Voilà c'est parti. Après un début d'année 2012 bien difficile pour le monde de l'édition, la "si française" rentrée littéraire de l'automne ouvre de nouveaux horizons.
Les 646 romans de la rentrée arrivent chez les libraires avec ce mélange d'excitation et d'angoisse.
Quels seront les livres dont on va parler, ceux qui nous feront rêver ou frissonner, ceux qui nous hanteront ou qui nous décevront?
Qui seront les nouveaux talents qu'à chaque rentrée les critiques et les lecteurs espèrent, parfois découvrent?
Le cru 2012 a sorti toutes ses cartes: Gros tirages et très belles découvertesen perspective.
Viabooks a le plaisir de vous accompagner tout au long de l'automne pour suivre ce moment tant attendu où les lettres sont mises à l'honneur.
Les chiffres le confirment. 2012 sera l'année des gros tirages. Les éditeurs prônent les valeurs sûres. Amélie Nothomb fête ses vingt ans avec Barbe Bleue (Albin Michel). Christine Angot développe son grand succès L'Inceste avec Une semaine de vacances (Flammarion). Philippe Djian nous rappelle 37,2 le matin dans Oh (Gallimard), Jean Christophe Grangé publie Kaiken (Albin Michel). Quant à Patrick Modiano avec L'herbe des nuits (Gallimard) et Jean Echenoz avec 14 (Minuit) il faudra patienter le mois d'octobre. Côté étranger, notons la publication du livre devenu un phénomène en quelques mois outre atlantique. Fifty Shades of grey, à paraître chez JC Lattès le 17 octobre sous le titre de Cinquante nuances de gris. Cette trilogie sado mas de E.L James a déjà été vendue à plus de 40 millions d'exemplaires dans le monde... De la même manière, tout le monde attend avec impatience le nouveau roman de JK Rowling qui écrit désormais pour les adultes et a délaissé Gallimard pour Grasset... Sortie le 27 septembre. Si côté français, le nouveau roman de J.C Grangé, Kaïken (Albin Michel) a été tiré à 200 000 exemplaires, on peut imaginer un chiffre vertigineux pour le roman de celle qui a dépassé toutes les limites avec Harry Potter. Ainsi près de 60 titres dont les tirages atteignent ou dépassent les 100 000 exemplaires. Après une année où les élections ont pris les devants de la scène, les éditeurs misent sur les gros calibres.
Une rentrée littéraire en France ne serait pas une vraie rentrée littéraire sans la présence de certains de ses fervents protagonistes germano pratins. Dans un pamphlet irrésistible, Natacha Braque, Rivegauchez-vous! (éditions de l'Opportun) s'indigne et appelle au rassemblement pour "hisser le pavillon d'urgence, entrer en résistance" car "il est révolu cet âge d'or d'avant la TNT où nous avions nos fauteuils à vie à Apostrophe et où le lecteur savait, dès le vendredi soir, quoi lire et quoi aimer le lendemain. Dans cette ère post-Pivot, où même Jérôme, François et le nouveau Monde des Livres semblent nous abandonner, comment pourrions-nous lutter sans nous unir, sans nous rassembler? pour tous ces auteurs et autrices de Paris. Toujours selon Natacha Braque, il faut prendre la défense de cette littérature qu'elle décrit ainsi, "celle du presque rien, du si peu, de l'infime, du non-dit hurlé, de l'intime estimé, du robinet qui fuit, du bas qui file, du pétard qui s'éteint, du Lexomyl qui se délite, de l'auréole de thé sur la table du Buci...". Natacha Braque lance alors "ce cri d'urgence: Lisez-nous. Re relisez-nous." Parmi toutes les propositions qu'elle lance, voyez celle-ci: Remboursement de nos frais de représentation en posant la question: "Qui reconnaîtrait Claire Castillon sans ses robes à bretelles chinées porte de Vanves? qui lirait encore Glucksmann et Bruckner s'ils n'avaient pas adopté la même coupe de cheveux jusqu'à en faire l'accent circonflexe de leur pensée? Houellebecq sans ses pulls boulochés serait-il encore ce qu'il a été?" En un mot lisez Natacha Braque. c'est savoureux, moins acide que profondément drôle!
Derrière l'humour un rien "caustique" de Natacha Braque, il faut pourtant lire un certain malaise. Le dernier roman d'Olivier Adam, Les Lisières (Flammarion) en est la preuve. Il pose la question des classes moyennes considérées comme populaires dès qu'on les voit depuis Saint Germain des Prés, milieu dans lequel son personnage se sent à son tour en lisière. Derrière le personnage des Lisières n'est-ce pas Olivier Adam lui-même, en proie au terrible dilemme de se voir propulsé en haut de l'affiche alors qu'il ne prétend aimer que l'ombre?! Les Lisières est l'un des romans sur lequel mise Flammarion. Son abandon des éditions de l'Olivier pour Flammarion se pose comme un changement qui peut difficilement cacher une stratégie dans la course aux prix littéraires. Néanmoins, tout cela étant dit, la critique est unanime: c'est son roman le plus ambitieux. Il développe avec un certain talent le portrait d'un monde en perdition et nous livre ses angoisses. Excepté son roman Je vais bien, ne t'en fais pas, " tous les livres d'Olivier Adam choisissent le Je car confie-t-il à François Busnel dans Lire: "l'emploi du je me permet d'être le sismographe des états intérieurs du personnage(...) j'ai besoin de faire corps avec mon personnage."...
Egalement porté par la réalité, Philippe Cohen-Grillet dans « Haut et court » ( La Dilettante) signe un livre qui arrive à vous tenir en haleine de bout en bout, à partir d'un sujet grave, la tuerie d'une famille dans le Pas de Calais, parce qu'il prend le parti de l'humour, parce qu'il dénonce les absurdités d'un système qui exclut. Une belle surprise de rentrée de la part de ce journaliste qui signe un premier livre brillant.
On compte dans cette rentrée différents essais et romans sur l'Histoire. Regards sur des temps anciens ou plus récents en perspective avec l'époque que nous vivons actuellement. Notons ainsi le dernier roman de Matthias Enard, Rue des Voleurs (Actes Sud) qui revient sur le printemps arabe. Enard va puiser également dans différents registres passant par les textes sacrés, la littérature classique arabe et le polar. Notons encore le talent de Patrick Deville qui dans Peste et Choléra (Seuil), tout récemment salué par le premier prix de la rentrée, Le Prix Fnac, nous invite à suivre le voyageur frénétique que fut Alexandre Yersin, inventeur du vaccin contre la peste. Tout au long de sa vie, ce dernier a été attiré et fasciné par ce qu'il lui semblait de plus novateur. Deville emporte le lecteur dans ce récit passionnant qui fait revivre l'étonnant destin de ce suisse vaudois naturalisé français. Mais comme le souligne très justement Bernard Pivot dans sa critique du JDD du 26 août dernier, parmi les grandes qualités du livre domine celle "d'avoir ouvert la biographie de Yersin à d'autres personnages, ne serait-ce parce que leurs destins se croisent, comme Pasteur, bien sûr, Joseph Meister, l'alsacien guéri de la rage, ou son ami Paul Doumer, président de la République, assassiné (...) ou encore Céline, dont on a oublié qu'il fut à ses débuts également un pasteurien sans oublier Rimbaud.
L'Histoire toujours avec deux livres qui réfléchissent sur le personnage de Napoléon, l'un signé Jean Marie Rouart, Napoléon ou la destinée (Gallimard), l'autre signé Charles Zorgbibe, Le Choc des Empires (Fallois). Dans le cas du livre de Rouart, ce dernier souhaite nous faire "redécouvrir Napoléon, ce personnage si romanesque, avec ses failles, ses faiblesses et ses folles histoires d'amour", confie-t-il à Laurent Valdiguié dans Le JDD du 2 septembre. Dans ce texte célébré par Jean d'Ormesson très récemment, Rouart donne à Napoléon une image plus sensible et souligne son rapport à la mort en intégrant l'idée d'un homme suicidaire qui ne colle pourtant pas avec l'image du guerrier flamboyant. Mais Rouart de souligner que "Napoléon, comme tout un chacun pendant son existence, dialogue avec la mort (...) Il sait que de la façon dont il mourra dépendra sa postérité. Il est obsédé par cela. Ce rapport intime à la mort fait qu'il est non seulement un monument de l'histoire de France, mais aussi un mythe, un mythe religieux. A la façon d'une Jeanne d'arc ou d'un De Gaulle".
Dans l'essai de Charles Zorgbibe, Napoléon est regardé à travers ce prisme qu'il crée avec le tsar Alexandre. Zorgbibe dans ce brillant essai privilégie lui aussi l'approche psychologique. Si Napoléon s'impose comme un conquérant, un chef de guerre, celui que les historiens militaires anglais qualifient de "plus grand de tous les temps", Alexandre, quant à lui serait plutôt le prophète bousculant le souverain absolu, se superposant puis se substituant à lui. Juriste et politiste avant d'être historien, Charles Zorgbibe analyse différents aspects peu connus de l'alliance foudroyée entre ces deux grands hommes de pouvoir.
L'Histoire encore mais cette fois-ci plus récente avec le premier roman d'Aurélien Bellanger dont tout le monde parle déjà, La Théorie de l'Information (Gallimard). Descendant assumé de Mcihel Houellebecq, ce jeune garçon de 32 ans nous propose la fulgurante saga d'un génie des réseaux télématiques, un certain Pascal Ertanger. Le rapport à l'Histoire en France est un des sujets de prédilection de ce jeune romancier qui promet. Selon Baptiste Liger, notre confrère du magazine Lire, "l'une des réussites de La Théorie de l'Information" tient à la réunion d'une reconstitution, incroyablement documentée et utilisant de vrais noms, et d'une pure fiction." Philosophe de formation, ce passionné de Hegel époustoufle et passionne le lecteur sur un sujet à priori plutôt fastidieux...
Autre découverte et non des moindres, le roman de Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, (Age d'Homme, De Fallois). 600 pages à vous couper le souffle! Sous les apparences d'un roman policier, ce jeune auteur suisse de 27 ans dont c'est le deuxième livre, nous emporte dans un texte qui commence par une enquête pour établir l'innocence de l'écrivain Harry Quebert, jugé pour avoir assassiné trente ans plus tôt une fille de quinze ans avec qui il avait eu une liaison. Harry Quebert a un disciple: Marcus lui même écrivain en panne d'inspiration qui s'empare de cette affaire pour écrire en quelques semaines l'enquête menée sur ce crime qui a passionné toute l'Amérique. Le titre du livre est déjà choisi: La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert. Ce n'est donc plus désormais l'histoire d'une enquête mais l'histoire d'un livre sur une enquête. Le lecteur se retrouve emporté dans une construction en miroir que l'auteur s'applique à développer .
Au delà de l'intrigue extrêmement bien ficelée, de New York à la petite ville d'Aurora, le roman tisse quantité de fils autour d'une série de réflexions sur l'Amérique, les défauts de la société moderne, les médias, la justice et l'écriture. Intelligent, dense, très bien mené ce roman est très certainement l'une des grandes révélations de cette rentrée 2012. Le roman sera en librairie le 18 septembre.
Si la rentrée littéraire est d'abord axée sur les romans français, il n'en demeure pas moins que du côté étranger, nous avons cette année de belles surprises. Viabooks reviendra plus largement sur les romans étangers de cette rentrée dans un autre dossier. Mais d'ores et déjà saluons le nouveau roman de Toni Morrisson, Home (Christian Bourgois). Cette grande dame des lettres américaines, Prix Nobel de littérature 1993, nous livre un texte court comme une longue nouvelle. Remarquable de pureté, ce roman est écrit comme "une partition de musique de chambre, donnant tour à tour la vedette à chaque instrument, à chaque personnage" souligne Christophe Mercier dans Le Figaro littéraire.
Autre sortie importante et encore une découverte: le premier roman de l'allemand Eugen Ruge, Quand la lumière décline, (Les Escales). Une nouvelle fois le sujet est encore tourné vers l'histoire contemporaine. Couronné en Allemagne par le Deutscher Buchpreis, équivalent du Goncourt chez nous, il suit le destin d'une famille russo allemande des années cinquante à nos jours, de Mexico à Berlin en passant par Moscou.
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