Michel Le Bris avait des semelles de vent. Il vient de les chausser pour son ultime voyage. Il aimait les grands espaces et les départs sans retour. Spécialiste de Robert Louis Stevenson, il fut également organisateur de « Étonnants voyageurs », festival littéraire de Saint-Malo créé par lui en 1990. Une figure essentielle de la littérature du voyage s'éteint et avec lui, une certaine idée du monde.
Michel Le Bris restera pour toujours un homme multiple. Sa figure légendaire agrémentée de sa grande barbe de druide a réussi à fédérer aux quatre coins du monde la fine fleur des écrivains et des penseurs dans le cadre de "son" festival Etonnants Voyageurs.
Même s'il avait passé le relai à sa fille Mélanie en 2015, il restait toujours cet insatiable conteur et rassembleur. Parfois écrasé par la tâche immense lié à l'incroyable succès de cette manifestation, Michel Le Bris s'était souvent plaint de ce que le festival avait dévoré sa vie et nuit à son oeuvre d'écrivain. Pourtant, l'oeuvre écrite et l'événement étaient intimement liés. C'est aussi Etonnants voyageurs qui a permis à Michel Le Bris de faire se rejoindre son goût de l'engagement, du rassemblement et son travail d'écriture.
Avec sa mort, c'est une certaine idée du monde qui disparaît. Un monde ouvert, riche de découvertes, de curiosité et de sens de la nature. Rien à voir avec la mondialisation et les voyages organisés sur d'immenses paquebots de croisière détruisant tout sur leur passage. Le monde de Michel Le Bris était celui de la rencontre, celui dont son ami Nicolas Bouvier parlait quand il évoquait "l'usage" qu'il convenait d'en faire. Ce monde était devenu trop petit pour lui. Michel Le Bris déplorait la manière dont le mouvement accéléré avait fait perdre le sens du regard. On peut imaginer que l'homme aux semelles de vent est parti, libéré des contraintes matérielles et qu'il accède désormais à l'immensité d'un univers dont il ira sûrement explorer les confins infinis.
Michel Le Bris est né le 1er février 1944 à Plougasnou en Bretagne. Dès sa naissance il a chaussé ses bottes de 7 lieux et n'a eu de cesse d'aller là où personne ne l'attendait, de questionner la société et d'agir avec innovation. Il a toujours mêlé le sens des engagements collectifs et la concentration d'un travail personnel d'écriture. Comme s'il allait se nourrir de ce va et vient entre les deux dimensions, jusqu'au bout.
Diplômé d'HEC en 1967, il devient rédacteur en chef de la revue Jazz Hot de 1968 à 1969. Dans le même temps, de 1967 à 1970, il fait partie de l'équipe du Magazine littéraire naissant, réunie par Jean-Jacques Brochier. Il publie cette même année, sous le pseudonyme de Pierre Cressant, un essai sur Levi-Strauss. Il participe activement au journal J'Accuse, qui comptera dans son comité de rédaction Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Jean-Luc Godard, André Glucksmann, Christian Jambet, Jacques-Alain Miller, Jean-Claude Milner, Jean Rolin, Francis Bueb et qui sera une des matrices du futur quotidien Libération. En désaccord avec la ligne de la Gauche prolétarienne sur la ligne éditoriale de J'Accuse, il quitte le mouvement la même année pour s'installer en Languedoc, près de Carcassonne, où il demeure jusqu'en 1978.
Pendant cette période il publiera Occitanie : Volem Viure !, Les fous du Larzac, La révolte du Midi, en collaboration avec les comités d'actions viticoles, et sera la plume de Claude Marti pour Ome d'oc. Cofondateur de Libération en avril 1973, il crée en 1974 et dirige avec Jean-Paul Sartre la collection La France sauvage d'abord aux éditions Gallimard puis aux Presses d'Aujourd'hui. C'est dans cette collection que paraîtront les premiers entretiens entre Jean-Paul Sartre et Benny Lévy (alias Pierre Victor) : On a raison de se révolter. Collaborateur du Nouvel Observateur de 1978 à 1986, il y tient pendant plusieurs années une chronique hebdomadaire sur les programmes radio, avant de collaborer à ses pages littéraires. Conseiller littéraire aux éditions Grasset de 1977 à 1981, il y sera l'éditeur de Kenneth White, de Hans Christoph Buch et de Peter Schneider. Il assure la direction des programmes de FR3 Ouest de 1982 à 1985.
En 1977, il publie L'Homme aux semelles de vent, essai qui le fera classer (à tort, dit-il) parmi les « nouveaux philosophes ». En 1981 paraît Le Paradis perdu puis la même année Le Journal du romantisme, qui obtiendra en 1982 un grand prix de la Société des Gens de lettres.
Mais c'est un voyage en Californie au printemps 1982 sur les pas de petits romantiques devenus chercheurs d'or (aventure qui lui inspirera le roman Les Flibustiers de la Sonore paru en 1998) qui lui fait découvrir un épisode peu connu de la vie de Stevenson en Californie. Il publie en 1986 de La Porte d'or, récit de son voyage en Californie, où passent les ombres de Stevenson et de Jack London. La publication d'inédits de Stevenson sur son voyage en Californie (Les Pionniers de Silverado) marquera les débuts de sa collaboration aux éditions Phébus, où il jouera le rôle de conseiller littéraire. Parallèlement à une entreprise de réédition ou de publications d'inédits de Stevenson, il multiplie en 1990 les collections : Voyageurs—Payot, d'abord, qui lance le mouvement des « écrivains-voyageurs » et où il édite une nouvelle génération de travels-writers britanniques (Redmond O'Hanlon, Jonathan Raban, Colin Thubron) ou américains (Peter Matthiessen), et fait découvrir Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Anita Conti et Patrick Leigh Fermor. Suit Le Grand Dehors, consacré aux écrivains de la nature, puis un peu plus tard la collection Gulliver aux éditions Flammarion, et Étonnants Voyageurs aux éditions Hoebeke.
En avril 1990, il lance la revue trimestrielle Gulliver avec Olivier Cohen et Alain Dugrand, avant de créer le mois suivant à Saint-Malo le festival Étonnants voyageurs, présenté comme le point de ralliement des « petits enfants de Stevenson et de Conrad » Il est également membre du comité d'honneur de la Maison internationale des poètes et des écrivains de Saint-Malo. Aux côtés de Michel Le Bris ont participé à la naissance du festival, Maette Chantrel, Brigitte Morin, Christian Rolland, Gerard Pont et Jean-Claude Izzo. En 1992, un premier Manifeste pour une littérature voyageuse paraît aux éditions Complexe rassemblant avec lui Alain Borer, Nicolas Bouvier, Michel Chaillou, Jean-Luc Coatalem, Alain Dugrand, Gilles Lapouge, Jacques Meunier, Georges Walter, Kenneth White.
En 1994 paraît le premier volume de sa biographie de R. L. Stevenson, Les années bohémiennes.
À partir de 2000 il développe à l'étranger une série d'éditions du festival, qui en retour viendront nourrir le festival de Saint-Malo : à Missoula (Montana, USA) le Q.G. des écrivains de l'Ouest américain, à Dublin, à Sarajevo, après la levée du siège en partenariat avec le Centre André Malraux créé là-bas par Francis Bueb, à Bamako (Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Kossi Effoui, Fatou Diome, Sami Tchak, Florent Couao-Zotti, etc.) puis, en 2007 à Port-au-Prince (Haïti) et en 2008 à Haïfa (Israël). Ce travail aboutira en 2007, à son initiative et à celles de Jean Rouaud, d'Alain Mabanckou et d'Abdourahmane Waberi, au manifeste Pour une littérature-monde en français signé par 45 écrivains de langue française, parmi lesquels J. M. G. Le Clézio et Édouard Glissant, et publié dans les colonnes du Monde le 16 mars 2007. Suit en mai 2007 un ouvrage collectif, sous sa direction et celle de Jean Rouaud, Pour une littérature-monde, aux éditions Gallimard.
Par ailleurs, directeur du Centre culturel Abbaye de Daoulas de 2000 à 2006, il y organise aussi des expositions : Indiens des plaines ; Pirates et flibustiers des Caraïbes ; Les Mondes dogons ; Fées, elfes, dragons et autres créatures des mondes de féerie ; Vaudou, le nom du monde est magie ; L'Europe des Vikings ; Rêves d'Amazonie ; Visages des Dieux, visages des hommes : masques d'Asie.
En 2008, son roman La Beauté du monde est finaliste du prix Goncourt. Parallèlement il publie un album sur le grand illustrateur de Stevenson (entre autres) : N. C. Wyeth, l'esprit d'aventure (Hoebeke). Au printemps 2009 il publie aux éditions Grasset Nous ne sommes pas d'ici, retour sur son itinéraire intellectuel.
Viabooks qui a toujours soutenu Étonnants Voyageurs et qui avait pu rencontrer Michel Le Bris à plusieurs occasions présente à sa famille ses plus sincères condoléances.
>Sources biographiques : Wikipedia
>Lire aussi notre interview de Michel Le Bris
Visionner une vidéo dans laquelle Michel Le Bris parlait en 2017 de son rapportau monde à l'occasion de la sortie de son livre Kong. Diffusion Arte.
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