Quand un écrivain et un architecte sont unis par l'amour des livres, cela donne "Arcades Ambo", une maison d'édition qui a pour vocation de publier des textes de littérature, arts graphiques et sciences humaines, principalement sous forme numérique. Michel Orcel et Noël Dominguez, les deux fondateurs et associés de cette belle aventure éditoriale n'hésitent pas à revisiter de grands textes classiques comme "La Chasse" de Goethe, les "Lettres en français" de Giacomo Leopardi, ni à redécouvrir des livres contemporains tel "Rêves d'automne" de Jakub Deml. Rencontre avec deux éditeurs qui croient à la pérennité des livres de référence.
Arcades Ambo est né de l’amour que deux créateurs – un architecte et un écrivain – portent aux livres, au graphisme, à l’édition. Surfant sur les possibilités des moyens digitaux, Michel Orcel et Noël Dominguez proposent des livres numériques à un prix accessible au plus grand nombre. La forme sur support papier sera réservée à des tirages limités et, dans certains cas, les titres seront même imprimés à la demande du client. Premières livraisons: Giacomo Leopardi, Goethe et Jakub Deml. D'autres titres sont en préparation. Michel Orcel et Noël Dominguez répondent aux questions de Viabooks.
Michel Orcel (avec Noël Dominguez): Noël Dominguez est architecte; je suis écrivain. Une génération nous sépare, mais une même passion pour le livre nous unit. Noël est un architecte déjà très réputé et j’ai, quant à moi, une vieille expérience d’écrivain et d’éditeur. Alors que l'édition traditionnelle est de plus en plus rigide et parcimonieuse envers les auteurs, nous avons mûri le projet d'un "site éditorial", qui reposerait sur trois collections : « Arts graphiques », « Littérature » et « Sciences humaines ». Avec une prédominance des pdf, afin de réduire considérablement les coûts (de production et de vente) mais avec aussi, selon les auteurs et les sujets, des livres papier très soignés. Trois de nos premiers titres sont d'ailleurs en vente sous les deux formes.
-M.O.: Au début de sa VIIe églogue, Virgile fait parler deux bergers d'Arcadie, et l'un dit à l'autre : "Arcadiens tous les deux..." C'est l'histoire d'une amitié poétique, placée sous le signe du chant et du jeu. Bien plus près de nous, Nerval, qui nous est si cher, a repris l'expression en évoquant sa fraternité de jeunesse avec Arsène Houssaye : "C'était dans notre logement commun de la rue du Doyenné que nous nous étions reconnus frères - Arcades ambo..."
-M.O.: L'érudition, j'en doute ! Il y aura bien quelques livres plus difficiles, demandant un véritable appétit, mais nous voulons surtout échanger avec le public des textes et des idées où la beauté reste toujours abordable, où la science se fasse propédeutique, où la ligne désigne mais n'écrase jamais. Nous publierons des classiques introuvables (français ou étrangers), de belles traductions, de jeunes auteurs, mais aussi des ouvrages intimement liés au graphisme, sans oublier, dans notre collection Sciences humaines, des textes sur la religion, l'anthropologie, l'urbanisme... Cela dit, si quelque auteur vient vers nous avec un manuscrit savant mais que nous jugeons exceptionnel, pourquoi nous refuserions-nous de le publier, dans la mesure où les coûts de production sont très peu élevés ? Nous pouvons être des « hébergeurs » et chacun en tirera profit !
-M.O.:Nous sortons six titres d'un coup : deux petits Leopardi (un dialogue satirique intitulé Copernic et des Lettres directement écrites en français par le poète italien); une étrange nouvelle de Goethe (La Chasse), traduite par Pierre Leyris; le très beau récit (Rêve d'automne) d'un des plus grands écrivains tchèque du XXe, Jacub Deml; un carnet de croquis de Noël Dominguez, Noir sur blanc, et, de mon côté, un "polar métaphysique" intitulé Jardin funeste. Nous sommes convaincus, comme beaucoup d'autres, que, si le livre papier n'est pas près de mourir, l'édition traditionnelle a été totalement ébranlée par l'apparition du numérique. L'édifice paraissait florissant, mais il menaçait déjà; le numérique et la crise économique sont en train de l'achever. Quant ils ne publient pas des journalistes, les éditeurs cherchent des "coups"; les auteurs se conforment de plus en plus à des recettes censées "marcher" ou à des autofictions de plus en plus racoleuses; quant aux librairies, elles ferment. On comprend que certains éditeurs anglo-saxons courent après des auteurs qui ont fabriqué leur notoriété sur internet... Quant à Amazon, si décrié et, en effet, si critiquable sous certains angles, avouons qu'on ne fait guère mieux quant à la diligence et que, sans cette librairie virtuelle, des ouvrages secrets ou politiquement incorrects n'auraient connu aucune diffusion. Enfin il suffit de songer qu'éditeur, distributeur et libraires se partagent de 90 à 96 % du prix de vente d'un livre pour se dire qu'il y a quelque justice à ce que ce système s'écroule !
-M.O.: Chacun de nous a sa collection et demeure maître de ses choix, sous réserve, bien sûr, d'un accord global sur le fond. Pas de comité, donc (laissons cela à Gallimard !), mais beaucoup d’idées de notre part, des réserves de savoir et d’expérience, des réseaux d'amis, de conseillers, de traducteurs...
-M.O. : Pas le moins du monde ! Outre que le web est devenu un outil de recherche absolument indispensable, il n'y a pas concurrence mais synergie entre le numérique et le papier. Je ne renoncerai jamais à ma bibliothèque et à acheter des livres, mais j'ai une seconde bibliothèque, numérique celle-là, que je puis enrichir et consulter avec une facilité extraordinaire. De plus, face à la crise et à la paupérisation qui touche la quasi-totalité des Français, il est bien agréable de pouvoir offrir des grands textes de qualité pour le prix d’un verre de vin ou même d’un café sur une terrasse parisienne. Car, enfin il est scandaleux que les éditeurs parisiens proposent à des prix presque identiques les versions papier et numérique d’un même ouvrage, quand on sait que la numérisation ne coûte presque rien, et qu’on économise le coût de toute la distribution ! – Enfin, je vous ai dit, en début d’entretien, que Noël Dominguez et moi-même étions passionnés par le livre, j’aurais dû dire aussi : par les papiers, par les formats, par la dimension sensorielle, voire sensuelle, du livre. C’est vous dire que, dès qu’un titre sera économiquement viable, nous l’imprimerons aussi.
-M.O. : Je vous dirai d’abord que dès l’origine certains livres sont conçus sous la double forme, matérielle et numérique. Par ailleurs, nous pensons en effet lancer des souscriptions pour certaines publications plus ciblées (mais non moins belles et attrayantes) et beaucoup plus coûteuses. Quant à l’impression à la demande, elle sera possible à partir d’un certain nombre d’exemplaires. Nous éviterons en revanche les librairies traditionnelles, sauf dans le cas de partenariats bien spécifiques : les coûts de diffusion sont trop élevés et cela ruinerait presque la substance de notre projet.
-M.O. : Nous commencerons avec une douzaine de titres par an. Je ne puis vous révéler les plus beaux titres, mais je puis déjà vous dire que je republierai certains textes que des éditeurs peu scrupuleux vendaient abusivement alors que j’étais propriétaire des droits… C’est ainsi que nous éditerons prochainement le Discours sur l’état actuel des mœurs des Italiens de Leopardi, préfacé par le grand spécialiste qu’est Mario Andrea Rigoni : une extraordinaire étude morale et politique qui anticipe en bien des points la crise de l’Europe contemporaine. Nous éditerons aussi, d’ici deux ans, sur souscription certainement, un beau répertoire de devises, richement illustré, pour faire suite au Livre des devises que j’ai publié en 2009 aux éditions du Seuil. Je ne crois pas trahir de secrets en ajoutant enfin que, pour sa collection « Arts graphiques », Noël Dominguez nous réserve quelques découvertes importantes et des créations papier tout à fait originales…
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
Avec la saison automnale, le Mois du film documentaire du Territoire de Belfort est l’occasion de se réchauffer tout en explorant une grande divers
Légende photo : Abnousse Shalmani, lauréate du prix Simone Veil 2024, entourée de Pierre-François Veil (à gauche sur la photo) et Jean Vei