"Des hommes sans femmes"

Le dernier Murakami : intense et fascinant

Fidèle à lui-même, Haruki Murakami revient avec un recueil de nouvelles captivant qui parle d’hommes seuls et nostalgiques se souvennat de femmes qui ont rythmé leur vie. On retrouve dans ces récits au style épuré et fluide l’univers onirique de l’écrivain japonais. Des hommes sans femmes est  un voyage intérieur. Son auteur nous y emmène avec cette magie qu'on lui connaît. 

Traduit du Japonais par Hélène Morita pour Belfond, le dernier ouvrage de Murakami est enfin arrivé en France, pour notre plus grand plaisir.

Des hommes sans femmes, ​un retour enivrant

« Ce que je veux aborder avec ce recueil ? En un mot, l’isolement, et ses conséquences émotionnelles. Des hommes sans femmes  en est l’illustration concrète. C’est le titre qui m’a d’abord saisi (bien sûr, le recueil éponyme d’Hemingway n’y est pas étranger) et les histoires ont suivi. Chacune de ces histoires est venue en résonance du titre. Pourquoi Des hommes sans femmes ? Je n’en sais rien. D’une façon ou d’une autre, ce titre s’est enraciné dans mon esprit, comme une graine déposée dans un champ par le hasard du vent. » Neuf ans après Saules aveugles, femme endormie, le retour d'Haruki Murakami à la forme courte ! Dans ce recueil comme un clin d'œil à Hemingway, des hommes cherchent des femmes qui les abandonnent ou qui sont sur le point de le faire. Musique, solitude, rêve et mélancolie, le maître au sommet de son art.

Pourquoi c’est une merveille ? Les sept nouvelles qui composent ce livre se rassemblent autour d’un thème commun ; des hommes vivant sans femmes. Murakami nous dresse le portrait de sept hommes de tous âges et de tous horizons différents qui sont abandonnés ou sur le point de l'être par une femme. Bien qu’elles s’en aillent, les femmes sont extrêmement présentes dans les textes, évoquées par le biais de souvenirs ou de fantasmes. L’auteur met les femmes à l'honneur en abordant l’impact de leur absence dans la vie des hommes. Souvent évoqué, le lien entre l’œuvre de Murakami et la psychanalyse réapparait également dans cette œuvre et nous questionne sur l’importance de l’autre dans la construction de soi. Peut-on être réellement qui nous sommes quand on est seul ? Mêlé à cette réflexion l’auteur développe de manière poétique et humaniste le sentiment de vide, de solitude et d’abandon. Comme à son habitude, le style et l’univers particuliers de Murakami nous accompagnent au fil des pages pour notre plus grand plaisir. La solitude, l’errance et le jazz sont au rendez-vous et se mêlent à la mélancolie, au réalisme et à l’absurde… Cet univers banal flottant à la limite du fantastique est d’ailleurs une des raisons du succès de l’auteur.    

Extraits Des hommes sans femmes

« « Il était rare que Kafuku ait l’occasion de faire une différence entre hommes et femmes. Il ne ressentait pas non plus entre les sexes un écart dans leur niveau de compétence. Du fait de sa profession, Kafuku travaillait aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes, et, en réalité, il se sentait plus à l’aise avec celles-ci. Elles étaient en général plus attentives aux détails et elles écoutaient mieux. Ce n’était que lorsqu’il était dans une voiture et qu’une femme se trouvait au volant que Kafutu était particulièrement conscient de son sexe. »

« À ce que je sais, votre épouse était vraiment une femme merveilleuse [...] vous devez vous sentir reconnaissant d'avoir vécu presque vingt ans auprès d'une femme comme elle. Je le crois profondément. Néanmoins, vous aurez beau penser que vous avez compris quelqu'un, que vous l'avez aimé, il n'en reste pas moins impossible de voir au plus profond de son cœur. Vous aurez pu vous y efforcer, mais vous n'aurez réussi qu'à vous faire du mal. Vous ne pouvez voir qu'au fond de votre propre cœur, et encore, seulement si vous le voulez vraiment, et si vous faites l'effort d'y parvenir. En fin de compte, notre seule prérogative est d'arriver à nous mettre d'accord avec nous-même, honnêtement, intelligemment. Si nous voulons vraiment voir l'autre, nous n'avons d'autre moyen que de plonger en nous-même. Telle est ma conviction. »

Le maitre Murakami

Haruki Murakami est né à Kyoto en 1949, et grandit à Kobe. Ses deux parents enseignaient la littérature japonaise. Durant sa jeunesse il étudie le théâtre à Tokyo à l’Université Waseda. En 1974 il ouvre un club de jazz (le « Peter Cat ») à Tokyo avec sa femme avant de se consacrer à l'écriture. Son premier roman, « Ecoute le chant du vent », remporte le prix Gunzo des Nouveaux Écrivains. Murakami ne supporte plus le Japon et le conformisme de sa société, il s'expatrie donc en Grèce, en Italie, puis aux États-Unis, en 1991. Là-bas il enseignera la littérature japonaise à l’Université de Princeton pendant quatre ans. Cependant, en 1995, après le tremblement de terre de Kobe et l'attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon. Après le succès de son premier roman, il écrit : "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" (1992), "Chroniques de l'oiseau à ressort" (1994-1995), "Les Amants du Spoutnik" (1999). "Kafka sur le rivage" (2002) l’inscrit définitivement parmi les grands écrivains japonais. Après le succès de la trilogie "1Q84", Murakami revient en 2014 avec un livre plus "réaliste", nostalgique et grave "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinages". L’oeuvre d’Haruki Murakami oscille entre la pensée bouddhiste qui voit des répercussions à nos actions sur une échelle plus large et la chronique sociale dans un cadre fantastique. Hormis son premier prix, le prix Gunzo, Murakami est également récompensé par plusieurs prix littéraires comme le prix Yomiuri Literary Prize, le prix Kafka 2006 et le prix Jérusalem de la liberté de l’individu dans la société en 2009.

Les œuvres incontournables de Murakami

La fin des temps, (1985) : Pour se rendre chez le vieux savant qui l'a engagé, un informaticien prend un ascenseur tellement lent qu'on ne sait pas s'il monte ou s'il descend. A l'arrivée, une jeune fille rondouillette et charmante l'accueille par un "C'est rat" pour le moins étrange. Mais son cou sent le matin d'été dans un champ de melons ... Bienvenue au Pays des merveilles sans merci ! Murakami effectue dans cette œuvre un travail philosophique sur l'inconscient et le moi. Comme à son habitude il joue sur le fil du rasoir entre le réel et le fantastique. Dans ce roman réside une véritable dualité entre le vrai et le faux qui met le lecteur à rude épreuve. Cependant la plume est si agréable, et l’œuvre si bien construite qu’on se laisse prendre au jeu et on entre complètement dans l’histoire. Le plus étonnant dans ce livre sont les personnages, sans aucun nom et prénom et dotés d’une liberté incroyable. L’imagination, le sens de l’analyse et les réflexions de Murakami limpides sont la preuve qu’il sait parfaitement exprimer avec des mots simples, certaines pensées plus complexes.

Extrait : « Pourtant, si j'avais pu recommencer ma vie, aucun doute, j'aurai mené exactement la même. Parce que ma vie - cette vie faite d'une succession de pertes - c'était moi-même. Je n'avais pas d'autre chemin pour devenir moi-même. Même s'il fallait pour cela abandonner toutes sortes de gens et que toutes sortes de gens m'abandonnent, même si je devais effacer ou limiter les beaux sentiments, les caractères sublimes et les rêves, moi, je ne pouvais devenir autre chose que moi-même. »

Kafka sur le rivage, (2002) : Kafka Tamura, quinze ans, fuit sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. Nakata, vieil homme simple d'esprit, décide lui aussi de prendre la route, obéissant à un appel impérieux, attiré par une force qui le dépasse. Lancés dans une vaste odyssée, nos deux héros vont croiser en chemin des hommes et des chats, une mère maquerelle fantomatique et une prostituée férue de Hegel, des soldats perdus, un inquiétant colonel, des poissons tombant du ciel, et encore bien d'autres choses... Avant de voir leur destin converger inexorablement, et de découvrir leur propre vérité. Ce livre incroyable retrace le parcours initiatique d'un adolescent en fugue et son voyage dans différents mondes, le nôtre mais aussi celui de la mort et de l'imaginaire. On voyage dans ses différents mondes avec un plaisir puisqu’on ne sait jamais réellement dans lequel nous sommes. Un roman puissant et addictif, où l'on se surprend à trouver normal de voir tomber des poissons du ciel ou d'entendre des chats parler. Les personnages fantastiques, les scènes relevant du rêve, l'évolution des personnages, le suspens maintenu par l'alternance des chapitres, le passage d'un monde à un autre traduisent très bien l’univers onirique et japonais de Murakami.

Extrait : « Celui qui aime cherche la partie manquante de lui-même. Aussi, quand on pense à l'être dont on est amoureux, on est toujours triste. C'est comme si on entrait à nouveau dans une chambre pleine de nostalgie qu'on a quittée il y a longtemps. »

1Q84, Livre 1 Avril-Juin, (2009) : C'est l'histoire de deux mondes, celui réel de 1984 et un monde parallèle tout aussi vivant, celui de 1Q84. Deux mondes imbriqués dans lesquels évoluent, en alternance, Aomamé et Tengo, 29 ans tous deux, qui ont fréquenté la même école lorsqu'ils avaient dix ans. A l'époque, les autres enfants se moquaient d'Aomamé à cause de son prénom, « Haricot de soja », et de l'appartenance de ses parents à la nouvelle religion des Témoins. Un jour, Tengo l'a défendue et Aomamé lui a serré la main. Un pacte secret conclu entre deux enfants, le signe d'un amour pur dont ils auront toujours la nostalgie. Les deux jeunes gens sont destinés à se retrouver mais où? Quand? En 1984? Dans 1Q84? Dans cette vie? Dans la mort? L'auteur nous emmène ici dans une sorte de roman à suspense, une sorte d'enquête policière. Murakami réussit cette prouesse de nous égarer sur des chemins inconnus tout en nous tenant la main. Il nous donne, à travers ses personnages, des indices pour avancer dans notre cheminement, ce qui est très agréable pour ce genre de roman. Le sortilège Murakami frappe de nouveau et fort, nous sommes charmés. Cette histoire se prolongera sur deux autres tomes.

Extrait : « Le problème, c'est la manière dont on vit. Le plus important est d'être toujours en mesure de se protéger soi-même. Quand on se résigne à être agressé, ça ne vous mène nulle part. Le sentiment d'impuissance finit par détruire un être humain. »

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