Edition

Les éditeurs indépendants font de la résistance

« J’ai besoin d’être libre » déclare l’écrivain David Tiquant lorsqu’on lui demande pourquoi il a préféré une organisation indépendante aux grosses machineries de l’édition française. Le 4ème salon des éditeurs indépendants du Quartier latin rassemblait la plupart des formations les plus dynamiques et les plus novatrices du secteur. Les moulures travaillées et les lustres monumentaux de la mairie du 6ème arrondissement formaient un contraste saisissant avec ces entreprises à échelle humaine. Compte-rendu et entretiens avec les acteurs du salon en quatre objectifs qui structurent l’édition indépendante.

 

Fédérer pour mieux résister

 

Lorsque l’on interroge Brigitte Peltier sur les raisons qui l’ont poussé à organiser ce Salon, elle n’utilise pas la langue de bois : « Les petits éditeurs ont du mal dans les grands salons. Il faut compter plus de 3000 euros pour 9m² au Salon du Livre de Paris, ce n’est pas possible. De plus, leur production tourne autour d’un minimum de 25 livres par an, la plupart ici se contentent de deux ou trois titres pour la même période. » Pourtant, le misérabilisme n’a pas droit de cité dans la mairie du 6ème. Pour la fondatrice des éditions Pippa, il fallait « arrêter de pleurer, et se faire son propre salon. ». Comme les réalisateurs français des années 60 à l’origine de la Nouvelle Vague, les éditeurs indépendants fonctionnent à la passion, la volonté et la débrouille. Elle définit son projet comme un « salon solidaire, il faut se fédérer », en précisant que les exposants ne sont pas là pour vendre. Et qu’en pensent les auteurs, de l’indépendance assumée de leur éditeur? David Tiquant, auteur du roman Le fleuve et le sablier, publié par les éditions Kyklos, assure qu’il a constaté « un point de vue dynamique sur l’édition en général ». La liberté qu’il recherchait en tant qu’auteur, il l’a trouvé auprès des indépendants, pour lesquels « les critères économiques ne doivent pas décider des productions », ce qui correspond parfaitement avec sa vision personnelle de la littérature. 

 

Prendre des risques pour stimuler le lectorat

 

De stand d’éditeur en stand d’éditeur, on constate que les participants ont à cœur de secouer les habitudes des lecteurs, pour mieux lui faire voir les multiples horizons littéraires à sa disposition. La table de la maison d’édition Les Deux Océans est représentative de cette tendance notable. Spécialisée dans les ouvrages philosophiques, les textes mystiques ou encore les traités de taoïsme, l’éditeur représente une littérature peu conforme aux soucis contemporains. Sous nos yeux s’étalent des titres comme Bouddhisme et socialisme (Bouddhadasa) ou La Kundalini ou l’énergie des profondeurs (Lilian Silburn), propres a décontenancer un visiteur par des approches en rupture totale avec la pensée occidentale, mais l’on se surprend toutefois à feuilleter un recueil de contes soufis ou indiens. Charlotte Grandry, des Deux Océans présente sa maison d’édition comme « un moyen pour le lecteur de se centrer sur l’humain ». « Ce sont des textes atypiques que nous éditons, mais pas par égotisme ou élitisme, simplement pour apporter un soulagement. » Le grand défi des éditeurs indépendants se constitue dans cet enjeu : comment prendre des risques et proposer des textes différents sans perdre le lien avec le lecteur, celui qui fait véritablement vivre les auteurs et les éditeurs ?

En accompagnant les lecteurs, tout simplement, dans cet apprentissage d’un regard nouveau sur les œuvres littéraire, à la manière des Editions de Saint-Mont, qui proposent des « textes inédits, méconnus ou oubliés » des auteurs classiques : Le jeune Enchanteur de Baudelaire ou Frrit-Flacc de Jules Vernes sont deux exemples de cette production alternative. Triartis, eux, éditent des réflexions métalittéraires en faisant dialoguer des personnages avec leurs créateurs ou en demandant à des écrivains de rédiger une épître à Monna Lisa. Même les productions jeunesse sont chargées de cette volonté permanente de surprendre le lecteur : les éditions A dos d’âne proposent des petits livres colorés présentant aux enfants la réalisation des rêves de certaines personnalités : on y croise François Truffaut, l’enfant du cinéma ; Donald W. Winnicott, l’inventeur du doudou ou Lewis Carroll, l'oeil du magicien… Aussi bien envers l’enfant que l’adulte, l’éditeur doit être « un révélateur de talent » assure Brigitte Peltier. Elle rappelle enfin : « Le salon, c’est avant tout aller à la rencontre des lecteurs. Il y a beaucoup de fidèles, mais aussi des nouveaux chaque année. »

 

 

Proposer un « objet-livre » de qualité

 

Il y a un côté presque fétichiste dans le rapport au livre qu’entretiennent tous les éditeurs avec leurs productions. Certes, ils sont attachés au contenu, mais « l’objet livre » est pour eux une véritable source de fascination, et osons le dire, d’amour. Encore une fois, il y a là un enjeu : établir « le meilleur rapport qualité-prix » résume en termes économiques Brigitte Peltier. Il y a donc un amour du beau livre, mais dans un rapport très démocratique : la qualité et la beauté du produit final ne doivent pas se ressentir sur un coût prohibitif. Chez tous les éditeurs, il y a cette recherche permanente d’une forme novatrice, inédite. Le livre n’est plus un support, c’est aussi un moyen d’expression : dans la couverture d’un ouvrage, il y a déjà une beauté frappante.

Ceux des livres édités par l’Atelier de l’Agneau semblent tous uniques tant ils relèvent du bricolage fou et créatif, débordant à la fois de créativité et de débrouillardise. On croît contempler des planches scientifiques en admirant les croquis, peintures et collages de Bernadette Planchenault. Partout où se pose le regard, il y a un objet chargé d’intentions artistiques, avant même de lire un titre ou une phrase. Le Salon des livres d’artistes, dans une salle adjacente, expose sur l’un des stands un livre fleuve qui cultive l’obsession et l’attirance de trois hommes pour la Loire. Edité par Le Carroir, l'objet se présente comme une création quasi-organique qui mêle poèmes, recherches typographiques, collages, peintures et autres compositions, imprimés sur un papier lourd et dense, chargé de promesses.

 

S’accorder avec son époque

 

Une des conférences du salon, animée par le collectif Elle&La, portait sur le livre numérique. Tous pleinement conscients de la transformation à venir du support, les éditeurs indépendants ne se voilent pas la face et prennent en compte les attentes du lectorat en matière d’accès informatique. Brigitte Peltier tient à souligner que tous les éditeurs indépendants sont « ouverts au numérique, outil extraordinaire, surtout pour les éditions scientifiques », puisqu’il permet, explique-t-elle, d’allier la présentation des résultats à la recherche. Avec quelques réserves toutefois : « Le tout numérique n’existera jamais » assure l’instigatrice du salon. Elle saisit un livre de photographie en format panoramique, de sa collection Itinérances. Et pose la question : comment « convertir » l’objet littéraire et, dans un second temps, son contenu, sur un format numérique, en conservant les mêmes sensations de lecture ? Elle reconnaît volontiers que, pour le moment, c’est un « passage au forceps » un peu précipité pour les indépendants.

 

 

Virginie Carbuccia, elle, accueille le passage au numérique avec un enthousiasme plutôt rare. Il faut dire que la fondatrice des éditions Kyklos a vécu cette transition dans un autre milieu : le cinéma. Secteur pour lequel le passage du 35mm au numérique a été plutôt favorable, selon elle, puisqu’il a suscité un regain de qualité, qu’elle espère semblable dans le milieu littéraire. Elle souligne son attachement à Internet, sans lequel « les éditions Kyklos n’existeraient pas », et ajoute: « Internet est une vitrine ». Une vitrine permanente, puisque le contenu web, contrairement à un contenu papier, est toujours disponible, actualisable à volonté, et surtout, gratuit. Ce média à la valeur permanente, les éditions Kyklos l’utilisent sans cesse, puisqu’il permet la valorisation des œuvres publiées par les lecteurs et pour les lecteurs. Une publicité efficace et à moindre coût, ce qui n’est pas négligeable pour une maison d’édition âgée d’à peine deux ans, mais déjà « multi-édition dans une époque multi-support » juge non sans fierté sa fondatrice. Un esprit frondeur, qui déclare sans hésiter que « si un titre de nos collections est piraté et circule, je ne vais pas pleurer ! » : l’éditrice évoque une caractéristique fondamentale d’Internet, tribune permanente des oubliés des grands médias.

 

Le Salon des éditeurs indépendants du Quartier latin fut donc l'occasion d'aller à rencontre de formes d'expression différentes, et de découvrir des éditeurs qui pensent la littérature en termes qualitatifs, presque expérimentaux, plutôt que sous une perspective exclusivement quantitative.

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