Herman Koch, l'écrivain star des Pays-Bas, rendu célèbre dans le monde entier grâce à son livre Le dîner, récemment adapté au cinéma, revient avec une autre exploration des relations amicalo-sociales avec Cher Monsieur M (Belfond). Toujours aussi acide, si ce n'est davantage, Herman Koch montre qu'il arrive à bouleverser les repères de l'anodin. Avec Le dîner, il nous faisait craindre qu'un banal repas ne se termine en pugilat; avec Cher Monsieur M, ce sont nos voisins que nous ne regarderons plus jamais comme avant. Nous allons à la rencontre de cet auteur qui goûte le paradoxe et les chauds-froids, derrière son sourire apparemment sans ombre.
Après avoir lu Le dîner, plus aucun repas amical ne peut sembler anodin. En un livre, Herman Koch, écrivain nééerlandais, ancien journaliste de télévision, a frappé fort. Traduit en plus de quarante langues, ce Dîner désormais culte, qui a fait l'objet d'une adaptation au cinéma, ne cesse de distiller son poison dans l'imaginaire des lecteurs. Un récit redoutable qui montre comment un dîner d'amis peut se terminer en pugilat.
Dans ces circonstances, se rendre à un déjeuner avec le roi du repas qui finit mal est une gageure. C'est donc l'estomac noué que nous nous rendons dans un charmant restaurant du 6e arrondissement de Paris, pour retrouver celui qui sait vous retourner une blanquette et brouiller un bon vin par les ressentiments et les désillusions. Et pour couronner le tout, nous allons parler de Cher Monsieur M, un autre texte qui met l'âpreté au menu. Il faut toujours se méfier des romanciers qui disent que les écrivains se nourrissent de la vie des autres. A fortiori, quand ils se cachent derrière un tablier de chef et que vous les retrouvez pour partager une assiette.
On dit toujours qu'il vaut mieux ne pas aller regarder ce qui se passe en cuisine. Et pour ce qui est de l'écriture ? Mieux vaut peut-être ne pas trop fouiller dans les actes préparatoires à un livre? Comment s'est construite la carrière d'un auteur modèle ? Nous voilà au coeur du propos de Cher Monsieur M. Un livre qui raconte la vie glamour d'un écrivain en vogue avec sa femme très mince, sa belle maison et ses admirateurs en nombre. Comme toujours chez Herman Koch, le jeu des apparences n'est qu'une implacable machine à tuer. Derrière ce beau décor, un voisin qui regarde et qui écrit des lettres à l'écrivain sans les lui envoyer. Mais des lettres qui égrennent son aigreur et sa colère. Quel secret cache cet homme à succcès ? Quelle est cette concupiscence à l'oeuvre ? De quel passé parle-t-on ? L'écriture est un monde bien plus impitoyable que Dallas, surtout quand elle se situe à Amsterdam, dans un univers propret et politiquement correct. Et qu'un voisin qui "vous veut du bien" est tapi dans l'ombre de vos failles.
Il fait beau, une de ces rares journées ensoleillées parisiennes du printemps 2016. Nous avons été installés en terrasse, une cour intérieure ombragée et silencieuse, un peu étroite. L'entrée est joviale, soupe froide de courgette et toasts de saumon fumé. Nous parlons des mutiples traductions du Dîner, du fait que l'écrivain a été choisi pour créer un texte exclusif qui sera édité par la Société nationale de chemins de fer nééerlandais: "un honneur qui ne se refuse pas ".
Une ou deux bières plus tard, le sourire est toujours aussi affable : l'auteur évoque une série à laquelle il travaille. Arrive le plat de résistance. Nous passons aux choses sérieuses : qui est Cher Monsieur M ? Vous et lui, lui et vous ? Comment l'écrivain réel a-t-il joué avec son double de papier ? Pourquoi avoir choisi un personnage si peu sympathique ?
Sans ambage la réponse fuse, et c'est comme un jet de poivre sur les côtelettes d'agneau : "J'aime les personnages antipathiques. Ils sont plus intéressants." Et de fait dans Cher Monsieur M, tout le monde en prend pour son grade. Pourtant, petit à petit le lecteur finit par s'attacher à ces "humains trop humains". Cette femme trop parfaite, ces sourires trop blancs. Et à aucun moment les rôles ne sont clairement distribués. " Les moins gentils sont parfois ceux qui disent la vérité et vice versa. Les plus grands escrocs sont en général de grands séducteurs. "
Même une histoire de professeur avec une jeune élève semble banale dans le livre : " Mais oui, vous voyez comme aujourd'hui c'est presque devenu courant qu'un professeur ait des relations avec ses élèves à l'Université! J'ai moi-même connu un professeur qui avait eu une liaison avec une de mes camarades de fac. Cela avait fait scandale à l'époque. Par hasard, je l'ai rencontré trente ans après. Il s'était marié avec elle et coulait des jours tranquilles. Je me suis un peu inspiré de ce souvenir pour décrire la situation dans le livre. " nous explique Herman Koch en commandant une nouvelle bière.
Nous sentons que le déjeuner a changé de ton. L'ironie mordante commence à poindre. Vous reprendrez bien un peu d'eau gazeuse ? Le filet de bar a refroidi : " Oui, j'aime jouer avec les frontières, les limites. J'essaie de déplacer les repères. Jusqu'où est-on prêt à aller pour réussir? Jusqu'à quel mensonge, quelle imposture ? Tout le monde peut se poser cette question et y sera confronté un jour ou l'autre. Derrière chaque belle image, quels sont les "cadavres dans le placard "?"
Une vision pessimiste du monde? On est loin de la bienveillance heureuse : " J'aime que le récit fasse bouger quelque chose chez le lecteur. Le conduire à relire sa propre histoire. Il y a tant de zones grises dans la vie. De petits arrangements avec soi ..."
Vous voulez un dessert? Non, je reste à la bière et vous ? Un café gourmand. Et l'écrivain dans tout ça ?:
"L'écrivain est un solitaire qui vampirise les histoires de ses proches. Il est confronté à ses lecteurs qui l'aident à exister. Le succès et la reconnaisance sont importants, mais il reste à un moment seul devant sa page. L'écriture c'est une sorte de souffrance-plaisir. C'est un peu comme nager dans une mer froide. Au début, on a du mal à entrer dans l'eau et après on se sent mieux. "
Tuer pour écrire ? " J'ai un de mes amis qui dit qu'il place ses livres avant l'amitié. Pas moi. J'essaie de ne pas blesser en écrivant. Contrairement à mon personnage dans le roman, je ne mettrai jamais le livre au dessus de la vie" déclare solennellement Herman Koch.
Nous voilà rassurés. Quoique? Et si cette phrase n'était qu'une simple manoeuvre dilatoire? Après le poison du Dîner, le piment de Cher Monsieur M procure son effet. Si le dosage est juste, il apportera un peu plus de saveur, si le dosage s'emballe, ce sera le malaise. Comment le savoir ? Même le macaron au beurre salé semble soudain se dérober et laisser un arrière goût étrange. Herman Koch se lève. Il souhaite profiter du soleil pour aller se promener au Luxembourg. "Je me demande parfois quel effet peut produire la médiocrité. Je veux surtout dire l'effet ressenti de l'intérieur, quand on est une personne médiocre. Est-on enfermé dans son propre esprit médiocre ou secoue-t-on les portes et les fenêtres pour le laisser sortir?" pense un des personnages. Sommes-nous condamnés de l'intérieur à être nous-mêmes ? Et si une petite tricherie permettait de redorer le blason ? Un nuage est venu voiler les rayons. Le déjeuner est terminé. Nous nous sommes salués, comme si l'ombre et la lumière formaient désormais les deux faces d'un même astre. Au revoir cher Monsieur K, euh pardon Monsieur M.
>Herman Koch, Cher Monsieur M, Belfond
>Lire un extrait de Cher Monsieur M
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