Une brève apparition dans « La promesse de l’aube », de Romain Gary, a fait de M.Piekielny le personnage principal de la dernière œuvre de François Henri Désérable, Un certain M. Piekielny (Gallimard). De ce personnage fantôme, l’auteur parvient à créer un roman envoûtant à la limite entre le vrai et le faux, la fiction et l’imaginaire. Alors que le célèbre roman de Romain Gary fait l'objet d'une adaptation au cinéma par Eric Barbier, revenons sur les traces de cette mise en abime littéraire, que n'aurait pas renié l'écrivain emblématique.
«"Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny..."
Quand il fit la promesse à ce M. Piekielny, son voisin, qui ressemblait à "une souris triste", Roman Kacew était enfant. Devenu adulte, résistant, diplomate, écrivain sous le nom de Romain Gary, il s’en est toujours acquitté : "Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme", raconte-t-il dans La promesse de l’aube, son autobiographie romancée. Un jour de mai, des hasards m’ont jeté devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka. J’ai décidé, ce jour-là, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny.»
En voyage à Vilnius, en Lituanie, François-Henri Désérable tombe sur une plaque indiquant la cour d'immeuble où Romain Gary passa son enfance avec sa mère de 1917 à 1923. Le jeune écrivain décide alors de suivre l’enfant qu’était Gary et suit la trace d'un autre fantôme : ce voisin nommé Piekielny qui apparaît dans La Promesse de l'aube, œuvre où l’écrivain évoquait son enfance, sa relation fusionnelle avec sa mère, qui lui promettait la gloire. Un certain M. Piekielny, avait fait promettre à l’enfant de répéter à chaque personne influente de ce monde qu’il rencontrerait forcément, d’évoquer juste son nom, pour qu’il reste vivant à tout jamais. Si cet épisode est vrai son souhait c’est réalisé puisque 100 ans plus tard, son nom est au centre de la rentrée littéraire. Gary a toujours affirmé avoir tenu sa promesse à l’ONU, devant Charles de Gaulle ou la reine d’Angleterre. Vérité ou mensonge ? François Henri Désérable s’aventure dans la littérature et l’Histoire et emmène son lecteur, comme le faisait Romain Gary dans l’illusion et l’affabulation. L’auteur décide de partir sur les traces de la communauté juive italienne, de Wilno (aujourd’hui Vilnius), exterminée par l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale tout comme le personnage étonnant de M. Piekielny. Ainsi commence l’incroyable quête de François-Henri Désérable sur les pas de Romain Gary et de son mystérieux voisin.
Le jeune écrivain cherche à savoir si M. Piekielny a vraiment existé. « Chaque paragraphe de La Promesse est sujet à caution » nous rappelle François-Henri Désérable. Quand il s’agit d’un auteur comme Romain Gary, tout est remis en question, démêler le vrai du faux devient un véritable casse-tête. L’œuvre repose sur une multitude de chemins à emprunter. "Mille histoires peuvent être tramées", écrit notamment l’auteur. Le véritable charme du roman réside notamment dans cette phrase. Le récit, à plusieurs niveaux et aux mille sentiers, parvient, au fur et à mesure à trouver une ligne et à conquérir le lecteur. L’auteur d' Un certain M.Piekielny, fait le choix de donner corps à ce personnage de roman en imaginant qu'il est réel, avec moukt détails sur son âge, son travail et même sa vie amoureuse. S’il fait face à un manque cruel d’informations concrètes pour réaliser ce portrait, l’imagination reste son meilleur allié.
Ce portrait "en abime" se tisse aussi sur fond d'Histoire réelle, qui apporte toute la vraisemblance au roman. L’auteur raconte avec une certaine gravité, les drames vécus par les Juifs de Vilnius, dont aurait pu faire partie M. Piekielny. Entre fiction et réalité, François-Henri Désérable, accompagne son lecteur au sein d’une histoire troublante.
Un certain M.Piekielny, est une œuvre qui s’ouvre sur plusieurs horizons. Inclassable elle associe à la fois l’autofiction amusante, l’essai divertissant, la biographie littéraire ou encore la tragédie historique. L’auteur propose un jeu entre fiction et réalité et nous conduit sur la route de personnages au cœur d’évènements-clés de l’Histoire. Ce roman savoureux sait captiver son lecteur et le diriger sur de fausses pistes en éveillant sa curiosité grâce à des chapitres courts et vifs. Cette enquête sur M.Piekielny est aussi un moyen pour François-Henri Désérable de nous parler de l’œuvre et de la vie d’un auteur qu’il apprécie particulièrement. Le jeune écrivain passe de Piekielny à Gary, de manière très fluide, sans jamais perdre le lecteur. Il nous fait partager sa grande admiration pour Romain Gary et donne envie de découvrir ou de redécouvrir cet auteur. On referme ce roman le sourire aux lèvres et plein de questions en tête, dont une, qui se démarque davantage : que ce soit réel ou fictif, l’important n’est-il pas seulement de croire à ce que nous lisons ?
« Gary, on le voit, ne faisait pas la guerre. Qu'est-ce que c'est d'ailleurs que la guerre ? Le massacre de gens qui ne se connaissent pas, disait Paul Valéry, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. Un amplificateur d'héroïsme et de bassesse. La meilleure part de hommes, et la pire. La fureur de vivre décuplée par l’imminence de la mort. et aussi, pour les Français de Londres, un salon mondain sous les bombes. »
« On croit que l'écrivain choisit toujours le sujet de ses livres. [...] Or ce n'est pas toujours le cas, en tout cas pas souvent, pour ainsi dire jamais. Mais après tout, s'il plaît à l'écrivain de penser qu'en ce domaine il est bel et bien tout puissant, que rien n'est à l’œuvre sinon sa seule volonté, pure, inaltérable, dénuée de contraintes, au nom de quoi viendrait-on lui ôter ce plaisir ? Pourquoi ne pas laisser se bercer d'illusions ? Faut-il vraiment lui dire qu'en vérité c'est le sujet qui le choisit, bien plus qu'il ne choisit son sujet ? Des évènements hétéroclites, en apparence anodins et dont la logique lui échappe, se succèdent dans un désordre trompeur ; peu à peu, voilà qu'ils s'agencent parfaitement, qu'ils font sens, l'idée germe, chemine et l'écrivain, frappé par l'évidence, se frappe le front, eurêka, il tient son sujet; le livre est là, il peut déjà le lire en esprit : il n'y a plus qu'à l'écrire. »
« Qui veut naviguer revêt un tricot rayé, une vareuse et, par coquetterie, se couvre le chef d'un bonnet blanc et bleu - lequel, pour plus de fantaisie, peut être surmonté d'un pompon rouge. Qui s'apprête à plonger enfile une combinaison, chausse des palmes, s'équipe d'un masque et se munit d'un tuba. Qui compte mener une enquête se couvre d'un trench, coiffe un chapeau melon, tire quelques bouffées d'une pipe en écumé et se pourvoit d'une loupe - ou ne fait rien de tout cela et va sur Google. »
Né à Amiens en 1987, François Henri Désérable fait son entrée en littérature à l’âge de vingt-cinq ans après des études de langues et de droit (thèse de doctorat). Sa reconnaissance se fera avec Tu montreras ma tête au peuple, un étonnant recueil d’histoires sur la Révolution française qui a été récompensé par de nombreux prix littéraires tel que le prix Amic de l'Académie française, le prix de la Vocation ainsi que le prix Jean d'Heurs du roman historique. Cependant ses talents d'écriture étaient déjà reconnus lorsqu’il était plus jeune puisqu'il a reçu le Prix du jeune écrivain de langue française en 2012 pour Clic ! Clac ! Boum !, une nouvelle au sujet de la mort de Danton. En 2015, il publie une biographie romancée sur Evariste Galois, prodige des mathématiques mort à vingt ans pendant un duel et qui s’intitule "Évariste". Cette œuvre lui a valu la bourse écrivain de la Fondation Lagardère. Son récit a notamment été sélectionné pour le prix RTL-Lire, pour le prix des étudiants France Culture-Télérama et pour le prix du livre Inter 2015. Il sera finalement récompensé par le prix des lecteurs l’Express BFMTV 2015. Son dernier roman "Un certain M. Piekielny" a été sélectionné au premier tour du Prix Renaudot 2017 puis au premier tour du Prix Goncourt 2017. A côté de son métier d’écrivain, il collabore également aux revues "L'Infini" et "Décapage". Il a aussi été joueur de hockey sur glace professionnel, comme son père avant lui.
Les lauréats du Prix Mare Nostrum 2024 vient de livrer la liste de ses lauréats. Chaque lauréat recevra une dotation de 2 000 € pour sa c
Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast
La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.