960. La silhouette trempée d’Anita Ekberg qui sort de son bain de minuit dans la fontaine de Trévise devient l’emblème d’une nouvelle sensualité insolente qui rime avec désinvolture et avidité. Cette génération veut tout, tout de suite : des voitures qui roulent vite, des femmes qui rient avec des dents blanches, des hommes qui chassent leurs conquêtes à vue, le temps qui s’arrête, l’alcool à profusion et… des films pour rêver. Comment ne pas être marqué à jamais par une époque aussi particulière quand on a eu la chance de naître en Italie dans les années 60 ? Simonetta Greggio est née avec ce film, et elle a grandi avec les personnalités mythiques qui ont peuplé l’Italie de son enfance : des monstres sacrés qui s’appelaient Fellini, Mastroianni, De cette mémoire elle puise des sensations et des images qu’elle fait défiler.
On croise Anouk Aimée,
Visconti, Rubirosa, Pasolini, Cesare
Pavese mais aussi le père Angela Arpa, le cardinal Montini, Anna-Maria Caglio surnommée le Cygne Noir, ainsi que d’innombrables
seconds rôles ou personnalités politiques de l’époque. On entend le son des chansons
qui twistent, les crissements des jupes en faille de soie, les pétarades de
scooters colorés et les effluves des parfums capiteux. Simonetta semble se
mouvoir dans cette armée de fantômes comme si elle habitait leur esprit. Elle
les ressuscite le temps de quelques pages, nous donne un rôle dans la grande
figuration de ces années qui claquèrent
comme une promesse et se poursuivirent en bain
de sang. Plus les pages se révèlent insouciantes, plus elles préparent
celles des débordements : viols, violences et meurtres. La vie est une
fête ? Parfois les protagonistes se réveillent avec la gueule de bois . En toute impunité, un fossé se creuse
entre cette jeunesse dorée dont la revendication d’une liberté sans entraves
flirte parfois avec le excès sans limites et ceux qui en sont exclus, rattrapés
par la révolte et la pauvreté.
Simonetta Greggio nous monte comment le terrorisme vient briser cette douce insouciance. En 1969, l’attentat de Milan fait 16 morts, et traumatise l’Italie entière. Les Brigades Rouges viennent sans résistance instaurer leur terreur dans une société en plein délitement. De son côté la mafia scelle inexorablement son emprise envers ceux qui croient lui tourner le dos. Lorsque Aldo Moro est tué avec ses 5 gardes du corps, le 16 Mars 1978, dans une embuscade au carrefour de via Mario Fani et via Stresa, l’Italie est sous le choc, comme en apnée. La Dolce vita n’est plus. Les jeunes hussards de l’Ile des plaisirs troquent le verre de champagne pour de plus âpres produits. Quant aux autres, ils savent que plus rien ne sera jamais comme avant.
On savait Simonetta Greggio journaliste ou romancière. De son premier métier elle a appris la rigueur dans la recherche de l’information et la volonté de coller à l’époque. De son second, elle a retenu le style, élégant fin et toujours inattendu dans sa recherche du mot juste. Il faut dire que l’auteure italienne écrit en français et qu’elle manie notre langue en l’honorant à chaque phrase. On se souvient de son magnifique « La douceur des hommes »( Stock) qui avait consacré immédiatement son entrée en littérature avec un beau portrait de femme à l’ombre de ses amours intenses. Suivirent Etoiles (Flammarion), un savoureux voyage au coeur de la sensualité et de la cuisine en Provence, Col de l’ange ( Stock), un texte sur le deuil l’enfance et la résurrection des rêves, Les Mains nues (Stock), un récit âpre sur les amours interdits entre une vétérinaire de campagne et un jeune adolescent de 14 ans et les brutales conséquences qui s’en suivent.
Avec Dolce Vita, Simonetta Greggio réunit ses deux métiers, puisque cette fois-ci, son ouvrage est à la fois le fruit d’une immense recherche d’archives (2 ans de travail, avec l’aide d’une documentaliste de grand talent, Nicoletta Pacetti) et celui d’une sorte de rêve éveillé pour nous faire revivre 20 ans d’histoire italienne récente, deux décennies qui virent dans un temps court émerger une deuxième Renaissance créative, puis la fin d’un monde, annonciatrice de la vacuité de l’Italie de Berlusconi.
Dolce Vita n’est plus seulement aujourd’hui le nom d’un film : il est aussi désormais celui d’un livre qui capture magistralement les racines de l’époque moderne. Un hommage à la grâce des derniers Guépards qui sonne le glas d’une époque où la désinvolture ne se départait jamais d’une certaine élégance. La flamboyance n’est plus ce qu’elle était.
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