Fils d’un père franco-canadien et d’une mère italienne, Paul Theroux est né en 1941 dans le Massachussetts, au sein d'une famille de sept enfants. Déjà tout petit, il avait le goût des livres et des voyages. Jamais pourtant il n'avait pensé devenir un jour écrivain. Ce rêve enfoui au fond de lui s'est pourtant réalisé, nous offrant ainsi depuis une trentaine d'années des récits et des romans portés par une insatiable curiosité. Retour sur un parcours et sur une oeuvre foisonnante qui donne une folle envie de découvrir d'autres horizons.
"On croit que l'on fait un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait" écrivait Nicolas Bouvier. Avec Paul Theroux, le lecteur prendra mille et un trains. Atteindre divers horizons mais surtout apprendre le monde et tendre vers la connaissance de soi, telles sont les quêtes d'un écrivain pas comme les autres.
Surprendre le lecteur est le grand talent de Paul Theroux qui ne raconte pas un pays mais le fait vivre à travers les mots. Son oeuvre redonne à l'idée du voyage toute sa noblesse en ces temps où ce dernier est devenu tout à fait normalisé. Theroux a le sens du pays. Il perçoit les subtilités des lieux et prend le temps de les goûter.
Theroux part très tôt en Afrique, où il est envoyé dans le cadre de l'organisation Peace Corps au Malawi. C'est ici qu'il tombe amoureux de ce pays, et après son éviction de l'agence pour divergences d'opinion, il décide d'y rester et de devenir enseignant. Il y découvre une réelle authenticité dans les rapports humains. Cette expérience a été un formidable révélateur pour son futur métier d'écrivain. Les êtres ont beau être simples, parfois très pauvres, il émane d'eux une lumière étonnante et une soif de vivre. Il raconte en effet qu' il est devenu enseignant en Afrique et que sa vie entière a changé alors. Il était plus heureux, il avait un but et plus personne ne lui demandait ce qu'il allait faire de sa vie.
Dans "Suite Indienne", Theroux souligne un élément qui reprend une philosophie du voyage trop souvent oubliée aujourd'hui: "Avec le temps, un voyage n'est plus un simple interlude de distractions et de détours, de visites touristiques et de loisirs, mais une série de ruptures, au fil desquelles on abandonne peu à peu tout un confort (...) Etre seul sans jamais se sentir isolé. Il s'agissait non pas de bonheur mais de sécurité, de sérénité, de découvertes au gré des allées et venues."
Dans "Les Colonnes d'Hercule", on retrouve ce même mouvement et cette volonté d'appréhender l'espace avec le temps du voyage. Aussi, jamais l'auteur ne prend pas l'avion, passant de car en ferry pendant dix sept mois.
Son premier récit de voyage est "Railway Bazaar" qui nous conduit en train de Londres au Japon, avec un retour par Moscou. Chaque chapitre est la montée dans un nouveau train. Ainsi passe t-il du 15h30 Londres Paris à l'Orient Express, de train postal en train local, d'express nuit en train de voyageurs, de l'Hatsukari "Oiseau du Matin" au Japon au Transibérien Express."
Des trains comme des pans de vie à eux seuls qui font traverser aux lecteurs des paysages, tout un folkore particulier et rencontrer des êtres incroyables." Car, les voyages permettent la rencontre avec l'ailleurs et avec l'autre. Le voyage demande à l'homme une plus grande humilité. Il doit s'adapter, se mouler dans d'autres types de relations pour vivre la différence.
Theroux se déplace ainsi la plupart du temps en train. Ce moyen de locomotion le fascine car il donne au temps une saveur particulière. Très jeune, le train le fait rêver. Il raconte: ""Dès mon enfance, à l'époque où nous habitions sur le passage du Boston-Maine, j'ai rarement entendu siffler un train sans éprouver l'envie d'être dedans." Pourquoi le train ? Car dans ces espaces roulants se déploie toute une vie intense et mouvante. Les personnes, les situations rencontrées invitent de nouveaux récits. Dans les trains, le temps est comme suspendu. Une vie s'y crée, formée par le départ d'une gare vers l'arrivée dans un autre univers. Entre les deux, une série de situations, de regards sur un monde si proche et pourtant si loin. La vitre du train protège de l'extérieur et pourtant le voyageur semble pouvoir le toucher. Theroux parle ainsi du sentiment rassurant du train qui sécurise quand le paysage se fait angoissant. 'Ils sont comme des souks, de fascinants bazars, qui serpentent entre les caprices du voyage sans jamais vous faire vaciller ni renverser votre verre, tandis que votre humeur va s'améliorant avec la vitesse." Le train est enfin ce lieu de passage, cet entre deux vers un lieu de départ et un lieu inconnu. C'est un pont suspendu, insaisissable car en perpétuel changement
Dans "Suite Indienne", Paul Theroux interroge la complexité de l'Inde à travers différents personnages. "Comment l'Inde incompréhensible tout d'abord à leurs yeux, les malmène, les fascine, les enrichit ou les détruit." Le texte évoque le trouble infini et l'aimantation qu'exerce ce pays. Le texte souligne la sensualité qui s'exhale de ce lieu inouï: "Oui, l'Inde était sensuelle. Si elle semblait puritaine, c'est que derrière son puritanisme se cachait une sensualité refoulée, plus insatiable, plus nue, plus vorace." Particulièrement dans ce roman "Suite Indienne", Theroux rend hommage au dieu Elephant Ganesha. Au delà de l'évocation du Dieu, le texte malaxe la matière de l'aspect antique de l'Inde.
Theroux souligne un élément qui reprend une philosophie du voyage trop souvent oubliée aujourd'hui: "Avec le temps, un voyage n'est plus un simple interlude de distractions et de détours, de visites touristiques et de loisirs, mais une série de ruptures, au fil desquelles on abandonne peu à peu tout un confort (...) Etre seul sans jamais se sentir isolé. Il s'agissait non pas de bonheur mais de sécurité, de sérénité, de découvertes au gré des allées et venues."
Dans "Les Colonnes d'Hercule", on retrouve ce même mouvement et cette volonté d'appréhender l'espace avec le temps du voyage. Aussi, jamais l'auteur ne prend l'avion, passant de car en ferry pendant dix sept mois.
"Dans la Chine à petite vapeur", Theroux nous fait prendre conscience de la puissance de la "masse humaine". Car nous dit l'auteur "pour savoir regarder les hommes, il faut se fondre dans les villes, en condenser l'âme et le caractère." Dans le titre de cet ouvrage, on perçoit aussi un goût pour l'humour. Les voyages de Theroux sont toujours teintés de vies trépidantes mais aussi de rires et d'ironie. Il y a ainsi un détachement jouissif, un besoin de ne pas se prendre au sérieux et de développer sa curiosité.
Theroux rencontre V.S Naipaul très jeune en Afrique. Très vite, les deux hommes s'apprécient et commence une amitié qui durera 30 ans, brisée par une brouille sans retour donnant un livre de la part de Theroux, "Sir Vidia's Shadow". Au delà de l'histoire qui a mené à la brouille, on peut comprendre cette cassure comme le besoin pour Theroux de tuer le père. Naipaul a été longtemps le mentor et un jour, il faut que le disciple prenne son envol. Dans un article de la "République des Lettres", on lit: « L'amitié de 31 ans entre les deux écrivains, qui avait commencé en Ouganda en 1966 alors que Théroux avait 25 ans et Naipaul 34, s'est terminée (...).Paul Théroux, apercevant V.S. Naipaul dans une rue du quartier londonien de Kensington, lui a demandé pourquoi il n'avait pas répondu à son dernier mot. Naipaul lui a alors rétorqué d'"encaisser et de dégager", toujours selon le journal. Dans ce mot, Paul Théroux, auteur notamment des "derniers jours de Hong-Kong" et "Les îles heureuses d'Océanie", demandait des explications à son ami après s'être aperçu, en feuilletant un catalogue de livres rares, qu'il essayait de vendre deux exemplaires qu'il lui avait dédicacés. »
Theroux a l'art de changer de vitesse dans la narration afin de donner au lecteur le sentiment d'effectuer le voyage. Cet art du mouvement s'exprime à travers le rythme des dialogues entrecoupés de descriptions précises, de retours sur le principe du voyage et de mise à distance.
Enfin, la structure même du récit est particulièrement pensée. Dans "Suite Indienne" par exemple, le récit se compose en triptyque et la forme du roman donne tout son sens au texte. Il développe les formes d'un pays tour à tour chaotique et saisissant dans sa folle diversité. Ainsi le couple d'Américains, l'homme d'affaires et la naïve étudiante entreront dans la suite royale du même hôtel de Bombay mais jamais ils ne se croiseront. Ce choix est à lui seul un moyen d'appréhender l'Inde car il permet de confronter les situations en soulignant les différences et les attentes de chacun.
Car enfin si Theroux pose un regard sur l'ailleurs, ça ne l'empêche pas de réfléchir sur son propre pays l'Amérique qu'il regarde évoluer avec un oeil acerbe et percutant. Dans un texte sur l'Amérique il note:
"Late at night, in most places I knew, there was almost no traffic and driving, a meditative activity, could cast a spell. Behind the wheel, gliding along, I was keenly aware of being an American in America, on a road that was also metaphorical, making my way through life, unhindered, developing ideas, making decisions, liberated by the flight through this darkness and silence. With less light pollution, the night sky was different, too -starrier, more daunting, more beautiful."
Le voyage permet aussi de regarder son propre pays avec des yeux nouveaux, plus vifs, plus lumineux. Belle invitation au voyage...
Paul Théroux, Suite Indienne, Grasset.
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