Quarante ans après sa disparition, le philosophe français Michel Foucault demeure omniprésent. Longtemps controversé en raison de ses prises de position, comment est-il devenu l’un des plus grands penseurs contemporains ? A l'occasion de son intronisation dans une édition de La Pléiade, nous revenons sur ce penseur-clé du XXè siècle.
Il disait « écrire pour ne plus avoir de visage ». A quelques jours seulement du centenaire de Roland Barthes, Michel Foucault (1926-1984) intégrait le 5 Novembre dernier la prestigieuse collection La Pléiade (Gallimard). Plusieurs décennies ont été nécessaires à l’acceptation de son œuvre. Des idées venues trop tôt, ou tout simplement malvenues : Michel Foucault est aussi insaisissable que temporellement présent. « Les révolutions éthiques sont les plus prometteuses », disait-il. L’auteur a passé sa vie à remettre en cause certaines idées préconçues sur la justice, l’homosexualité, la folie et la littérature. Pas d’accord avec les étiquettes qu’on lui attribuait, « historien », « homme engagé » ou encore « épistémologue », il s’est qualifié lui-même « d’artificier », à l’occasion d’une interview en 1975.
Né à Poitiers dans une famille de notables, c’est influencé par Nietzche, Marx, Bachelard et Canguilhem, qu’il va commencer à étudier la philosophie. En 1961, sa thèse Folie et déraison lui permet d’être remarqué. Quelques années plus tard, il profite de l’effervescence du structuralisme et publie Les Mots et les choses. (1966) Après mai 68, il devient professeur au Collège de France. Il embrasse la politique, et s’impose comme le digne successeur de Jean-Paul Sartre. Son travail se politise, et ses écrits accompagnent les luttes et résistances des prisonniers, des immigrés et des homosexuels. Surveiller et punir paraît en 1975. Il y traite l’évolution des techniques de châtiments au cours des années, et de la naissance de la discipline comme un moyen de normaliser les individus. Quelques mois plus tard, sort La Volonté de savoir, premier volume de l’Histoire de la sexualité, qui se décline en trois tomes. (1976). Il mourra précocémment du SIDA en 1984 à l'âge de 58 ans.
La Pléiade permet de découvrir les Tomes I et II du recueil Œuvres, sous la direction de Frédéric Gros. Tous les livres de Foucault y figurent, excepté Maladie mentale et personnalité, un ouvrage destiné à la sphère étudiante, ainsi que le dernier volume de l’Histoire de la sexualité, les Aveux de la chair. Notes, index, bibliographie et chronologie ont également été intégrés pour faciliter l’acheminement du lecteur. Mais celui-ci est prévenu : réunir ces œuvres n’a pas vocation à former une autobiographie intellectuelle. Dans le premier, on retrouve Histoire de la folie classique, Naissance de la Clinique, Raymond Roussel et les Mots et les choses. La vision de la folie et de l’enfermement psychiatrique que va proposer Michel Foucault, va venir ébranler l’histoire médicale traditionnelle. Foucault raconte le long processus par lequel passera le dit « fou », avant de devenir un « malade mental » objet de science, et inspirateur de lieux spécifiques comme la psychiatrie. A travers cet ouvrage, il dit avoir envisagé « ce livre comme une espèce de souffle vraiment matériel, et je continue à le rêver comme ça, une espèce de souffle faisant éclater des portes et des fenêtres.» Foucault va disséquer les codes sociétaux qui dirigent le langage, les échanges humains, le travail; pour étendre son étude à toutes les sciences humaines.
Le deuxième tome contient l’Archéologie du savoir, l’Ordre du discours, Surveiller et punir, ainsi que les trois premiers tomes de l’Histoire de la sexualité. Ni texte inédit, ni œuvre complète, cependant ; mais de la philosophie, de l’archéologie, et des récits de vie.
Affranchi des Ecoles de la Pensée, le style de Michel Foucault se démarque de celui de ses pairs et soumet son œuvre à de nombreux commentaires et interprétations. Que ce soit en psychanalyse, en sociologie, ou encore en littérature, sa singularité vient de son refus de construire un système, de répondre à certains critères établis. Le philosophe n’a jamais cessé de s’interroger, de s’intéresser à l’évolution de son art ; il a inscrit son œuvre dans une démarche en constante évolution. Cette ouverture à de nouvelles perspectives se retrouve au niveau politique : tantôt gaulliste, parfois gauchiste anti-marxiste, et même communiste, pendant une courte période. Inspiré avant tout le monde par le néolibéralisme, dès le milieu des années 1970, Michel Foucault lui consacrera de nombreux textes. Ils figurent parmi les plus controversés de son œuvre.
Entre février et mars 1984, il donnera son dernier cours au Collège de France : « Le courage de la vérité. » Le mot-clé qui recentre sa pensée autour d’une interrogation principale, c’est la question de la vérité. « Et j'ai beau dire que je ne suis pas un philosophe, si c'est tout de même de la vérité que je m'occupe, je suis malgré tout philosophe », écrivait-il dans Dits et écrits, recueil posthume d’abord décliné en quatre volumes, puis réduit à deux en 2001. Dans les années 1980, à San Francisco, il va voir dans ce paradis américain l’opportunité d’affirmer sa sexualité, d’avouer ce qu’il considère être « sa vérité ». Ni moraliste, ni associé à la transcendance, contrairement à Heidegger, Foucault aspirait à une connaissance exacte des choses, éloignée de toute conception fondée sur la dualité entre le bien et le mal. Réfractaire à la pensée spéculative, son discours se base sur des faits, et de cette manière va s’inscrire dans la continuité de l’œuvre de Spinoza. Avec un certain goût pour les sciences humaines, Michel Foucault va entreprendre une formation archéologique. Il essayera de comprendre à quel moment l’être humain, cet objet de savoir, est devenu ce qu’il considère être un « animal de vérité ».
Autre aspect de la vérité, d’après le philosophe, les techniques de vérité vont « créer » la réalité, et non la refléter. Prenons des cas concrets tels que la maladie mentale, la délinquance, la sexualité ou encore l’Etat : pour lui, ces notions n’existent pas. Mais cela ne les empêche pas d’être « réelles », « véritables » ; parce qu’elles ont été portées, approuvées par un système juridique et de « véridiction ». Autrement dit, la vérité soutenue par des instances de pouvoir, aurait la capacité de rendre vraie une chose qui n’existe pas, et obligerait ainsi les existences matérielles à s’y identifier. C’est comme cela qu’au nom d’une science médicale de la maladie mentale, l’asile serait le lieu où commence la folie humaine. Avec les années 1980, apparaît l’éthique de la vérité. Il s’agit de la dernière période intellectuelle, identifiée comme celle des actes de vérité. Durant cette période, Foucault va étudier trois grandes possibilités qui s’offrent à l’Homme, pour se constituer : la confession, le souci de soi et le franc-parler.
Dans les sciences humaines, l’œuvre de Michel Foucault a longtemps fait l’objet de multiples critiques. Ses travaux ont conduit à une véritable révolution dans la manière de penser et d’écrire l’Histoire. Depuis sa mort, ses théories ont été critiquées, modifiées, discutées voire-même réappropriées. Si Foucault continue d’être autant présent aujourd’hui, c’est en partie pour des raisons éditoriales. Presque chaque année, avec la publication des cours au Collège de France, des textes inédits sont mis à disposition du public. Leur auteur y livre certains outils qui permettent d’aborder de grandes thématiques politiques actuelles. Quant à son concept de la biopolitique, il est à l’origine de deux grands courants de pensée dominants aux Etats-Unis : les gender studies et les études postcoloniales. Proche du philosophe Pierre Hadot, à l’origine du renouveau de la philosophie comme art de vivre, Michel Foucault continue d’inspirer de nombreux penseurs, comme Luc Ferry et Michel Onfray. Représenté comme l’un des plus grands penseurs du XXème siècle, il figure également parmi les auteurs de sciences humaines les plus cités au monde. L’an dernier, ses archives classées « trésor national » ont été rachetées par la Bibliothèque de France. Et c'est ainsi que le sulfureux Monsieur Foucault a rejoint le cercle très fermé des auteurs de "La Pléiade", dont le papier bible épouse désormais les mots couchés. Cela aurait probablement amusé le penseur iconoclaste.
>Michel Foucault, Oeuvres complètes T 1 et 2, La Pléiade
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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