Alors que son dernier livre « Mirage »(Belfond) se place déjà en tête des ventes en librairie, Douglas Kennedy poursuit son interrogation sur les secrets propres à chacun et les difficultés des couples en quête d'amour rédempteur. Dans ce récit qui se situe au Maroc, l'auteur américain alterne chocs de culture, révélations du passé et désillusions. Nous avons rencontré à Paris celui qui sait mieux que quiconque entraîner son lecteur au delà de ses "doutes raisonnables" et révéler les parts invisibles de ses héros. Saurons-nous percer les siennes ?
[image:1,g,l] Le couple est-il un mirage? Le réel est-il celui que "vous" voyez? Ou croyez? Ou espérez? Ces questions semblent tout droit sorties du douzième roman de Douglas Kennedy, "Mirage". Après l'avoir lu, vous ne regarderez plus tout à fait de la même manière ceux qui aiment les belles montres, le désert marocain, surtout s'ils sont artistes et un peu dépressifs... Peut-être même que vous ne considérerez plus les couples de la même manière.
Car si "Mirage" compose un récit haletant qui prend le lecteur sans le lâcher jusqu'à la dernière page, c'est aussi un livre plus grave qui pose la question du mystère des êtres, de la manière dont leur vie les rattrape un jour ou l'autre, un thème récurrent chez Douglas Kennedy, traité avec une particulière acuité dans ce dernier opus.
L'écrivain américain qui sait si bien mettre en scène "Ces intants-là" nous donne rendez-vous à l'Hôtel du Nord, adresse mythique, non loin de son appartement parisien. Atmosphère, atmosphère. Le canal Saint Martin veille imperturbable, prêt à nous emporter dans une embarcation de fortune pour échapper à une menace soudaine. Car il faut se méfier d'un écrivain américain francophile qui sait décrire les glissements du réel dans les couches de la mémoire cachée.
"Mirage" parle d’un couple, d’un voyage, d’une disparition… et du mystère qui existe en chacun. « Est-il possible de connaître quelqu’un d’autre ? Chacun a ses secrets, ses zones d’ombre, n’est-ce pas ? Et nous-mêmes ? Ne portons-nous pas nous aussi notre part d’inexploré ? C’est l’un des points de départ de 'Mirage'. J’ai voulu montrer une femme, Robyn, qui pense que tout peut rentrer dans un tableau Excel - elle est expert-comptable- et qui se retrouve débordée par la vie. N’est-ce pas ce qui arrive quand on croit tout maîtriser ? »
"Mirage" est un roman psychologique, autant qu'un récit de suspense : Douglas Kennedy a-t-il voulu brouiller les pistes et entraîner son lecteur dans une histoire et le divertir ? Ou plutôt l’inviter à se mirer dans la mise en abyme d’un personnage féminin qui s’accroche à une réalité qu’elle souhaite comprendre, malgré son déni des faits qui se déroulent sous ses yeux ? « J’aime l’idée de superposer plusieurs niveaux de récit. Il y a ici l’intimité d’un couple, l’exotisme d’un voyage, le désert, une grande aventure, un suspense…» Pari gagné dans ce roman dont on ne lâche pas les 426 pages. Avec ce douzième livre, Douglas Kennedy montre qu’il est devenu maître dans l’art du rythme. En fouillant les psychologies de ses personnages au point de donner au lecteur une sensation de familiarité, il n’hésite pas à installer des mises en tension, des doutes. Le lecteur lui-même se trouve parfois déstabilisé. Alors qu’il s’attache à un personnage, celui-ci se dévoile autre qu’il lui apparaissait initialement. Pourtant quelques indices avaient été délibérément laissés comme des cailloux de Petit Poucet dès le début du livre. Mais le lecteur, tout comme l’héroïne n’ont pas eu envie de les « voir ». « Milan Kundera m’avait confié un jour que tout est mis en place dans une histoire d'amour après quelques jours.Toutes les cartes sont posées. Nombreux sont ceux qui ne voient pas ce qui est sous leurs yeux, aveuglés par leur volonté de 'construire' une jolie histoire. C’est ce que fait Robyn, l’héroïne de 'Mirage'. De nombreuses femmes se retrouveront en elle : vaillant petit soldat qui manque de confiance en elle, séduite par ce bel homme si différent d’elle, elle veut à tout prix croire à son couple. »
Les contraires s’attirent-ils toujours, comme une fatalité et le couple n'est-il alors que le produit d'inévitable construction fantasmatique? « Ce couple improbable est très contrasté. Robyn est en effet attirée par ce qui lui échappe, car c’est cette part de mystère qui cimente son désir… Ele éprouve aussi un mélange de culpabilité et de fascination, car il est artiste et elle est si rationnelle. C’est elle qui gagne l’argent et qui pense le posséder aussi de cette manière. ».
Mais c’est finalement lui qui la convainc de partir au Maroc, hors de sa zone de sécurité. Pourquoi le Maroc ? « Je connais bien ce pays dans lequel j’ai séjourné une douzaine de fois, tout comme d’autres pays de l’Afrique du Nord, l’Algérie et la Tunisie. Je reste très fasciné par ces cultures qui semblent si proches et qui sont si opaques pour nous. » Un sentiment d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère des romans de Paul Bowles (Un thé au Sahara ou Réveillon à Tanger), évocation d’un monde qui se dérobe, lumineux autant que secret, qui n'est pas régi par la raison. « La principale folie de mon héroïne est qu’elle essaie d’avoir un comportement rationnel dans un contexte irrationnel. Le Maroc me semblait un juste miroir du flottement de la relation de couple et de la disparition du mari, Paul.» Et quid du Sahara, presque un personnage dans le livre ? « Le Sahara est un infini, un lieu de mort autant que de transformation. » Au point d’en faire aussi le point de convergence des plus grandes violences, mais aussi de la solidarité et même de la réflexion spirituelle, comme il apparaît dans cette citation (p. 271) : « Le désert est une tabula rasa, au sens propre comme au sens figuré, un espace sur lequel la vie humaine n’a pas projeté sa chaotique prévisibilité ». Douglas Kennedy de poursuivre : « Le désert est un extrême, et c’est pourquoi il est un lieu méditatif.» Représentation d’un Maroc couleur locale qui pourrait friser le cliché? Même si le lecteur en aura pour sa curiosité et appréciera de trouver en Douglas Kennedy un guide qui l’emmènera de Casablanca à Essaouira, en passant par Ouarzazate et le Sahara. « Je suis romancier. Je ne suis pas journaliste. Je restitue à ma façon des scènes qui sont aussi la manière dont les protagonistes, américains en l’occurrence, perçoivent ce pays. Le cliché c’est aussi la manière dont chacun tente de s’approprier un univers complexe. C’est ce que tente de faire Robyn ».
Le récit construit de manière très visuel se déroule un peu comme un film :
le lecteur lit autant qu’il a l’impression de « regarder ». La « morale »
de cette aventure marocaine ? « L’identité
n’est jamais figée. Et la vérité n’existe pas en tant que telle. Le réel existe
dans une interprétation subjective et inévitablement partielle. » La
fatalité humaine, ne jamais savoir ? « La
fatalité ou la liberté. Le mystère renvoie aux ressources insoupçonnées qui
existent en chaque individu, qui peuvent se révéler à leur insu, à la faveur de
tel ou tel événement. ». Un thème cher au romancier qui a souvent joué
des tumultes de l’apparence, que ce soit dans L’homme qui voulait vivre sa vie, La poursuite du bonheur ou Piège nuptial.
Nous n'en saurons pas davantage. Et le mystère ne sera pas levé. Nous savions bien qu’il
fallait se méfier d’un romancier qui est devenu un expert en exploration psychologique dans la nuit de vies apparemment ordinaires. Le constat
est sans appel : 8 millions de livres vendus à ce jour dans le monde entier. Et une réalité qui n'est pas un mirage : Douglas Kennedy sait murmurer à l'oreille de ses lecteurs.
>>Douglas Kennedy, Mirage, Traduit de l’américain par Bernard Cohen, Belfond, 425p.
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>Pour les amateurs de Douglas Kennedy, signalons aussi la sortie chez Omnibus d'un livre qui rassemble sous le titre de "Des héros ordinaires", quatre romans parmi les plus emblématiques de l'auteur : L'homme qui voulait vivre sa vie, Les désarrois de Ned Allen, Rien ne va plus, Piège nuptial. >>aller sur la fiche du livre.
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