Après son fameux Bakhita (Albin Michel), roman très remarqué et primé en 2017, Véronique Olmi explore dans Les évasions particulières (Albin Michel), cette fois un passé plus proche et nous emmène aux alentours de mai 68, dans une saga sociale et historique au coeur des combats pour l'émancipation des femmes. Elle retrace magistralement les évènements qui ont marqué la décennie suivante, au prisme d'une famille traditionnelle de Provence.
Véronique Olmi s'intéresse à l'émancipation des femmes. Elle n'a pas attendu le mouvement #metoo pour cela. Dans Bakhita, elle retraçait le destin de Joséphine Bakhita, née en 1869 au Soudan, et morte le 8 février 1947 à Schio en Italie, ancienne esclave devenue religieuse canossienne et canonisée en l'an 2000 par le pape Jean-Paul II.
Avec Les évasions particulières, nous sommes propulsés en mai 1968, où nous suivons l’histoire des Malivieri, famille modeste mais aimante d’Aix en Provence, sur fond des lendemains balbutiants de la mini révolution jusqu'à l’élection historique de Mitterrand en 1981. Les trois sœurs de la fratrie, toutes bien différentes malgré leurs origines communes, grandissent et découvrent autour d’elles les révolutions de la société moderne et ses revendications. L’aînée passionnée de théâtre débutera une vie d’artiste à Paris, la cadette, qui alterne entre le foyer simple et provençal de ses parents et la demeure bourgeoise d’un oncle à Neuilly sur Seine, cassera son image d’enfant sage pour se révéler dans la défense de la cause animale. La petite dernière quant à elle, apprendra la beauté et la cruauté du monde, livrée à elle-même entre deux parents dépassés par la brutalité de ces changements, épuisés et préoccupés par leurs propres choix et tourments. Chacune d'elle devra plus que jamais trouver sa place au sein de ce monde tourbillonnant en perpétuelle mutation.
A travers cette fresque familiale et historique, Véronique Olmi retranscrit avec beaucoup de vivacité et de fluidité cette époque mouvementée. Les thématiques abordées sont nombreuses, comme le furent celles révolutionnées par mai 68.
En s’attaquant à une période aussi riche de bouleversements et d’enjeux, tant sur le plan social, politique et éthique, on pouvait craindre que l’auteur ne s’éparpille ou ne fasse que survoler certains aspects. Or elle parvient à restituer ce morceau d’histoire en mêlant aux grands enjeux historiques le point de vue plus complexe et intimiste de ses personnages.
Sous sa plume, on sent tout à la fois le vent de liberté qui souffla sur ce printemps de 1968, avec sa puissance enthousiaste et intransigeante, mais aussi les ruptures, les dilemmes et les souffrances silencieuses que cette révolution put générer, et qui rythmèrent la vie de nombreuses familles, déchirées entre les aspirations des jeunes générations et l’incompréhension de leurs aînés.
C’est la chronique d’une jeunesse, qui découvre ses sentiments et leur légitimité, se cherche dans le miroir des évènements qu’elle s’approprie et dispute à la génération de ses parents, c’est leur révolution et tant mieux s’ils ne sont pas compris.
La fracture sociale demeure, entre classe moyenne à l’enfance modeste et jeunesse dorée des beaux quartiers, comme le révèle l’histoire d’Hélène, alternant entre deux mondes. Mais d’où qu’elle soit, la nouvelle jeunesse aspire à réaliser ses rêves, à être reconnue et parler d’une seule voix, contre les anciens et le passé, contre ce qui était établi avant.
Tout au long des lignes on devine cette quête effrénée de la liberté, mais plus encore l’élan vital nécessaire pour se trouver soi, et ne pas se perdre dans cette infernale liberté.
On ne saurait bien sûr faire l’impasse sur la remarquable avancée que cette décennie a incarné pour les femmes. La ville d’Aix en Provence est d’ailleurs un point central du roman, puisque son palais de justice fut le théâtre de procès retentissants pour la cause féminine, que l’on revit à travers les yeux des personnages.
On découvre dans ce contexte historique particulier le destin des femmes de la famille Malivieri : les trois sœurs bien sûr, qui apprendront à se révéler à elles-mêmes et au monde nouveau auquel elles appartiennent. Mais aussi leur mère, Agnès, qui incarne la génération précédente, et qui voit ses filles accueillir ce qu’elle n’a pas eu le droit de vivre. Elle cherchera à sa manière, avec les armes dont elle dispose, et souvent beaucoup plus seule que ses filles, à s’émanciper des codes et des lois qui l’entravent encore.
Les hommes ne sont pas absents de ce périple : Bruno, le père, ce « catholique sensuel », tout en contradiction entre la rigidité de ses principes et sa personnalité naturellement altruiste et généreuse, David, l’oncle bourgeois et capitaliste au cœur plus grand qu’il n’y paraît, et les autres rencontrés ici ou là sur leur parcours, tous ont un rôle à jouer : les filles ici ne se construisent pas contre les hommes, mais avec eux, à leur contact.
Certes, tous parcourent du chemin quant à la place des femmes et l’idée que chacun se fait de leur rôle, mais la tendresse et une profonde humanité transparaissent sous la plume de l’auteur. Peut-être touche-t-on là à l’essence même du véritable féminisme ?
Certains liens sont indéfectibles, malgré la marche inexorable de l’histoire et les nécessaires séparations qu’elle engendre… C’est cette subtile vérité que Véronique Olmi met en lumière avec beaucoup de justesse et qui donne à ces évasions particulières toute leur émouvante singularité. Et composent tout en finesse la toile de fond des interrogations féministes d'aujourd'hui.
"Le massacre mondial qui les avait précédés et dont la violence vibrait en eux sans qu'ils y prennent garde. Elle était là, la véritable étourderie, dans cette désinvolture à prendre le passé pour une vieille histoire, eux les baby-boomers qui vivaient la fin de ces trente années dites Glorieuses et dont la gloire se mesurait à ce qu'ils consommaient. Depuis quelques années, avec le premier choc pétrolier et la montée du chômage, l'image d'un bonheur prospère et d'une satiété éternelle se fissurait lentement. Mais sur les murs des immeubles, du métro, des aéroports et des gares, dans les journaux, au cinéma, à la radio, à la télévision, jour et nuit des mots, des voix, des images leur disaient tout ce qu'il leur avait manqué. Alors ils achetaient ce dont ils n'avaient jamais eu besoin. Ils se croyaient heureux. Ils étaient simplement obéissants."
>>Véronique Olmi, Les évasions particulières, Albin Michel, 499 p.
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