De la nouvelle en version nomade, au roman transformé en BD, en passant par le twitt pour non-lecteurs, l’époque plébiscite la version courte, pour ne pas dire ultra-condensée. Si la poésie nous montre que le format court peut être sublime, comme dans les haïkus japonais, que faut-il penser de ces rapides résumés ? De simples exercices de style qui dénaturent la littérature ? Des outils ludiques pour inciter les récalcitrants à les découvrir ? L'apologie du court va-t-elle devenir le nouveau diktat d'une littérature à la diète ?
Small is beautiful est depuis longtemps un principe esthétique. En littérature en revanche, bien souvent le récit trop court est souvent qualifié de paresseux. Sauf en Asie où la poésie des Haïkus montre combien quelques mots essentiels peuvent valoir leur pesant d'éternité. Dans son prolongement, est né le Sanwen, une forme de récit court. Les lecteurs occidentaux commencent à apprécier un temps de lecture réduit, surtout sur tablette. De nouveaux usages donnent naissance à de nouvelles formes d'écriture. Va-t-on voir déferler une mode de récits courts?
Champions du court en la matière, les japonais ont inventé la poésie en version d’avant les sms avec les « haïkus », dont le système très codifié comporte 17 mores ( un découpage des sons plus fin que les syllabes) en trois segments 5-7-5, et est calligraphié en une seule ligne verticale. Citons comme illustration, ce célèbre haïku du poète Ryokan : "Tendre souvenir: /la coiffure des enfants/ – violettes en fleur ". Certains auteurs occidentaux se sont prêtés à cette contrainte métrique. Par exemple, Raymond Queneau a écrit un haïku dans les premières éditions d'" Exercices de style" (1947) : "L'S est-ce/long cou marche pied/cris et retraite/gare et bouton / rencontre". La contrainte du peu incite à trouver l’intensité du sens : la poésie touche alors au sublime. Point n’est besoin de grandes éloquences pour exprimer l’infini. Tel était, d'ailleurs le thème d’une nouvelle de Borges qui imaginait que le poème parfait serait celui qui ne tiendrait qu’en un mot…
A côté du "miniliv", les asiatiques apprécient le "sanwen", un genre littéraire, qui signifie " écrit dans la main". Il s'agit de très courts récits qui peuvent ne contenir qu'une seule phrase. Même si une seule phrase pourrait courir sur des centaines de pages. Les éditions Philippe Piquier ont démarré la collection avec un joli récit de Yan Lianke, intitulé En songeant à mon père. Un petit bijou.
Short Édition entend redonner une place à la littérature courte (en embarquant au passage la BD dans l’aventure). Plus proche des nouvelles habitudes de la société, et idéale pour lutter contre les petits moments d'ennuis et d'attente de la vie quotidienne. Au boulot, dans le bus ou le métro, dans la salle d'attente du médecin, à la caisse du supermarché ou dans un arbre… le court s’emporte partout.
Short edition propose tout ce qui se lit d'un seul trait, en moins de 20 minutes : Nouvelles, BD courtes, Poèmes (de l'alexandrin au slam) et Très très courts (nos micro-nouvelles). C'est simple, rapide, pratique… et c'est d’ailleurs pour cette raison que la révolution du court est en marche. Short edition a même imaginé une machine à distribuer des histoires courtes.
Lorsque Paul Morand écrivit L’homme pressé , il associa la modernité à la vitesse, y compris dans le rythme de l’écrit. Une intuition qui s’est révélée prémonitoire, tant cette accélération des flux s’est accrue avec Internet et l’habitude du « conso-zapping ». Aller vite, sauter d’une phrase à l’autre, finir par oublier la ponctuation et les mots de liaison… nous en sommes là aujourd'hui. Il faut dégraisser, pour séduire un public qui se met à juger d’un livre au poids. Comme si la littérature aussi se mettait au régime. Philippe Delerm lança en quelque sorte cette mode du « plaisir minuscule », avec sa Première gorgée de bière, nous habituant à l’idée qu’on pouvait écrire un texte qui se dégustait comme un plat de cuisine moléculaire : on en a gardé la sensation mais on s’est débarrassé de son « corps ».
Depuis qu'Alice Munro, grande auteure de nouvelles canadienne a obtenu le prix Nobel de littérature en 2013, les nouvelles sont devenus un genre noble. Les nouvelles pourtant, auparavant peu prisées des français se sont mis à fleurir et à séduire : Anna Gavalda devint même célèbre avec son J’aimerai que quelqu’un m’attende quelque part . Ce n’est pas Eric-Emmanuel Schmitt, qui a reçu le prix Goncourt de la nouvelle pour son livre Concerto à la Mémoire d'un Ange, qui s’en plaindra, vu le succès de son livre. Il y a même une jeune maison d’édition, les éditions du Banc d’Arguin, qui a conçu le concept de « miniliv », des petits livres composés d’une seule nouvelle, qui se lisent dans un hôtel ou un lieu de passage et proposent un « instant littéraire », comme on proposerait une mise en bouche. Quand on a peu de temps, c’est quand même mieux à se mettre sous les yeux qu’un catalogue de pub (le nouveau nom attribué aux magazines). La contrainte du format pourrait même sonner comme un défi pour les auteurs.
En un mot … Cela devrait faire rêver les lycéens qui se plaignent parfois de la longueur des livres classiques et qui sont les rois du SMS en 3 mots, du tweet qui claque et du chat en accéléré. Pour certains le livre se juge au poids : si le seuil des 200 pages est dépassé, ils prennent peur : si bien qu’à choisir entre Maupassant et Marcel Proust, ils préfèrent le premier. Serait-ce pour les séduire que deux étudiants en littérature de Chicago, Emmett Rensin et Alexander Aciman, ont décidé de résumer quelques chefs d’œuvre de la littérature en quelques tweets ? Ou ont-ils cherché à imaginer les meilleures antisèches pour leurs examens en imaginant des résumés ultra- condensés pour se souvenir de leurs auteurs ? Cette "twittérature" comme ils l’ont appelé ( titre de leur livre) qui ressemble à un jeu de potache est devenu un livre dont les résumés sont édifiants.
Avec eux, le début de « Du côté de chez Swann » devient « Impatient que maman me borde. Suis trop vieux pour ça, mais quand elle approche je vois de la lumière dans le couloir et me dis Ah ». Madame Bovary : « Ma tristesse m’ennuie ; Il me dit de changer de décor. Cela m’aidera, genre voyage en Italie qui soigne les tubards. Envie qu’on m’enfile, oui »... Erik Orsenna qui signe la préface reconnaît « qu’à chaque ligne on sursaute ».. mais espère que ce recueil sera utile … Mais utile à quoi ? Si la Twittérature devient la négation même de la littérature, à quoi sert-elle ? Espérons plutôt que cette Twittérature va plutôt engendrer une Poétwitt, qui va s’attaquer à la métrique du twitt ( 140 signes maximum), comme un nouveau format poétique, sorte de haïku des temps modernes, qui va inventer quelque chose de nouveau et non résumer pauvrement un classique défiguré.
Nous n’avons pas fini de voir les livres passer à la centrifugeuse, car le court est définitivement à la mode. Un autre auteur s’est attaqué au défi du super- résumé . « Cousin » suédois de nos post-ados américains, Henrik Lange, un auteur de Bd a résumé 90 chefs d’œuvre de la littérature en 3 cases de bande dessinée (« 90 livres cultes à l’usage des personnes pressées »). En Suède le livre a figuré parmi les meilleures ventes. Après La littérature pour les Nuls, serions-nous maintenant au stade de La littérature pour analphabètes ? Il se trouve que le sieur Lange a un certain humour et que sa Bd tient plutôt de l’exercice amusant. Il apparaît comme un agréable divertissement qui ne se prend pas au sérieux. Cela pourrait être le début d’un prochain jeu de société « Résumez et mimez un chef d’œuvre de la littérature en 2 mn », cela va faire un tabac chez les amateurs de Scrabble et de Pictionnary. En revanche, les 90 livres cultes sont totalement anéantis.
Finalement réduite à la portion congrue, c’est toute l’interrogation même du sens qui se pose. On peut écrire 1000 pages pour décrire un instant, dont le simple récit se résumerait en une seconde : par exemple, un homme rêve d’une femme qui ne l’aime pas. La chose est dite. Tant de livres pourraient se réduire à une infime parcelle d’histoire qui ne signifie rien, puisque ce n’est pas l’histoire qui fait le livre mais toute sa construction et sa langue. Quand la littérature se fait générique et que le coefficient de concentration se résume à presque rien, ce n’est pas seulement une œuvre qu’on assassine, mais l’idée même de littérature. Que serait-on sans les infinies digressions ? Que serait-on sans cette mesure du temps qui s’arrête, où les mots inscrivent une jubilation sans limite ? Drôle d’époque qui veut concentrer le texte, transformer le récit, bouleverser la lecture. Tristes exercices de style, s'ils se résument à nier la notion même de plaisir… Mais joyeuse époque aussi qui cherche à dire l'essentiel en peu de mots. Cette cure d'amaigrissement ira-t-elle de pair avec un souci du sens ?
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Et si le format court était à la littérature ce que la minijupe est à la couture ?... La question mérite d'être posée ;-)