Depuis l'adaptation cinématographique de « Cinquante nuances de Grey », le best seller de E.L. James sorti en 2015, le best seller de E.L. James n’en finit pas de générer suites et imitations. L’apparition d’une littérature érotique destinée aux femmes semble confirmer son succès. Peut-on parler aujourd’hui d’une littérature érotique spécifiquement féminine ? Et si oui, quelles en sont les caractéristiques ? Michèle Larue, auteure de livres érotiques dont les très inspirés « Osez le sexe tantrique » (La Musardine) et « Osez booster votre libido » (La Musardine) nous en explique les caractéristiques.
Publié par La Pléiade dans les œuvres complètes de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves se situe à la Cour de Henri II à la grande époque de la galanterie. La comtesse de Lafayette éprouve peut-être la nostalgie de ces années de liberté et de grâce qui ont baigné son enfance, mais dont elle n’a pas profitées, ces années qui virent une aristocratie « toujours occupée des plaisirs ou des intrigues », le début d’un 17e siècle élégant et baroque où « les dames y avaient tant de part que l’amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour» et auxquelles la Fronde vient mettre fin. L’excitant conte de fée de Mme de Lafayette doit sa résurrection à Nicolas Sarkozy qui manifesta, avant son élection en 2006, sa volonté d’enterrer la culture : « un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. »
Retenu et féminin, le roman explore tous les émois sensuels d’une passion impossible puisque, bien qu’elle ait eu des amants, la princesse est mariée pour le meilleur et pour le pire. L’érotisme suggestif des situations et des émotions s’arrête en deçà d’un acte sexuel qui aurait signé la fin d’un désir que l’auteur se plaît à faire durer, campant des scènes qui conjuguent voyeurisme et narcissisme. La plus osée décrit comment la princesse attache des rubans à un «bâton issu d'une plante exotique apprécié pour sa fermeté. » Mme de Sévigné écrivait au sujet de son amie Mme de Lafayette : « Jamais femme sans sortir de sa chambre n’a fait de si bonnes affaires » soulignant l’autoérotisme qui sous-tend son écriture. Le voyeurisme si explicite dans l’érotisme contemporain joue sur l’imagination de ce qui pourrait avoir lieu entre Nemours et la princesse, si la passion qui les lie l’un à l’autre les amenait dans le clair-obscur d’une chambre. Nous sommes aux antipodes des romans libertins qui pullulent déjà en cette fin de siècle, des ouvrages écrits par des hommes pour des hommes, et qui ressasseront à l’envi tout au long du 18e siècle et au-delà la fouterie ordinaire, des jouissances sexuelles dont la multiplicité chimérique a une fonction masturbatoire et rassure le lecteur sur ses propres capacités.
La libération sexuelle a permis aux femmes de se lancer à leur tour dans une littérature transgressive et d’exposer leurs fantasmes au grand jour. A l’époque de sa parution en langue anglaise, dans les années 70, l’Amérique est interloquée d’apprendre qu’Histoire d’O a véritablement été écrit par une femme, Pauline Réage. Construction fantasmatique à partir du masochisme extrême d’O, une jeune fille gâtée par la vie, le roman raconte la reddition d’O à un lord sadique et ce, jusqu’à la déchéance.
Un demi-siècle plus tard, le second succès féminin français de la littérature érotique, La vie Sexuelle de Catherine Millet, correspond à des fantasmes de plus en plus répandus dans les couples : la partouze, version prosaïque souvent étriquée de l’orgie. Traduit dans un grand nombre de langues, le récit passe comme une lettre à la poste à l’international : depuis une quinzaine d’années, les clubs libertins ont poussé comme des champignons. Le fantasme masculin de trouver dans un coin obscur d’un club échangiste une femme aussi accueillante que Catherine Millet telle qu’elle se décrit elle-même et, pour une lectrice, l’envie secrète d’offrir ses orifices à des inconnus se répand comme une traînée de poudre. Le réel influence le récit, qui génère à son tour des modes et des envies : le sexe et les partenaires multiples sont entrés dans les mœurs.
Six années plus tard, le succès mondial d’un autre roman, écrit cette fois par une Anglaise, la trilogie Fifty Shades of Grey, est le troisième succès féminin érotique contemporain à l’échelle mondiale. Comme dans Histoire d’O et La vie sexuelle de Catherine Millet, l’héroïne est sexuellement soumise à l’homme. Le contrat que son « maître » Mr Grey propose à cette jeune fille vierge énumère tout ce qui lui sera fourni dans ce cadre, du coaching sportif à la garde-robe bling-bling. Les conditions dorées de sa soumission donnent à la pauvre O, l’esclave de Lord Stephen, des allures de Cosette.
C’est le rapport au réel qui différencie La vie sexuelle de Catherine Millet (2001) d’Histoire d’O (1954) : n’ayant pas pris une ride, ni perdu un iota de sa provocation en un demi-siècle d’existence pour qui le découvre aujourd’hui, le roman signé Pauline Réage, Histoire d’O, est une construction fantasmagorique au même titre que le célèbre Truismes de Marie Darrieusseq dans lequel la protagoniste se transforme peu à peu en truie pour servir d’exutoire sexuel à des hommes. Signé d’un pseudonyme, le récit romanesque de Pauline Réage a permis à l’auteure de dissimuler ses penchants pour ce type de relations amoureuses à une époque où ce tabou était infranchissable. Ancré dans le réel, La vie sexuelle de Catherine Millet est une tranche de vie croustillante et authentique où la femme s’en donne à cœur joie dans des boîtes échangistes et prend plaisir à servir d’objet sexuel. Dans ces années, l’autobiographie narcissique bat son plein, dans la foulée de Christine Angot et de son oeuvre littéraire stigmatisée par l’inceste. Quoi qu’il en soit - et en dépit du phénomène de mode médiatique échangisme/inceste dans la littérature, il a fallu du courage à Catherine Millet, directrice du prestigieux magazine Art Press, pour exposer au grand jour une intimité aussi sulfureuse. Avec ce roman tombe l’un des derniers tabous.
Par la suite, l’auteur devra aller plus loin pour être médiatisé et vendre, à condition de respecter le schéma de la protagoniste soumise aux désirs sexuels de l’homme : les humiliations, la prédation, l’utilisation de la femme par plusieurs hommes est une nécessité pour qu’un livre se vende et… pour trouver un éditeur. Une même audace habite des récits autobiographiques haut en couleur signés Catherine Robbe-Grillet, Annick Foucault ou Gala Fur, véritables transgressions dans le registre du sadomasochisme sauf qu’ici, c’est la femme tient les rênes. Hormis Cérémonies de Femmes publié sous un pseudonyme par l’épouse du célèbre écrivain Alain Robbe-Grillet, ces récits autobiographiques dans lesquels la femme domine l’homme ont un succès relatif puisque le lecteur ne peut pas s’identifier à un homme qui obéit aux caprices d’une femme, tandis que la lectrice fantasme sur la victime, consentante ou non. Le grand public a donc massivement coopté pour la soumission cinq étoiles de l’héroïne de la romance Fifty Shades of Grey.
Encouragées par le succès de Fifty Shades dans le genre « romance » anglo-saxonne, des jeunes femmes s’éclatent aujourd’hui à écrire de l’érotisme sur le mode séduire-utiliser-refuser, en bref : consommer du sexe. Dans ces livres, les maigres ficelles des intrigues et des rebondissements et l’artificialité outrée des situations menant à des scènes sexuelles sont loin des transgressions de la littérature érotique du 20e siècle qui a fait long feu. En effet, le porno se vend bien. L’auteur vise l’efficacité, et les éditeurs n’hésitent pas à demander à leurs auteurs d’ajouter des scènes de sexe plus explicites au besoin. La trilogie des Linux, Le journal d’Elsa Linux et Elsa Linux à Saint-Tropez, est bien plus salée que son inspiration américaine Le journal de Bridget Jones. Les Françaises vont plus loin que leurs consoeurs américaines qui sont finalement assez prudes, dans le verbe comme les situations. La Rééducation sentimentale d’Emma Cavalier ou Sex in the kitchen d’Octavie Delvaux frôlent les 10000 exemplaires vendus, un record rarement dépassé par les éditeurs français spécialisés dans le genre, à quelques exceptions près. Le jeune lectorat est féminin, formé par les magazines « mode et psycho » de type Biba, Glamour et Grazia, et rêve d’une vie sexuelle épanouie et pour certaines, hors des sentiers battus. Alors que leurs grand-mères rêvaient au Prince Charmant, ces jeunes femmes sont prêtes à tenter des expériences sexuelles de toutes sortes et fantasment tout autant que les auteurs des romances. Octavie Delvaux, l’auteur débordant d’imagination de Sex in the kitchen, qui met en scène une bande de filles utilisant les hommes, écrit sur son blog « il m’arrive de ressentir un émoi d’ordre sexuel, plus ou moins marqué selon les scènes, les fantasmes qu’elles véhiculent, et mes propres états d’âme au moment où j’écris. »
La manipulation des médias accentue indirectement la vulgarité des contenus. Plus les descriptions sont explicites et outrées, plus les livres ont une chance d’avoir de la presse et de se vendre comme des petits pains. Comme le libertinage, la littérature érotique a toujours été une réaction contre l'ordre établi, une explosion de rébellion exprimant un besoin de liberté dans un environnement d’austérité. Le 21e siècle promeut le sexe comme un produit de grande consommation et quand le contenu masturbatoire tient le haut du pavé, le choix de lectures érotiques devient difficile, compte-tenu du manque de critiques pertinentes.
De la romance à la pratique, il n'y a qu'un pas, que la collection des petits manuels OSEZ (La Musardine) franchit aisément. Une collection, dont certains titres cartonnent est par contre très ciblée : on y trouve ce que l’on cherche sur une sexualité ou une pratique sexuelle. D’après le directeur de la collection, « le propre des Osez... est que chacun d'entre eux est incarné, à l'image de la personnalité réelle ou fictive de leur auteur, souvent très concerné par leur sujet. »
Michèle Larue
Journaliste, nouvelliste et documentariste, Michèle Larue a publié Cuba satisima (contes cubains) aux éditions Descartes et Cie et de nombreuses nouvelles érotiques en France et à l’étranger, ainsi que le récent manuel Osez le sexe tantrique aux éditions La Musardine. Elle a réalisé des documentaires sur les rapports sociaux de sexe pour la télévision dont Cuba entre chien et louve (Planète) et La Fiancée du danger (FR3).
La Musardine est une librairie érotique, ainsi qu'une maison d'édition spécialisée dans la BD érotique, le roman érotique, l'histoire érotique et films érotiques.
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