Un livre à retenir : Seul un monstre… (éditions Lumen) de Vanessa Len, auteure australienne d'origine sino-malaisienne. Ce premier roman fantastique est une épopée prenante sur la monstruosité, le comportement héroïque et le voyage temporel. Un récit qui fait voyager, sourire, et surtout réfléchir.
«Les Oliver voient. Les Hunt dissimulent. Les Nowak vivent. Les Patel bloquent. Les Portelli ouvrent. Les Hathaway emportent. Les Nightingale prennent. Les Mtawali préservent. Les Argent persuadent. Les Ali scellent. Les Griffith révèlent… Mais seuls les Liu se souviennent.» -Vanessa Len
Cette vieille comptine, tous les petits monstres de Londres la connaissent dans le livre Seul un monstre…, le livre dystopique de Vanessa Len, nouvelle révélation de la littérature de fantasy aux sensations fortes.
Vanessa Len propose dans ce premier roman talentueux une pleine dose de suspense, dilemmes cornéliens, rivalités ancestrales et chagrins immenses, qui posent les bases d’un univers plein de promesses ou rien n'est tout à fait ce qu'il semble être. L'auteure australienne d'origine chinoise, maltaise et malaisienne, un temps éditrice, se place du point de vue du monstre en conflit avec le héros, ce héros qui d'habitude suscite l'admiration et qui, ici, se démarque par son envie de tuer et sa capacité à traquer sa proie à travers les époques. Un paradoxe étonnant qui attise les conflits. L'auteure remanie avec virtuosité les règles du voyage dans le temps et dépeint un système surnaturel aux possibilités vertigineuses. Dans ce récit parfois implacable se débat une héroïne torturée, prête à tout pour sauver ceux qu'elle aime, y compris l’inimaginable : défaire le passé.
Pour le personnage central Joan, jeune Sino-britannique en vacances dans la capitale chez sa famille anglaise, ce monde parallèle reste méconnu. Un matin, la jeune fille assiste à un événement insensé : une confrontation avec un vieillard la projette dans le temps, 24 heures en avant. La vérité lui tombe violemment dessus : Joan est un monstre, un être pouvant voler des secondes, mois, années de vie aux humains pour voyager dans le temps et l’espace.
Attaquée un soir dans un musée avec son collègue Nick par une famille de monstres, ennemie de la sienne, les Oliver, Joan voit sa famille assassinée et apprend que Nick n'est autre qu'un chasseur de monstres. Effrayée, la jeune fille doit fuir en compagnie du plus jeune fils Oliver. Joan découvre qu’elle n’est pas une "monstre ordinaire", et que le temps dans lequel les siens évoluent depuis des millénaires n’est qu’une énorme machination…
Obligée de collaborer avec différents protagonistes, dans un univers dont elle ne connaît rien et au péril de sa vie, afin de sauver à la fois le temps, les monstres, et les humains ( rien que ça...) ; obligée de risquer sa vie pour ramener sa famille, Joan va plonger dans ses retranchements, voyager à la cour royale des monstres, et confronter son némésis, pour le salut d’un monde où les monstres ne sont pas forcément ceux à blâmer... Sacrée épopée !
L'atmosphère, pesante et haletante, invite à plonger à la suite des personnages dont l'excentricité et le malice semblent empruntés à un conte de Perrault. Des rencontres mystérieuses, des regards de côté. Vanessa Len joue avec l'ignorance du lecteur et utilise les non-dits pour faire monter la tension. Car cette jeune fille, livrée à elle-même dans les rues de Londres à une époque inconnue, cultive une conviction intense et un désir ardent de sauver sa famille. Attitude plutôt héroïque pour un monstre qui, au fil de la lecture, ne cessera de surprendre et d'intriguer dans ce roman parfois sombre.
Car c'est bien une guerre silencieuse qui se déroule dans les profondeurs du temps, avec une logique de dissuasion pouvant presque rappeler notre propre histoire humaine.
Seul un monstre... est la métaphore d'un monde où les stéréotypes s'écroulent et où la limite entre le bon et le mauvais est sans cesse dépassée. Un monde dans lequel les héros pourchassent les monstres et leur font subir une lente agonie. Un monde où, peut-être, la dernière chose à faire est de s'enfouir dans le passé pour sauver le futur.
Qu’est-ce qu’un monstre ? Dans sa définition originelle, la figure du monstre est un être surnaturel envoyé par les dieux pour tester un héros. Le monstre est mauvais, brutal, sanguinaire. Dans l’ouvrage de Vanessa Len, les points de vue sont paradoxalement inversés : on suit les pas de la jeune monstre, fille douce et généreuse dont la seule caractéristique "monstrueuse" est la capacité à voyager dans le temps. Le héros, au contraire, est dépeint comme ivre de vengeance, formaté pour traquer et tuer les monstres jusqu’au dernier. Mais, entre les deux, qui est le vrai monstre ?
Un monstre peut se définir comme tel soit par son physique (exemple de Frankenstein, la Bête dans la Belle et la Bête), soit par son caractère (Dracula, la Momie). Dans Seul un monstre…, les personnages ne présentent pas de caractéristiques physiologiques pouvant être jugées comme monstrueuses, alors qu'au niveau psychologique, les différentes familles de monstres, bien qu’en rivalité les unes avec les autres, ne présentent pas de pulsions particulièrement sadiques ou foncièrement mauvaises. Les humains, du côté de Nick, le prétendu héros, bien que servant la « noble cause » d’assassiner les monstres, mais en réalité traquant ceux-ci jusqu’au dernier et les tuant de façon cruelle et systématique, seraient-ils alors les vrais monstres ?
En effet, un monstre peut-il vraiment se définir comme tel par son apparence, non choisie et opposable à son caractère ? Pour reprendre l'exemple de Frankenstein, la bête d'apparence hideuse cherche en réalité uniquement à trouver l'amour car elle se sent seule. Se mettre à la place du monstre est essentiel pour comprendre les tenants et aboutissants ayant forgé un individu. Ne dit-on pas que, étant petit, on veut être le gentil, et en grandissant on comprend le méchant ? Vanessa Len amène avec brio dans un ouvrage d'apparence seulement fantastique, une réflexion sur la nature humaine et la monstruosité qui existe de manière universelle. L'archétype que la jeune protagoniste, en combat permanent avec elle-même et sa nature profonde, amène dans Seul un monstre... en dit long sur cette lutte intérieure qui habite en chacun de nous.
>Seul un monstre..., de Vanessa Len, éditions Lumen, 486 pages, 16 euros.
Visionner la vidéo de présentation de Seul un monstre... par les éditions Lumen :
Les lauréats du Prix Mare Nostrum 2024 vient de livrer la liste de ses lauréats. Chaque lauréat recevra une dotation de 2 000 € pour sa c
Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast