"Chanson douce"

Leila Slimani : rencontre avec la lauréate du Prix Goncourt 2016

Décidément les faits divers et la violence plaisent aux jurés des prix littéraires de 2016. Devant Catherine Cusset, Régis Jauffret et Gaël Faye, c’est finalement romancière franco-marocaine Leïla Slimani qui obtient le prix Goncourt, pour Chanson douce (Gallimard), son deuixème roman après Dans le jardin de l'ogre (Gallimard). Un thriller psychologique particulièrement glaçant, inspiré d'un fait divers réel (un infanticide à New York en 2012), qui raconte l’assassinat d'enfants par leur nourrice. Leila Slimani ajoute son nom à la très courte liste des femmes primées par le célèbre prix.

Leïla Slimani confirme son talent dans l'écriture avec « Chanson douce » (Gallimard), après  son très remarqué Dans le jardin de l'ogre.  Ce deuxième roman ne peut laissser indifférent. Digne des meilleurs films de suspense, il décrit l'immersion d'une nourrice dans une famille un peu chaotique. Les faits tournent au drame et la chanson des enfants sera tout sauf douce. Les jurés du prix Goncourt ont  répondu à l'appel de ce chant des sirènes mortifère, puisqu'ils ont attribué à la romancière franco-marocaine le célèbre Prix, qui devient de la douzième femme à obtenir cette récompense. Avant elle, rappelons que onze autres femmes ont été lauréates du prix Goncourt depuis sa création, il y a 113 ans : Elsa Triolet (Le Premier accroc coûte 200 francs, 1944), Béatrix Beck (Léon Morin, prêtre, 1952), Simone de Beauvoir (Les Mandarins, 1954), Anna Langfus (Les Bagages de sable, 1962), Edmonde Charles-Roux (Oublier Palerme, 1966), Antonine Maillet (Pélagie-la-Charette, 1979), Marguerite Duras (L'Amant, 1984), Pascale Roze (Le Chasseur zéro, 1996), Paule Constant (Confidence pour confidence, 1998), Marie Ndiaye (Trois femmes puissantes, 2009) et Lydie Salvayre (Pas pleurer, 2014).

Nous rencontrons Leila Slimani qui dévoile pour nous les ambiguïtés de la relation complexe qui unit les parents à ceux qui gardent leurs enfants. 

Viabooks : Racontez-nous l'histoire de votre roman ?

Leila Slimani: C'est l'histoire d'un jeune couple, Myriam et Paul. Ils ont environ 35 ans et deux enfants, Mila et Adam. Des enfants en bas âge. Myriam, la maman des enfants décide de reprendre sa carrière d'avocate.Il lui faut trouver un moyen de faire garder ses enfants. Alors, elle engage une nounou. Cette nounou, c'est Louise, qui se présente au départ, comme une nounou parfaite, une sorte de « Mary Poppins » moderne. Mais, très rapidement, les relations entre les parents, les enfants et cette nounou vont devenir de plus en plus étranges, malsaines, avec une espèce de dépendance mutuelle qui va se mettre en place, jusqu'au drame.

Votre livre montre une situation au croisement entre la fatalité, la nécessité et la culpabilité...

L.S: Oui, c'est exactement cela qui m'a poussé à écrire ce roman. Ce sont ces sentiments ambigus, extrêmement contradictoires, ces douleurs, toutes ces contraintes aussi auxquelles doivent faire face les jeunes parents. Trouver la solution pour que, en ayant des enfants, on puisse continuer à travailler, à avoir une vie sociale. C'est un choix très compliqué, qui a des implications économiques, sociales, psychologiques... je voulais appuyer là où ça faisait mal.

La question du lieu, la maison, est important, comme dans une tragédie ?

L.S: Cette question du partage du lieu intime est très importante. C'est cela d'ailleurs ce qui va instituer le glissement, une dérive dans les relations. On voit bien que Louise habite pratiquement dans cet appartement. Elle dispose donc d'un certain pouvoir vis-à-vis de ses "patrons". Elle connaît toutes leurs habitudes quotidiennes, jusqu'à la plus personnelle. Au point que cela en devienne presque gênant. Il ne faut pas oublier par exemple que la racine du mot « domestique » vient du mot « domus », c'est-à-dire « la maison ». Il y a dans cette question de la domesticité, quelque chose qui s'organise, quelque chose qui va se partager dans la "domus".

Une confrontation de classes sociales aussi ?

L.S: Oui, bien sûr, il y a une confrontation de deux milieux. Il y a en quelque sorte, la volonté d'effacer cet aspect-là, mais en réalité on ne peut jamais l'effacer. Il y a les humiliations que cette femme subit d'une manière ou d'une autre. Ses employeurs sont plutôt des gens gentils, politiquement corrects, voire des gens bien-pensants. Mais on ne peut pas nier la lutte des différentes classes. Elle existe "de fait".

De nos jours, pouvons-nous poser cette question de la « domesticité » de manière aussi confrontationnelle?

L.S: Oui, même si  aujourd'hui, il y a moins de codes. Dans le passé, il existait des codes dans le rapport avec la domesticité, c'était quelque chose de plus courant, donc on savait comment se comporter. Il y avait une frontière qui était établie. Bien ou pas bien, je ne sais pas. Mais en tout cas, les règles étaient claires pour tout le monde. Aujourd'hui, tout le monde est beaucoup plus mal à l'aise vis-à-vis de cette question. Le fait de ne pas vraiment savoir comment se comporter peut laisser place aux comportements justement, très ambigus, donc dangereux.

La morale du roman?

L.S: Il n'y a pas de morale, c'est une observation. Chacun fera sa propre conclusion.

Votre écriture, votre capacité à créer ce suspense... C'est votre talent ! Quel est votre prochain projet littéraire ? Le même genre ?

L.S: Je pense que je vais continuer dans ce registre, mais ce n'est pas encore assez précis dans ma tête pour vous en dire plus.  

>Leila Slimani, Chanson douce, Gallimard

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