Du 17 au 20 Mars 2016, la grand-messe du livre se tient Porte de Versailles. Livre Paris est un rendez-vous incontournable, avec pour cette 36e édition un grand vent de changement : un salon modernisé, plus international que jamais, du bouillonnement chez les éditeurs, boostés par les bons chiffres de 2015, mais aussi l'ombre de l'"ubérisation" amorcée par l'autoédition et la grogne montante des auteurs....
Chaque année, le Salon du Livre de Paris, rebaptisé pour l’heure, Livre Paris, est l’occasion de prendre le pouls de l’édition et d’entendre les rumeurs qui se murmurent derrière les stands. Atmosphère plutôt bouillonnante en 2016, avec une énergie qui, une fois n’est pas coutume, renoue avec le désir. Nous ne pouvons qu’applaudir les efforts des organisateurs pour moderniser la grand-messe éditoriale française. Et encourager le public à venir Porte de Versailles où il pourra se laisser porter par une programmation particulièrement attractive.
Nouveau nom, nouveau logo, nouvelle organisation : Livre Paris veut « réenchanter » le livre pour cette 36e édition … En tout cas si l’enchantement n’est pas encore tout à fait au rendez-vous (n’exagérons rien), la volonté de redonner au salon une dynamique de plaisir et de partage fait mouche. Le Salon du livre un peu moribond est mort : vive Livre Paris ! 300 000 visiteurs étaient venus en 2015. Avec ce grand coup de chic, les organisateurs espèrent dépasser ce chiffre et renouer avec la croissance. Alors, qu’est-ce qui change vraiment ? D’abord, la signalétique et la structure du salon sont beaucoup plus claires, « lisibles », pourrait-on dire avec des repères visuels plus élégants. Les « scènes » deviennent de véritables théâtres d’intervention qui proposent un programme de rencontres ambitieuses avec des thèmes pour tous les goûts : littéraire, BD, jeunesse, culinaire... Et les invités seront prestigieux avec notamment la participation du Collège de France en régulateur. Le niveau monte d'un cran et le débat d'idées aussi. Un grand écran permet de voir défiler en temps réel la liste et les lieux des événements en cours : enfin, il était temps ! Qui n’a connu par le passé la quête opaque pour trouver un débat ou la frustration d’en avoir raté un, faute d’en avoir été informé à temps.(>lire notre article qui présente le programme de Livre Paris)
Le tout prend place dans un décor qui décline les clins d’œil éditoriaux: le hall 1 du parc des Expositions se trouve un peu plus « habillé ». On en oublierait presque qu’on est dans un hangar. Oserait-on même penser se trouver dans une grande bibliothèque ? Avec un peu d’imagination… Nous ne pouvons que nous réjouir de cette nouvelle dynamique qui redonne sa place aux livres et propose un parcours plus agréable pour le visiteur qui a même droit à une nocturne le jeudi 17 mars.
Autre caractéristique cette année : l’internationalisation du salon se confirme. Non seulement Livre Paris attire des exposants qui viennent du monde entier, mais les invités d’honneur sont, non plus seulement un pays –La Corée du Sud-, mais aussi plusieurs villes : Brazzaville et Pointe Noire, ainsi que Constantine. La littérature est transfrontière et Livre Paris affirme plus que jamais sa vocation de plaque tournante des écrivains du « vaste monde ».( >lire notre article sur les auteurs coréens)
Commençons par le positif. Pour la première fois depuis 2010, le marché de l’édition redresse la tête et progresse en 2015 de 1,8 % en euros courants, ce qui correspond à 1,2% en volume (Source : Livres hebdo/I+C). Pourtant l’année a été bouleversée par les attentats qui ont figé les ventes au mois de novembre. Enfin une embellie ! De 2010 à 2014, les ventes de livres au détail n’avaient cessé de reculer. 2015 marque donc un tournant. Ces bons chiffres sont principalement dus à une progression des ventes en grandes surfaces culturelles (+3,6%). Les enseignes spécialisées ont multiplié les initiatives pour créer des événements et attirer le public. Ces efforts ont payé manifestement. Du côté des genres, la bonne nouvelle est que la littérature fait la meilleure performance (+ 4 %), résultat d’une politique commerciale des éditeurs avec la publication de quelques blockbusters qui ont tiré le marché vers le haut. ( De 60 nuances de Grey à After ) ou des prix littéraires qui ont primé des livres populaires. La littérature jeunesse (+ 3,5 %) et la bande dessinée (+ 3 %), restent aussi des secteurs très dynamiques, tout comme le livre de poche (+ 2 %). Du côté des essais et documents, la progression est de + 1,5 %, avec une part importante pour les livres de développement personnel. La bonne nouvelle est qu'en Europe, la plupart des pays connaissent aussi une belle croissance, la palme revenant au Royaume-Uni ( + 6% en 2015). Le phénomène est donc général et significatif d'un rebond prometteur.
Cependant, si ces chiffres dopent le moral des éditeurs, ils sont à prendre avec précaution. La fameuse "uberisation" tant redoutée par les éditeurs est-elle en marche ? La grande menace était censée venir du livre numérique. Or manifestement, même si en France la part du numérique progresse, elle reste marginale. Aux Etats-Unis, elle a même légèrement régressé. Et en tout état de cause, ce nouvel usage de lecture ne fait pas d'ombre au livre imprimé. Il apparaît plutôt comme complémentaire. En réalité la "disruption" pourrait bien venir des éditions alternatives et autres autoéditions. Et Livre Paris de devenir pour la première fois la scène d'acteurs de plus en plus importants comme Edilivre, Book on Demand, Bookelis, MonBestSeller, Publibook, Librinova, qui a mis en place un partenariat avec Cultura, sans oublier bien sûr Amazon, le grand leader avec son CreateSpace.
Symptomatique, quelques éditeurs commencent à faire bouger les frontières entre les deux mondes, en proposant des formules d'édition alternative comme Les Indés, maison récemment fondée par Laurent Bettoni (>lire son interview), ou bien en se servant des plateformes d'autoédition, comme des réservoirs de talents à dénicher: Amélie Antoine qui a reçu le Prix Amazon de l'autoédition 2015 pour son livre Fidèle au Poste est publiée maintenant chez Michel Lafon, tout comme Carène Ponte pour Un merci de trop qui était passée par Librinova. Même parcours pour Marilyse Trécourt qui a signé avec les éditions Mosaïc pour Au-delà des apparences. Plus encore, certains éditeurs cherchent à créer des ponts avec le monde des réseaux sociaux, depuis que EL James avec 60 nuances de Grey et Anna Todd avec After on généré des succès mondiaux après être passées par le web. Ainsi, les éditions Mazarine lancent les Mazarine Book days, une initiative pour faire venir à eux de nouveaux auteurs qui disposent de deux fois 5 minutes pour présenter leur projet de livre devant deux jurys succcessifs, dont l'un est composé de blogueurs.
L'autoédition qui était auparavant un phénomène marginal est en plein essor. Ceci car les plareformes de vente se sont développées. Comme le constate Noémie Machner, responsable Marketing chez BoD : « Nous assistons depuis plusieurs années à une démocratisation du marché du livre en France et dans le monde entier. » Une étude menée conjointement par BoD et Edilivre qui vient d'être diffusée, nous montre quelques grandes lignes de ce marché qui commence à professionaliser et fidéliser certains auteurs : la liberté est la première motivation de l'auteur indépendant, qui apprécie de pouvoir contrôler contenu (95%), droits d'auteur (85%) et promotion (73%). L'écriture étant considérée comme une occupation principale pour plus d'un auteur indépendant sur deux. Deux profils d'auteurs se dessinent en France : les « auteurs dits loisir » (77%) : essentiellement auteurs d'ouvrages de littérature générale, ils sont 22% à tirer des revenus de leur écriture et les « auteurs dits expert » (23%) : leurs ouvrages, souvent spécialisés, sont des produits dérivés de leur travail et représentent une source de revenus pour 51% d'entre eux. Autre fait marquant : le lecteur est placé au cœur du processus de création. Cette nouvelle conception de la relation auteur-lecteur plus interactive, grâce ux réseaux sociaux notamment est une composante essentielle de la nouvelle voie ouverte par l'autoédition. Les boutiques en ligne concentrent la majorité des ventes (76%), mais les librairies indépendantes sont de plus présentes (40%), les libraires étant prêts à jouer le jeu de la découverte. Il est loin où les éditions à compte d'auteur faisaient sourire. Les autoédités d'aujourd'hui réussissent même à vendre en volume, et donc à gagner de l'argent, notamment pour des récits de genre, comme la science fiction ou la romance. Résultat : plus de 7 lecteurs sur 10 sont satisfaits par leur expérience de l'autoédition. Chez Uber le chauffeur vous dit bonjour et vous donne bonbons et bouteille d'eau. De même, un auteur autoédité traite son lecteur avec soin, le considérant comme un interlocuteur et tenant compte de ses avis. Les éditeurs traditionnels seraient avisés de réfléchir à cette évolution du "contrat de lecture" et à inciter leurs auteurs à descendre de leur tour d'ivoire... (>L'intégralité des résultats de cette étude peut être consulté via ce lien).
La question qui se pose aujourd'hui est : dans la mesure où les libraires commencent aussi à s'intéresser à la diffusion de ces livres issus de nouveaux circuits, que la promotion de ces auteurs passe par d'autres visibilités, notamment via les réseaux sociaux et les plateformes de micro-publication comme Wattpad, quelle va être demain la valeur ajoutée de l'éditeur traditionnel ? Son label vaut valeur de sélection : elle est donc encore un gage de qualité. Les liens tissés avec les libraires leur assurent aussi une meilleure visibilité de diffusion. Mais les moyens techniques évoluant tellement vite, cette situation peut aussi évoluer. Que penser de l'ouverture récente de la librairie des PUF au 60 rue Monsieur-le-Prince à Paris, dix-sept ans après avoir fermé leur unique boutique parisienne ? Cette librairie est en grande partie numérique grâce à leur Espresso Book machine (version appliquée de la machine Irineo qui avait été présentée au Salon du Livre 2015), qui permet d’éditer en quelques minutes un livre que le client choisit à partir d'une tablette numérique mise à disposition dans la librairie. Au choix : un catalogue de 5.000 titres édités par les PUF, et aussi trois millions d’ouvrages du domaine public mondial, dans toutes les langues. Il faut compter cinq minutes pour un livre de 600 pages, trois minutes pour un Que sais-je ? avec un rendu semblable à un livre classique. Ce système est encore expérimental, mais il amorce une petite révolution. Si le libraire n'a plus besoin de stocker, qu'est-ce qui l'empêchera demain de proposer dans son catalogue une infinité de références, y compris des livres issus de l'autoédition ? Et si l'éditeur est court-circuité, la marge du libraire pourra être supérieure, de même que les droits pour l'auteur... Et que restera-t-il pour les éditeurs ? Nous sommes encore loin de ce scénario, d'autant qu'il n'est pas dit que les éditeurs eux-mêmes ne soient amenés à travailler avec leurs auteurs selon plusieurs cadres, en proposant peut-être aux jeunes un premier contrat proche de l'autoédition.
Ces grandes mutations provoqueront-elles une transformation du rôle des auteurs ? Ceux qui deviendront des auteurs-entrepreneurs souhaiteront-ils renoncer à leurs nouvelles prérogatives s'ils rejoignent un éditeur? Ceux qui sont aujourd'hui édités de manière conventionnelle vont-ils devoir s'investir davantage ou exiger un accompagnement garanti pour céder la majeure partie de leurs droits ? Jusqu'à aujourd'hui les auteurs ne se faisaient pas beaucoup entendre. On était plutôt dans la logique du "Tout pour être édité". Ils étaient soumis à des contrats d'édition plus ou moins identiques avec des droits faibles (entre 3% et 10% en général), car ils n'avaient pas le choix d'un autre système. Au Salon du Livre 2015, pour la première fois, les auteurs ont manifesté à travers le mouvement « Les auteurs bientôt tous à poils » orchestré par la Société des Gens de Lettres. Cette année le ton monte. Carole Trébor, écrivain et présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et Mathieu Gabella, scénariste BD et vice-président du SNAC viennent de publier une tribune dans le Nouvelobs intitulée de manière claire : "Salon du Livre : auteurs, nous voulons l'argent de nos ouvrages. Nous sommes à l'agonie". Les deux signataires veulent alerter une fois encore l’opinion et les pouvoirs publics sur la précarité grandissante des auteurs de l’écrit en France. Car à leurs faibles revenus, s'ajoute de nouvelles taxes sur leurs droits d'auteurs. Le Ministère de la Culture va livrer pendant Livre Paris les résultats d'une enquête sur les revenus des auteurs. Nul doute qu'il n'y aura pas de grande surprise dans les chiffres. Comme le soulignent les signataires de la tribune: "Faut-il rappeler pour la énième fois que l'industrie du livre fait vivre 80.000 personnes en France ? Elle est la première industrie culturelle, avec 2,65 milliards d’euros de revenus nets aux éditeurs en 2014. Et ses créateurs, à l'origine de tout, n’auraient que des miettes ? En quoi est-il si compliqué de rééquilibrer le partage de valeurs entre auteurs et éditeurs ? En dépit des cris d'orfraie, les Français lisent. Encore faut-il leur offrir des ouvrages intéressants, des histoires fabuleuses, des dessins mirifiques, leur dévoiler des imaginaires insoupçonnés pour façonner et embellir le leur. Et pour ça, il faut rémunérer équitablement les auteurs." Au match éditeurs-auteurs qui va gagner? Les éditeurs vont sûrement faire évoluer leur cadre. Leur économie s'apparente de plus en plus à celle d'un mass-market de luxe : gros investissements sur quelques auteurs, et peu pour les autres. Les auteurs qui auront déjà fait la preuve de leur succès par l'autopublication seront-ils alors à mêmes de négocier différemment leur passage à l'édition ? C'est l'évolution qui a touché le milieu de la musique. Les majors prennent de moins en moins de risques et les jeunes sont obligés le plus souvent de s'autoproduire pour espérer se faire repérer et éventuellement signer avec un grand label. Le milieu est devenu impitoyable pour les petits. Pas sûr qu'ils aient gagné au change. Est-ce ce que veulent les auteurs ?
Malgré et au milieu de tous ces grands bouleversements, il reste la passion des livres. Celle qui unit auteurs, éditeurs, libraires et diffuseurs. Une passion très française, qui nous montre qu’à chaque moment fort, les livres sont l’ultime recours : après les attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, le public s’est rué sur le Traité de la tolérance de Voltaire, tout comme sur Paris est une fête d’Hemingway après les attentats du 13 Novembre 2015. Un engouement qui tient même de l’obsession chez nos politiques qui « commettent » tous un livre dès qu’ils prétendent à un destin national. Peu importe si certains ne sont même pas écrits par eux ou que d’autres ne soient lus par personne. Avoir son nom en haut de la couverture confère un crédit à celui qui signe, comme si sa pensée allait pouvoir rivaliser avec celle des Lumières. Alors oui certainement, que ce soit sous forme papier ou numérique, en édition ou auto-publication, les livres n’ont pas fini d’occuper une place centrale à la diffusion des idées et des récits. Livre Paris est le miroir de cette fascination. Et le garant que tant qu’il y aura des livres, il existera une pensée. A tous ceux qui affirment que l’édition est en décadence, les derniers chiffres montrent que le goût de la lecture n’est pas prêt de se tarir. Et que les livres ouvrent simplement un nouveau chapitre de leur histoire.
Livre Paris 2016
17-20 Mars 2016
Pavillon 1 Porte de Versailles
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