Olivia Phélip nous fait part de son engouement pour le dernier livre de Philippe Forest : Le Siècle des nuages (Gallimard), sélectionné dans la première liste du prix Goncourt. Un récit, hommage tout en pudeur et nuance pour un père, ancien pilote de ligne, témoin de la plus grande aventure du XXème siècle : l’aviation. Le roman d’une vie, dont les fils et ressorts impalpables sont petit à petit désignés, comme révélés, à l’ombre des souvenirs, des rêves et de leur inévitable fuite.
Il y a d’abord une langue, qui dès le prologue nous éblouit, nous éclabousse, comme l’écume d’un océan que l’on traverse à grande vitesse. Une langue qui alterne les longues phrases élégantes, avec les raccourcis qui nous prennent par surprise et nous donnent un deuxième tempo, composant une autre mélodie plus âpre, directe. Nous apprenons très vite qu’il s’agit de suivre l'itinéraire d'un père qui s’en est « allé au bout de ses jours, tombant de tout son long dans la rue, le visage tourné vers le sol, inerte et incroyablement pesant » et que l’auteur va essayer de « résoudre la charade, celle de se demander au fond ce qu’a pu être une vie », sa vie.
Nous voici donc transportés dans une machine à remonter le temps qui va évoquer l’histoire d’un homme, le père du narrateur et ainsi remonter le fil de son enfance et de ce qui fut qu’un jour celui-là fut homme avant d’être père et encore mystérieusement pas tout à fait homme parce que père. Alors, Philippe Forest va partir à la rencontre de cet homme, et nous raconter le roman de sa vie. Roman parce que comme toute vie, celle-ci comporte sa part de rêves enfouis et de destins « écrits ». Le récit s’amuse à raconter l’histoire d’une vie tout en racontant aussi celle d’une époque, le vingtième siècle, que le père traversa en témoin de ses grands événements historiques : principalement la Seconde guerre mondiale et la naissance de l’aviation.
Puis il y a un souffle, celui qui part du cœur, qui transporte les émotions entre les lignes des non-dits et des chassés croisés. L’auteur part à la rencontre d'un « héros » malgré lui, qui sait prendre ses responsabilités sans jamais fanfaronner. Philippe Forest se fait aussi le narrateur de l’histoire d’amour entre ses parents, une rencontre presque fortuite, au hasard des péripéties de la guerre. Le père tout jeune garçon de 18 ans, sauveur malgré dans une équipée un peu rocambolesque entre Mâcon et Nîmes, et la mère, jeune fille confiée à la merci de ce jeune à l’air sérieux.
Cet hommage d’un écrivain à son père, sans pathos et sans effet de manche est écrit d'une posture presque neutre, parfois, le narrateur en devenant presque transparent, comme s’il se vivait comme un scribe étranger. Ce qu’il est en un sens, car évoquer la vie de son père, c’est découvrir, ce qu'il fut "avant soi".
Le père de Philippe Forest fut pilote de ligne : sa vie va coïncider avec l’essor de l’aviation. Philippe Forest nous fait ressentir combien appartenir à cet âge d’or des avions est une aventure en soi. On découvre comment ce père rêvant d'abord devant ces engins magiques, aux vols plein d’audaces, finira par devenir aviateur lui-même, grâce un enchaînement de circonstances improbables, et après la guerre, devenir pilote à Air France pour y suivre toute sa carrière. Au passage nous sommes transportés dans la poésie des bimoteurs et des machines à hélice.
Mais avant tout, il y a le rêve. Chez les Forest on parle peu, mais on rêve beaucoup. Au dessus des nuages ou entre les pages d’un livre, le narrateur se promène et cherche à s’approcher des rêves de son père, il tourne autour de son mystère sans jamais le pénétrer. Une vie passe vite et à l'instar de tout homme, celui-ci est parti avec sa part secrète.
C'est alors que le livre prend aussi sa dimension universelle, posant la question de ce qu'est la vie et de son chemin jusqu’à la mort. Comment le destin d’une famille se construit-il, et comment il s’appuie sur l’Histoire pour prendre forme? Comment l’amour qui unit les uns et les autres passe par le silence, plus que par l’exposition de soi ? Comment la force d’un destin se forge sur quelques aspirations et beaucoup de circonstances imposées ?... autant de questions qui traversent les pages.
Le Siècle des nuages, c’est un peu de cela et c’est bien plus aussi. Beauté des mots, émotions des événements, évocation du mouvement des choses … Philippe Forest avance dans son histoire comme un avion qui traverse le ciel, en traversant l’opacité des brumes. Avec lui, nous affleurons le mystère d’une vie faite de renoncements, de quelques rêves et de beaucoup de hasard. La vérité d’un être réside dans ce qu’il a laissé inachevé. En couchant dans ce récit le roman de sa vie, l'écrivain devient ainsi tour à tour le biographe de son père et un fils, adoubant ainsi ce père, allant même jusqu’à accomplir à sa place un voyage en Turquie que celui-ci aurait du accomplir et reprendre ainsi le fil d’une histoire tissée par les mots et les rêves éternels.
Est-ce utile de préciser que ce livre est d’une grande délicatesse et que ces nuages -là sont de ceux qu’on n’oublie pas ?
Philippe Forest, Le Siècle des Nuages, Gallimard
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