Le superbe hommage de Daniel Auteuil à Marcel Pagnol

Un film adressé à mes parents

Le premier film de Daniel Auteuil est un double hommage: hommage à Pagnol et hommage à ses parents. Dans un des entretiens qu’il a donné à la presse, Daniel Auteuil explique que « c’est clair que le film est aussi adressé à mes parents, et au jeune homme que j’ai été, à la vie que j’ai pu avoir grâce à l’éducation que j’ai reçue. Il parle d’autrefois avec le regard d’aujourd’hui. »

Un journal du tournage de Jean François Robin

Dans son passionnant journal du tournage de la fille du Puisatier, publié aux éditions de Fallois, (excellent document sur le tournage et réflexion très subtile sur le métier d’acteur, de réalisateur et de directeur de la photographie) Jean François Robin, qui a signé l’image de plus de quatre-vingt films avec notamment Claude Sautet, Jacques Demy ou encore Philippe de Broca note une remarque très juste : Le film est bon beaucoup car Auteuil sait pourquoi il l’a fait. Et Jean François Robin de donner la réplique à Daniel Auteuil : « Moi aussi, je sais pourquoi tu le fais (ce film) : parce que tu t’y sens chez toi, dans ta région, là où sont tes racines et où tu as passé ton enfance, parce qu’il y a eu Ugolin, qui a été si important dans ta carrière et parce qu’ainsi tu rends un hommage à tes parents qui ont travaillé toute leur vie au théâtre d’Avignon. » 

Le sentiment d’universalité chez Pagnol 

Auteuil souligne encore « Ce qui, chez Pagnol est universel, ce qui fait que 70 ans après on est encore amusés et émus. Quelles que soient les époques, les sentiments sont toujours les mêmes, les amoureux sont toujours les mêmes, les parents, les riches et les pauvres aussi. J’ai beaucoup travaillé à partir du texte pour lui donner un rythme d’aujourd’hui ou plus exactement mon rythme à moi. » Lorsqu’il parle du personnage du puisatier, le réalisateur et auteur souligne que ce qui le touche le plus chez lui, est « le rapport quasi maternel qu’il entretient avec ses filles. C’est à la fois un père et une mère. »

La lumière 

La Fille du Puisatier de Daniel Auteuil a ceci d’unique qu’il est particulièrement travaillé par rapport à la lumière. Auteuil a demandé à Jean François Robin : « je voudrais quelque chose qui me rapproche le plus de la vie, je veux ressentir la lumière dehors et l’obscurité dedans, je veux voir la peau des acteurs, je veux pouvoir sentir l’actrice rosir et rougir… et il a fait tout ça ».

La littérature, un outil et non un poids

Tout au long du film, Auteuil a gardé le texte dans l’esprit mais à aucun moment il n’est devenu trop pesant. Il est là, on l’entend constamment et on le suit avec un grand plaisir. Le texte est beau et néanmoins jamais il ne s’oppose au jeu des acteurs. Il trône mais n’existe que parce qu’il est joué.

La poésie de la nature

Dès les premiers instants du film, vous êtes emporté par l’émotion. Le bruit du vent dans les arbres, le glissement des pieds de Patricia dans le champ de coquelicots, tout exhale d’émotion.

Pour Auteuil, ce mistral qui souffle dans le midi a été une bénédiction. Soulignant cela, Auteuil raconte : " Je trouvais que les cheveux de l’actrice qui volaient au vent, c’était magnifique, je trouvais que l’image de ces roseaux en train de plier, de ces platanes centenaires en train de frémir, c’était magnifique… C’était important pour moi ces roseaux et ces platanes au vent, c’était mon enfance, mon adolescence qui remontaient… "

De l’acteur au réalisateur [image: 3,m,g]

Avec La Fille du Puisatier, Auteuil s'empare de la caméra et à ce propos, il révèle: " Je ne pensais pas qu’un jour, sur un plateau l’acteur que je suis passerait à ce point pour moi au second plan. Quand c’est à moi de jouer, j’ y allais, je faisais quelques prises et puis je revenais à la mise en scène. C’est comme si je n’avais pas de temps à perdre avec moi. (…) Tout d’un coup, j’ai découvert le plaisir de diriger les autres, de faire naître des plans et des images, de créer des rires et des émotions qui ne dépendaient pas que de moi. J’ai découvert aussi la fascination de filmer des visages, et certains paysages qui sont comme des visages… Je ne pensais pas qu’on pouvait prendre autant de plaisir juste à filmer un visage."

Un seul regret: presqu'un peu trop court?

La fille du Puisatier est encore très réussi grâce à sa musique confiée au talentueux Alexandre Desplat. Pour Daniel Auteuil, elle n’est en effet surtout pas un accessoire, mais « vraiment un acteur à part entière ».Enfin, reste un seul regret qui n’en est pas vraiment un : le film dure 1h47, temps court par rapport à tant de films qui aujourd’hui ont tendance à vouloir durer. Là, tout est dit sans fioritures ni effusion. On aimerait continuer à suivre les aventures d’Amoretti et de son clan. Le regard embué de larmes, la lumière renaît dans la salle et on se dit combien c’était bien et à quel point on est heureux d’avoir tant vibré. Un film d’une irrésistible grâce tirée d’une oeuvre qui donne aux gens l’envie de s’aimer.