Conversation

Les doux nuages de Philippe Forest

Philippe Forest est l’auteur du Siècle des Nuages, un des livres de la rentrée qui nous a particulièrement touchés ( lire notre critique) et qui figure sur les listes de plusieurs prix littéraires. Nous le rencontrons pour parler du siècle, des nuages, des rivages de la mémoire et surtout de littérature...

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Il fait une des ces journées d’automne qui jouent à l’été indien. Nous sommes à la terrasse d’un café parisien récemment décoré à la mode lounge. Entre un petit noir et un verre d’eau, Philippe Forest nous confie ses intentions d’écrivain et ses émotions de fils qui dédie ce récit à la mémoire de ses parents. Séquence émotion retenue et conversation en vol...

Viabooks : Votre livre Le siècle des nuages est un récit que nous pouvons lire sous de multiples angles. Pouvez-vous nous les décrire ?

Philippe Forest : Il est vrai que j’ai voulu écrire un livre à plusieurs entrées. Libre au lecteur libre de  choisir de pénétrer dans l’histoire par l’une ou l’autre. Il y a en effet un fil conducteur qui décrit l’histoire du XXème siècle, tout particulièrement certains épisodes de la 2nde Guerre mondiale, un autre qui concerne l’histoire de l’aviation, un autre encore qui évoque une histoire familiale sou l'angle du père, et enfin celui qui tisse la tension du livre, l’histoire personnelle du narrateur. Mon récit est un maillage entre ces différents niveaux d’écriture, car bien souvent, l’histoire individuelle est aussi liée à l’Histoire et on ne peut pas parler de l’un sans parler de l’autre. Cependant, j’ai voulu que l’ensemble soit cohérent, car il y a un lien entre ces différents aspects, et chaque angle se superpose ou se succède, comme dans la vie en fait, où nous sommes simultanément le fruit de multiples référents.

 

Viabooks : Revenons sur la naissance de l’aviation, qui est peut-être le nœud central autour duquel s’articulent les autres « fils ». Grâce à votre livre, nous comprenons que celle-ci a transformé le siècle passé et ceci vous nous le montrez d’une manière très sensible

Philippe Forest : Je voulais raconter de quelle manière la naissance de l’aviation a été l’une des grandes révolutions du XXème siècle. Elle a tout changé dans nos rapports au monde et incontestablement ceux qui y ont participé ont été les pionniers, les explorateurs d’une autre dimension : le ciel et ensuite l’univers. Le XXème siècle est celui qui nous a fait décoller du sol…

 

Viabooks : Pour aller vers les nuages…

Philippe Forest : Pour chercher à dépasser les nuages ! C’est pourquoi, j’évoque aussi Antoine de Saint-Exupéry, car il a été est un des grands hommes de ce siècle et son destin, tout autant que son œuvre et sa vie d’homme, ont épousé la grande aventure de la conquête du ciel : je ne pouvais raconter l’histoire de l’aviation sans évoquer ce personnage exceptionnel.

 

Viabooks : Votre père fut aviateur, pendant la guerre, puis après comme pilote à Air France. Son destin personnel qui fut pourtant le produit d’un rêve le fut presque à son insu, tel que vous le montrez. Vous semblez donc signifier que c’est l’Histoire qui vous forge un destin, parfois…?

 

Philippe Forest : Selon les époques, l’histoire vous forge plus ou moins un destin en vous obligeant à faire des choix. Ce fut très nettement le cas pour mon père dont on ne sait pas très bien parfois si c’est l’Histoire qui l’amène à faire ses choix ou si ce sont ses choix qui le conduisent à participer à l’Histoire. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il y a coïncidence entre tous ces paramètres : il navigue parfois porté par les événements, et parfois, oui, c’est lui qui décide. Comme lorsqu’il pilote un avion : il faut tenir compte de la machine, des courants des vents, mais le pilote a aussi une marge de décision dans des situations extrêmes.

 

Viabooks : Est-ce que vous voulez dire que vous faites un livre sur le thème : « Mon père, ce héros » ?

Philippe Forest : Je me méfie de la naïveté. Mon père n’a été ni le héros qu’il avait envie d’être, ni un absent de son destin. Il a été un peu des deux. J’ai voulu aborder ce livre avec modestie, comme l’aviation l’exige aussi. Contrairement à ce que l’on pense souvent, conduire un avion vous oblige à beaucoup d’humilité. De plus, la littérature n’est pas là pour juger et le roman, selon moi, est aussi un art de l’humilité.

 

Viabooks : Derrière celle de votre père, votre livre décrit aussi l’histoire d’une famille. Une famille dans lequel on parle peu et dans lequel les sentiments sont très pudiques…

Philippe Forest : En effet, il y avait beaucoup de non-dits chez nous. L’élégance est de ne pas imposer quoi que ce soit et mon intention littéraire était aussi de montrer comment une famille pouvait s’aimer sans nécessairement passer par les mots ou l’ultra-démonstratif.

 

Viabooks : Il y a un personnage qui est aussi central mais qui n’existe pas de manière directe, c’est celui de votre mère, puisqu’on comprend petit à petit que c’est celle qui vous a donné les informations et qu’au fond c’est à elle aussi que vous dédiez ce livre. 

Philippe Forest : Il est vrai que ma mère fut la gardienne de la mémoire de la famille. Tout le livre est tourné vers elle finalement. A la mort de mon père, c’est un peu comme si j’ai réalisé son rêve à elle peut-être, de faire exister notre famille dans cette histoire écrite.

 

Viabooks : Peut-on dire alors que votre livre est un livre sur l’amour et sur les rêves Il y a de l’amour donc, mais il y a aussi du rêve dans votre livre. Tout le monde rêve d’être quelque chose qu’il n’est pas nécessairement et vous-même êtes cet écrivain qui donne son écho au rêve des mots.

Philippe Forest : Les rêves que l’on fait influent sur notre vie, c’est sûr. J’ai parlé du rêve de mon père mais en variant plusieurs points de vue sur mon père, je respecte aussi les secrets de chacun, je m’approche de lui mais je ne pourrai jamais totalement savoir qui il était. Cela me rappelle la phrase de Sartre à propos de Flaubert : tout ce que l’on peut savoir d’un homme. J’ai aussi parlé du rêve de ma mère, qui lisait beaucoup de livres et du mien sûrement de trouver dans la littérature la place d’un autre rêve.

 

Viabooks : Revenons sur le titre de votre livre. Il contient ce mot très beau : « les Nuages ». Ces nuages ne sont-ils pas à interpréter dans les deux sens : il y a de la poésie dans les nuages mais il y a aussi l’idée de l’opacité, de ce qu’on ne peut pas distinguer. Votre livre est aussi un livre sur la mort.

 Philippe Forest : Les nuages sont une image ambivalente. Il y a leur poésie, et il y a la frontière qu’ils désignent. Ce brouillard qui fait référence à ce que l’on ne peut voir, ou nommer, comme l’impuissance face à la mort. Mais, n’est-ce pas la fonction de la littérature justement que de prendre en charge ce qui existe dans cette opacité, dans les questions sans réponse? Il me semble que la littérature prend ce qui reste « en suspens », ce qu’on ne peut pas « dire ». La mort d’un être cher : quoi de plus indicible ?

 

Viabooks : Est-ce pourquoi, vers la fin de votre livre, vous avouez que vous avez voulu y écrire « le roman de la vie » ?

Philippe Forest : En tout cas j’ai essayé de m’approcher de ce que fut mon père, et sous ce prisme, de m’approcher de l’histoire d’une famille au XXème siècle et de ce siècle-là. Chacun probablement vit un peu sa vie comme un roman, et l’écrivain par son écriture lui restitue sa part romanesque. Le reste, cette part de mystère que chacun conservera toujours, la fuite du temps et les parts diffuses sont comme des ombres que nous n’arrivons jamais à  atteindre. Ils restent comme des nuages, aussi.


Viabooks : Je m’adresse au professeur de littérature que vous êtes et vous pose la question que nous posons toujours aux écrivains : quels sont les auteurs qui vous touchent particulièrement ?

Philippe Forest : Il y en a beaucoup. Trois noms me viennent tout de suite en tête : Proust, Joyce, Faulkner… Mais aussi les écrivains japonais qui m’accompagnent beaucoup comme Oé Kenzaburô, sur lequel j’ai écrit (Oé Kenzaburô, légende d'un romancier japonais  Pleins Feux). La littérature est elle aussi un ciel infini qu'on n'a jamais fini de survoler...

En savoir plus

Philippe Forest, Le siècle des Nuages, Gallimard

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