Lili Brett a été journaliste de rock dans les années 60. Elle est aussi née en 1946 dans un camp de déplacés, fille de parents rescapés d’Auschwitz. Une double histoire, que son talent a transfigurée en œuvre littéraire. « Lola Bensky » (La Grande Ourse) est une anti-biographie, un texte aussi rythmé qu’un solo de Keith Richard, séducteur comme les vocalises de Cher et souple comme les gesticulations de Mick Jagger. Nous avons rencontré la romancière australienne installée aujourd’hui à New York. Entre deux dédicaces, elle déroule pour nous le fil de ses souvenirs, sur fond de rock, sixties et interrogations existentielles.
Elle a demandé à Jimi Hendrix s’il croyait en Dieu, prêté ses faux cils à Cher et parlé d’Auschwitz à Mick Jagger. Lili Brett a assisté à la naissance du rock and roll dans les années 60. L’héroïne de son dernier livre Lola Bensky lui ressemble comme son double : comme elle, elle est une jeune journaliste australienne dans un magazine de rock, qui promène ses kilos en trop et sa sombre mélancolie, sous le regard attendri d’Elvis, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones et les autres. Comme elle, fascinée par l’amnistie de la morale et l’amnésie de la mémoire revendiquées par ces « insolents ».
Nourri de ses souvenirs de jeunesse avec les monstres sacrés du rock, Lola Bensky est un livre qui mêle candeur et gravité, sourires et larmes. Lily Brett y raconte comment dans les années 60-70, Lola Bensky débarque à 19 ans dans le swinging London, découvre New York,ainsi que la côte Ouest des Etats-Unis et devient l'amie des nouvelles idoles des jeunes.Telle une Zazie candide et effrontée, Lola leur pose des questions sans s’étonner de rien, ose tout sans avoir conscience de son audace. Elle n’a pas fait d’études de journalisme, mais possède une manière unique d'interviewer, qui la rend incontournable pour la presse australienne.
C’est ainsi que Lola Bensky se fraye un chemin entre musique, drogue, et rock and roll. Ainsi, qu’elle interroge sa propre histoire : née dans un camp de déplacés, de parents rescapés d’Auschwitz, uniques survivants de leurs familles respectives. Elle a envie de vivre « malgré tout », de noyer son « intranquillité » dans la folle exhibition de ces musiciens qui flirtent insolemment avec le danger. Mais son histoire personnelle reviendra la hanter comme la mort rattrapera nombre de ces musiciens. Avec Lola Bensky, Lily Brett prend appui sur les années 60, pour mieux raconter le fil de sa vie. Nous partons à la rencontre de la romancière, afin de démêler réel et fiction, roman et autobiographie. Qui est Lili Brett? Qui est Lola Bensky?
Surprise : Lili Brett est une femme à la silhouette presque fragile, alors que son livre évoque des problèmes de poids récurrents et un intérêt permanent pour les régimes. Elle parle en portant attention à chaque syllabe, comme une actrice qui répéterait son texte. On a peine à imaginer que cette dame qui boit une tasse de thé avec élégance fut la jeune femme boulotte et effrontée évoquée dans le livre. En 2015, les rôles sont inversés: aujourd'hui c'est Lily Brett la star. Comme elle il y a quelques années, nous branchons le micro et lançons l'interview.
Pourquoi avoir inventé Lola Bensky qui ressemble tellement à Lily Brett ? « Lola Bensky est une partie de moi, mais elle n’est pas moi. Elle possède certains de mes attributs, a vécu une partie de mon histoire, mais pas toute l'histoire. Elle me permet de grossir le trait, d'être sélective dans les souvenirs » explique Lili Brett. Mais alors, Mick Jagger, Brian Jones, Jimi Hendrix, Otis Redding, Janis Joplin, Cher … ont-ils rencontré Lola Bensky ou Lily Brett ? « Dans la vraie vie, j’ai été en effet cette journaliste australienne qui a interviewé dans les années 60 la plupart des rock stars. Mais en racontant certaines anecdotes réelles au nom de Lola, je peux davantage jongler avec ces souvenirs. Les raconter dans une autre perspective ». Une distance qui a permis à Lili Brett de s’amuser de la jeune candide qu’elle était.
Comment la journaliste est-elle devenue un jour écrivain ? « Je crois que quand j’étais journaliste, j’étais déjà un écrivain. Je ne me suis jamais intéressée à la musique, en tant que telle; je ne faisais pas d’enquête, je ne cherchais pas à donner des ‘informations’. Je cherchais simplement à comprendre ces êtres hyper-sensibles qu’étaient les musiciens du rock naissant. Et puis j’ai été témoin d’un moment historiquement extraordinaire : un immense espoir d’un monde nouveau, l’ère du ‘peace and love’. Tout cela a composé un terreau ferrtile pour nourrir la littérature : quand le réel floute les frontières du réel, que l’utopique devient presque imaginaire... »
Et, lorsque Lola Bensky parle de ses parents rescapés d’Auschwitz, s'agit-il bien encore de l'histoire de Lily ou de celle de Lola? « Je suis née entourée de morts. Mes parents en effet ont été des rescapés des camps. Ma mère me disait toujours : ‘vous ne connaîtrez jamais de quoi les gens sont capables.’. Même si je parle de ces faits dans le livre, je ne les aborde pas de manière frontale. Ils apparaissent comme une bizarrerie parmi d'autres. Par exemple, lorsque Lola parle avec Mick Jagger d’Auschwitz, c’est presque du rock. Je n'évoque pas l’envers du décor. Je ne parle pas des souvenirs de mes parents, de notre vie d'exil en Australie, dans le plus grand dénuement, de ce 'comment vivre après'... ».
L'ironie est que les stars du rock ont été pour la plupart fauchées par la mort. Là où Lola-Lilly avait l’impression de se plonger intensément dans la vie, elle côtoyait sans le savoir ceux et celles qui allaient en être privés : « Par certains aspects, l’énergie des stars du rock semblait la meilleure antidote à la mélancolie. Cependant leurs excès se sont révélés une fuite en avant mortifère. Il y avait tant de drogues... Heureusement, cela ne m'a jamais attirée. La plupart de ces chanteurs et musiciens qui avaient l’air invincibles, sont tombés les uns après les autres, si jeunes. Finalement la mort était en embuscade là aussi. »
La mort en résonance ? De la Shoah au rock and roll ? Peut-être le point de convergence le plus étonnant du livre, qui s’exprime avec une acuité particulière dans cet extrait, p.266 : « La liste des morts était sans fin. Lola s’efforçait de ne pas penser à eux, à Janis Joplin, à Jimi Hendrix, à Jim Morrison, à Brian Jones ou à Mama Cass. Elle avait essayé de ne pas penser à Renia et à Edek morts ( la mère et l’oncle de l’héroïne, NDLR). Ni aux autres disparus. Elle avait grandi avec les morts et maintenant elle cherchait à s’écarter d’eux (...) ».
Lily s’est-elle écartée d’eux aujourd’hui ? A-t-elle appris à vivre avec les absents ? Son regard conserve toujours ce mélange d’interrogation et d’ironie. Mais le cœur semble s'être apaisé. Pendant que nous parlons, une dame se penche et demande une dédicace. Avec une grâce non feinte, Lily Brett lui demande son nom et écrit. Elle aime sentir que son oeuvre existe. Que les lecteurs la sollicitent. Que ses livres composent une sorte de famille de ralliement. L’écriture est devenue l'héritage de Lily Brett, issue posthume d’un monde peuplé de fantômes, qui veillent désormais sur le rythme de ses mots.
Ci-dessous, une vidéo où Lili Brett parle de son livre.
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