En avance sur leur temps, les œuvres censurées choquent leurs contemporains. Mais censurer n’est pas tuer...bien au contraire, les génies hier "interdits" sont célébrés aujourd’hui.
Molière met en scène un faux dévot nommé Tartuffe, qui tente de manipuler un bon père de famille, Orgon, en simulant une grande piété. Tartuffe l'hypocrite cherche à séduire la fille et l’épouse d’Orgon pour mieux déposséder ce dernier de ses biens. Molière critique ainsi l’influence de certains dévots appâtés par le gain.
Une comédie dangereuse
Les trois premiers actes sont d’abord présentés à Louis XIV en 1664. Malgré son succès auprès du roi, Molière est rapidement accusé d’impiété par les dévots de la Compagnie du Saint-Sacrement. Il modifie le titre de la pièce et remanie le texte pour contourner la censure. Mais la nouvelle version, Panulphe ou l’Imposteur est qualifiée de "comédie très dangereuse" par l’archevêque de Paris. Celui-ci interdit toute représentation de la pièce. Il faudra attendre 1669 et un climat plus favorable pour qu’une version légèrement adoucie du Tartuffe soit autorisée.
La tartuferie
Même si le mot était déjà employé dans le langage courant, c’est l’immense succès de la pièce qui est à l’origine de l’antonomase du nom propre tartuffe ; un tartuffe signifie désormais un faux dévot et par extension un menteur et un hypocrite. La tartuferie signifie un comportement d’hypocrite.
Extrait
TARTUFFE
Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.
Le Tartuffe, Acte IV, scène VI
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En épousant Charles Bovary, un médecin consciencieux, la jeune Emma rêve d’une nouvelle vie de passion et de luxe. La réalité sera autre ; désillusions, frustration, liaisons décevantes, endettement, dépression…
Des écrits licencieux
Dans son format initial, Madame Bovary se présente comme un roman-feuilleton publié dans la Revue de Paris en 1856. Quelques passages jugés trop osés par l’éditeur sont retirés comme l'élan fougueux entre Emma Bovary et le clerc de notaire Léon dans un fiacre. Mais le retrait des passages les plus grivois n’empêche pas la censure de frapper : les liaisons extraconjugales d’Emma Bovary sont jugées immorales. Le procès a lieu en janvier 1857 et le célèbre procureur Ernest Pinard démontre sans convaincre que le langage de l’auteur est trop cru. Flaubert sera acquitté et l’œuvre publiée en entier.
Madame Bovary, c’est moi
La création de Flaubert engendre une nouvelle notion. Inventé en 1902 par le philosophe Jules de Gaultier, le bovarysme est une identification excessive à un personnage de fiction, «une fuite dans l’imaginaire et le romanesque».
Madame Bovary, chapitre VII
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Ponctuées de scandales et de procès, les frasques du marquis de Sade le conduisent en prison. C’est à la Bastille qu’il rédige les premiers volumes de Justine. Son conte philosophique se mue en vaste œuvre pornographique. Le roman retrace les mésaventures de Justine, une petite orpheline démunie qui n’a vraiment pas de chance. Dès qu’elle cherche refuge et réconfort, elle tombe sur les personnages les plus corrompus de France: un chirurgien-boucher, un évêque-guillotineur, des nobles cruels et autres moines pervers. Des préceptes immoraux suivent les scènes d’orgies pour rendre l’œuvre plus subversive encore.
De mauvaises mœurs
Justine ou les malheurs de la vertu sera publié en 1791, avec la simple mention "En Hollande, chez les Libraires associés", l’auteur et l’éditeur restant anonymes. Le roman rencontre un succès considérable mais sa circulation sera suspendue pour atteinte aux bonnes mœurs. En 1801, la police investit les locaux de l’imprimeur et arrête le marquis de Sade. A cause de sa réputation sulfureuse, il est interné sans jugement dans un asile, où il continuera à écrire les suites de Justine jusqu’à sa mort. Son œuvre restera clandestine et censurée jusqu’en 1958 lorsque la justice accorde enfin à Sade le titre d’ "écrivain digne de ce nom". La bibliothèque de la Pléiade lui rend hommage en publiant ses œuvres complètes en 1990.
Le Marquis du sadisme
On trouve le néologisme "sadisme" dès 1834 dans le Dictionnaire universel. Alors synonyme de débauche et de crimes monstrueux, le sadisme trouve une nouvelle définition grâce à un psychiatre austro-hongrois. Le sadisme désigne alors une perversion de nature sexuelle qui trouve son penchant inverse dans le concept de masochisme.
« Ne te contiens donc point, nargue tes lois, tes conventions sociales et tes Dieux.» Justine ou les malheurs de la vertu
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Le roman prend la forme d’une étude du cas psychiatrique d’Humbert Humbert, protagoniste obsédé par les très jeunes filles. Il épouse Charlotte Haze, mère de Dolores (Lolita), la fillette de 12 ans qui l’envoûte. Les circonstances lui permettent de sillonner l’Amérique avec la jeune fille, offrant ainsi au lecteur une plongée dans les bas-fonds du Midwest des années 40.
Le professeur anonyme
Professeur à la prestigieuse université de Cornell aux Etats-Unis, l’écrivain d’origine russe propose Lolita de façon anonyme aux éditeurs américains. Le roman jugé pornographique est refusé, et on lui prédit un meilleur accueil en France !
En effet, Olympia Press publie à Paris les deux volumes en anglais en 1955. Mais le livre sera interdit dans sa version originale à deux reprises sur demande du Ministre de l’Intérieur. Au même moment, les éditions américaines G.P Putnam publient Lolita. La censure est alors levée en France. Gallimard publie une traduction française du roman en 1959.
Les petites lolitas
Même si le surnom existe dans la littérature avant Nabokov, c’est avec le formidable succès de son œuvre qu’il passe dans le langage usuel. La lolita devient synonyme de jeune fille aguicheuse, de nymphette.
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta ; le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo. Li. Ta. »
Lolita
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Pantagruel et Gargantua chroniquent la vie de deux géants débonnaires et bons vivants. Chaque livre conte la généalogie, l’apprentissage, les rencontres, les voyages et les faits guerriers des colosses, comme dans un roman de chevalerie. Pantagruel est le fils glouton de Gargantua, accompagné par son fidèle compagnon Panurge, polyglotte éclairé. Ce récit truffé d’humour parodie l’obscurantisme du Moyen Âge.
Gargantua narre les péripéties du héros titanesque du même nom, qui est le père de Pantagruel. Rabelais prône l’Humanisme de la Renaissance en opposition à la rigidité de l’enseignement de la Sorbonne. Les effets comiques et les passages graveleux amplifient le propos.
Le gastronome païen
François Rabelais publie Pantagruel en 1532 en utilisant son anagramme Alcofribas Nasier. Détentrice du monopole des industries du livre à Paris, la Sorbonne censure le roman qu’elle juge pernicieux et obscène. Déterminé, Rabelais récidive avec Gargantua. Puis, le Tiers Livre et le Quart Livre complèteront l’histoire des géants dans la même veine comique à visée humaniste. Egalement censuré par la Sorbonne pour hérésie, le Tiers Livre continue d’être imprimé en 1548. En 1550, le Roi Henri II offre enfin à Rabelais le privilège d’éditer toutes ses œuvres.
Pantagruélique et gargantuesque
L’adjectif pantagruélique exprime un appétit féroce, un gargantua est un gros mangeur. Le pantagruélisme représente une philosophie épicurienne. Dans le Tiers Livre, Panurge, l’ami de Pantagruel, a l’idée de conduire un mouton à l’eau pour que tous les autres suivent et se noient. L’expression "mouton de panurge" dérive de ce récit et signifie une personne qui suit un mouvement sans réfléchir.
« L’appétit vient en mangeant, (…) la soif s’en va en buvant. »
Gargantua, livre I
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Pantagruel, livre II
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Dédié à Laurent de Médicis, ce traité politique italien apporte aux gouvernants des conseils éclairés pour conquérir et maintenir le pouvoir. De nombreux chapitres étudient la situation de l’Italie à l’aube de la bataille de Marignan. Suivent des conseils concrets pour mieux administrer le pays. La grande nouveauté consiste à préconiser l’absence de morale dans l’approche de la politique. Machiavel enseigne l’art de manier la ruse, la force et même les vices pour conserver le pouvoir.
Le grand inquisiteur
Le Prince est rédigé en 1513 et offert à Laurent de Médicis en 1516. Cependant, l’œuvre ne sera publiée qu’en 1532 à Rome, cinq années après le décès de Machiavel. Avec l’avènement de l’Inquisition, l’oeuvre se retrouve condamnée par le Pape Paul IV. Mise à l’Index Librorum Prohibitorum (index des livres interdits), Le Prince est censuré en Italie à partir de 1559 pour immoralisme.
Machiavélique !
Le machiavélisme repose sur la doctrine de Machiavel en la portant à son paroxysme : la fin justifie les moyens. L’adjectif machiavélique signale une personne perfide et sans scrupule.
« Il faut donc qu’un prince qui veut se maintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien ou mal, selon la nécessité. »
Le Prince, chapitre XV
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C’est un recueil de poèmes en vers commencé en 1840 d’abord publiés dans La Revue des Deux Mondes, avant d’être rassemblés en 1857. L’œuvre poétique comprend cinq parties explorant l’amour pour échapper au mal-être (Spleen et Idéal), les paradis artificiels (le Vin), le vampirisme et l’homosexualité (Fleurs du Mal), la révolte contre Dieu (Révolte), pour aboutir à la seule solution contre la solitude et l’ennui : la mort (La Mort).
Un outrage à la morale publique
Pour être publié en 1857, le recueil doit changer de titre. "Les lesbiennes" devient "les limbes" et enfin, "les fleurs du mal ". L’auteur ne tarde pas à être poursuivi pour "offense à la morale religieuse et outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs". L’éditeur et Baudelaire sont condamnés à payer une amende. Mais surtout, le célèbre Procureur Ernest Pinard a demandé l’interdiction de six poèmes. Baudelaire s'exécute et ajoute une trentaine de nouveautés (notamment les tableaux parisiens) pour l’édition de 1861. Ce n’est qu’en 1949 que l’interdiction des Fleurs du Mal est levée auprès de la Cour de Cassation. Aujourd’hui, le recueil regroupe la totalité des poèmes, comprenant ainsi la partie "Epaves" des "pièces condamnées", c’est à dire les poèmes interdits du vivant de Baudelaire.
Le symbolisme
A l’origine du mouvement du symbolisme, Baudelaire a su traduire les rapports entre le monde de la perception et l’univers du psychisme. Le sonnet Les Correspondances consacre cette expression de dialogue entre les sensations et les idées. De même, le "spleen" de Baudelaire représente un manque de goût à la vie et un état mélancolique.
Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m’anéantir dans ta gorge profonde
Et trouver sur ton sein la fraicheur des tombeaux !
Les épaves, pièces condamnées, III, Femmes Damnées
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Ce roman d’anticipation écrit en 1948 se déroule à Londres dans le futur, l’année 1984. L’histoire se déroule en Océania, un des trois territoires issus de l’après-guerre nucléaire. Les régimes du monde ont tous évolué vers le totalitarisme. Winston Smith, anti-héros employé par le Ministère de la Vérité, passe ses journées à remanier les faits historiques pour qu’ils correspondent à la ligne du Parti. Conscient de ce mensonge collectif, il fouille le passé et attire l’attention de la Police de la Pensée. 1984 présente un monde où la langue, les livres, la famille et l’amour sont anéantis, laissant place au seul culte de l’omniprésent "Big Brother". En puisant dans les dogmes des régimes nazi et soviétique (haine, délation, propagande, lavages de cerveau), Orwell lance un avertissement contre le totalitarisme.
Better dead than red (mieux vaut être mort que communiste)
1984 est publié en 1949. Ce sera l’un des romans les plus censurés dans les écoles américaines. En pleine guerre froide, on reproche le contenu prétendument pro-communiste de l’œuvre. Certaines écoles invoquent également l’immoralité pour interdire ce classique de la littérature. En 1981, 1984 était encore interdit dans le conté de Jackson en Floride.
Big Brother is watching you (Big Brother vous regarde)
Orwell décède un an après la publication de son chef-d’œuvre. Mais son nom sert de référence pour décrire un monde "orwellien", dénué de liberté d’expression où règne la pensée unique. Le "Big Brother" surveillant les individus et niant leur vie privée personnifie la vidéo-surveillance. Ce modèle de roman visionnaire inspire encore la science-fiction d’aujourd’hui et de nombreuses œuvres cinématographiques.
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
1984
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Il s’agit d’un essai de plus de 600 pages fondé sur des décennies d’observation des espèces vivantes. Darwin étudie les changements des organismes qui permettent leur survie et leur multiplication. Le naturaliste explique comment la sélection naturelle s’opère. Cette théorie écarte l’intervention d’une divinité créatrice de la nature au profit de l’adaptation du vivant à son environnement.
Détrôner Dieu
Darwin attend 22 années avant de faire publier son ouvrage, conscient de l’accueil qui serait réservé à sa vision scientifique. L’origine des espèces est publié à Londres en 1859 et aussitôt épuisé. Devançant la censure religieuse, l’auteur mentionne tout de même "le Créateur" pour l’édition suivante. L’ouvrage connaît six éditions jusqu’en 1872. Pendant l’ère victorienne, Darwin est accusé de vouloir détrôner Dieu en revenant sur la Genèse de l’Homme. L’ouvrage est interdit dans les écoles et les universités, comme par exemple à Trinity College (Cambridge). La censure était encore en vigueur dans le Tennessee en 1967.
Le darwinisme
Le naturaliste anglais donnera son nom au darwinisme, la sélection naturelle qu’opèrent les espèces pour leur survie. L’expression "darwinisme social" étend ce concept à la société humaine, en fondant la sélection des êtres humains sur des critères héréditaires jugés favorables (eugénisme).
« Il suit des puissantes lois de l'hérédité que toute variété élue aura une tendance à propager sa forme nouvellement modifiée. »
De l’origine des espèces, XXI
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Le chirurgien de marine Gulliver narre ses aventures qui le mènent dans des territoires de plus en plus incroyables. Il découvre ainsi Lilliput et ses habitants mesurant quelques centimètres de haut avant de faire la connaissance d'un peuple de géants ou de savants fous. Gulliver s’applique pour comprendre ces sociétés et en tirer une expérience favorable. La communauté des chevaux dotés de raison, les "Houyhnhnms ", sera son paradis utopique. Ceux-ci règnent sur les repoussants "Yahoos", sortes d’humains réduits à l’état de sauvages. C’est une satire des institutions anglaises de l’époque doublée de réflexions philosophiques annonçant les Lumières.
L’immoraliste
Les deux volumes publiés en 1726 ne portent pas le nom de l’auteur qui alors se confond avec le narrateur Gulliver. Des passages politiquement sensibles seront censurés et le livre est interdit en Irlande pour immoralité et obscénité. Ce n’est qu’en 1735 que la version complète pourra être publiée.
Les lilliputiens
Lilliput produit l’adjectif lilliputien signifiant "de petite taille". Et le terme Yahoo est employé chez les anglophones pour critiquer une personne "frustre, grossière, abrutie". Mais c’est surtout l’imaginaire de Swift qui continue d’inspirer aujourd’hui.
« Puisque les mots ne servent qu’à désigner les choses, il vaudrait mieux que chaque homme transportât sur soi toutes les choses dont il avait l’intention de parler. »
Les voyages de Gulliver, Voyage à Balnibarbi
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Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast
La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.