Peut-on encore écrire sur Marcel Proust ? D'ailleurs peut-on même encore écrire après Marcel Proust ? L'écrivain ne représente pas seulement la quintessence du roman français. Il est source d'un culte qui ne se tarit pas. A l'occasion des 150 ans de sa naissance, l'écrivain iconique est sous les projecteurs. Avec au premier plan, la publication récente d'un texte inédit, genèse de La Recherche : Les soixante-quinze feuillets.
Portrait de M. Proust, photographie de H. Martine, in Le Point - revue artistique, janvier 1936 coll. Bibliothèque de l'INHA. Gallica
Marcel Proust n'est pas seulement un écrivain qui a produit l'une des oeuvres les plus importantes de l'histoire de la littérature, il est aussi à l'origine d'un culte qui ne cesse de grandir avec les années. Alors que l'on fête en 2021 les 150 ans de sa naissance et en 2022 le centenaire de sa mort (Proust est né le 10 juillet 1871 et mort le 18 novembre 1922), plusieurs parutions témoignent d'une fascination qui ne se tarit pas. Celui qui rêvait de devenir un romancier de gare est devenu bien plus que cela : un écrivain universel.
*LES SOIXANTE-QUINZE FEUILLETS : QUAND MARCEL N'ETAIT PAS ENCORE PROUST
Cités par Bernard de Fallois, Les soixante-quinze feuillets représentent l'antichambre de la Recherche, un texte génétique qui porte l'alphabet d'une oeuvre. Ce texte est rendu public pour la première fois.
Les Soixante-quinze feuillets, genèse d'une oeuvre
On savait Bernard de Fallois, spécialiste de l'oeuvre de Marcel Proust. On le savait aussi secret et parfois mystérieux. L'éditeur possédait un texte auquel il avait fait allusion en 1954, dans sa préface du Contre Sainte-Beuve. Ces soixante-quinze feuillets de très grand format étaient devenus légendaires. En 1962, ils n’avaient pourtant pas rejoint la Bibliothèque nationale avec le reste des manuscrits de l’auteur de Swann. Nul ne les avait lu, à part son possesseur. A la mort de Bernard de Fallois en 2018, coup de théâtre, ce texte réapparaît. Que contiennent ces pages dont l'histoire qui les précède a nourri les plus grands fantasmes proustiens?
« Qu’y avait-il dans ces soixante-quinze feuillets de si bien pour qu’il les écrive, de si mal pour qu’il les abandonne ? », demande Jean-Yves Tadié en préambule de cette édition, établie et annotée par Nathalie Mauriac Dyer, qui parle ici d’une «Recherche en miniature».
Ces soixante-quinze feuillets contiennent l’œuvre à venir. Ecrits en 1908, antérieurement à Contre Sainte-Beuve, ils constituent une pièce essentielle du puzzle proustien. Ils ne font pas que nous livrer la plus ancienne version d’À la recherche du temps perdu. Par les clés de lecture que l’écrivain y délivre, ils donnent accès à la crypte proustienne primitive. Lorsque Balbec, Combray, Swann et Guermantes n'existaient pas encore et que la fameuse madeleine ne ressemblait encore qu'à une simple biscotte... Mais déjà, le fil d'un monde prenait forme, et tout en se rêvant, tissait sa toile.
Les traces avant la mémoire
« Un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés », lit-on dans Le Temps retrouvé : mais ici, le temps n’a pas encore effacé tous les noms. Ce texte risque-t-il de démystifier la recherche ? Selon Jean-Yves Tadié, au contraire. Il montre l'écart entre une série de notes encore ancrées dans le réel, et une oeuvre. D'autant que comme l'écrit Jean-Yves Tadié dans Proust et le Roman, l'œuvre chez Proust « a pour sujet sa propre rédaction. » Dans son article Marcel Proust (in Encyclopædia universalis), il précise : « Proust a caché son jeu plus qu'aucun autre romancier avant lui, car, si l'on entrevoit que le roman raconte une vocation, on la croit d'abord manquée, on ne devine pas que le héros aura pour mission d'écrire le livre que nous sommes en train de lire. » Pour Jean-Yves Tadié , La Recherche est mouvement vers l'avenir de la vocation auquel « se superpose la plongée vers le passé de la remémoration : le livre sera achevé lorsque tout l’avenir de l’artiste aura rejoint tout le passé de l’enfant. » Une boucle qui initie un cycle éternel qui avec Le temps retrouvé indique la mesure de l'éternité.
La diagonale proustienne
Pour les spécialistes, il s'agit d'un document de genèse, éclairant et passionnant.
Pour les lecteurs moins impliqués, ces feuillets peuvent apparaître comme ce qu'on appellerait aujourd'hui un story-board, une sorte de squelette de projet. Sa valeur n'est donc pas intrinsèque, mais porte sur son intention. La question qui se pose tout au long de la lecture : quand devient-on un écrivain ? Lorsque l'oeuvre pose son univers et son langage ? Dès les premiers balbutiements, lorsque l'auteur fait ses "gammes" ? Le lecteur appréciera. On ne sort jamais indemne d'une plongée en eau proustienne.
> Marcel Proust, Les Soixante-quinze feuillets, Edition établie et annotée par Nathalie Mauriac-Dyer, Préface de Jean-Yves Tadié, Gallimard, 384 pages, 21 euros
*LES CAHIERS DE L'HERNE SPECIAL MARCEL PROUST
Si l’essentiel de l’oeuvre de Marcel Proust est déjà publié et connu, la publication de ce Cahier permet du moins, si ce n’est d’accroître nos connaissances, de maintenir cette œuvre en vie et de lui garantir une forme d’immortalité.
Ce volume contient quelques inédits et quelques lettres et poèmes de Marcel Proust, mais surtout un grand nombre de documents ou témoignages peu connus, peu accessibles ou même oubliés : les cahiers de brouillon de Proust, le premier texte écrit sur Céleste Albaret, une nouvelle inconnue de Stephen Hudson qui date de 1924,…
Les contributions de nombreux chercheurs pour prendre la mesure du "champ proustien"
Les contributions originales de chercheurs incontournables comme Nathalie Mauriac-Dyer, Pyra Wise, Isabelle Serça, Mireille Naturel, Luc Fraisse, Antoine Compagnon ou Jean-Marc Quaranta, apportent un nouvel éclairage sur l’étude de l’œuvre et des auteurs prestigieux tels Pierre Bergounioux, Gérard Macé, Jacques Réda, témoignent de ce que Proust leur a apporté. À chaque fois, Proust est différent. Cinquante masques pour un seul visage.
Redécouvrir Proust sous différents angles
Le Cahier s’attache aussi à décrire certains aspects négligés de l’œuvre, comme les figurants analysés par Michel Schneider, le marquis de Palancy présenté par Michel Crépu, les opinions politiques de Proust au fil des années, lui qui a eu dans sa famille trois ministres, dont l’un a eu des funérailles nationales, et dont les parents étaient liés au président de la République. > L'Herne, Proust. Edition dirigée par Jean-Yves Tadié. 304 pages, 33 euros.
*CELESTE ET MARCEL, UN AMOUR DE PROUST
Mars 1918 - novembre 1922. Céleste Albaret et Marcel Proust vivent une relation fusionnelle, dans l'intimité de la chambre d'écriture. Il leur reste mille et cent nuits à partager. Nous connaissaons les relations entre l'écrivain et sa gouvernante par la correspondance. Selon la réflexion de Johann Wolfgang Goethe, "Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre". Alors que reste-t-il d'un grand écrivain pour sa gouvernante ? L'originalité de Jocelyne Sauvard est de redonner vie à cette relation singulière qui unit ces deux êtres que tout séparait, dans une intimité que nul n'a jamais approchée. D'oser la "romancer".
Oser romancer les relations entre Proust et sa gouvernante
« Céleste a perçu le tintement discret. Elle va accourir. Il a besoin d'elle, de son corps rassurant. Chaque jour, elle accourt à son appel, telle une vierge sage vers son époux. Elle attend qu'il restitue pour elle l'enchantement de ce qu'il appelle “la vraie vie” : la frénésie de la création et du désir. »
Marcel a quarante-sept ans, les jours lui sont comptés, il doit mettre le point final à La Recherche, et reconstituer le conte perdu, Robert et le chevreau. Céleste en a vingt-sept. Elle veille sur lui, sur son oeuvre, et s'interroge : tandis que les avions allemands bombardent Paris et que la grippe espagnole fait des ravages, quelle vie secrète l'écrivain mène-t-il hors de cet appartement ? Il rentre couvert d'éclats d'acier, recrée pour elle les constellations de feu et les soirées mondaines de ces Années folles. Jocelyne Sauvard fait revivre une époque. La confidente devient le miroir de l'ombre qui reflète le mystère de la création. Un hommage subjectif.
>Céleste et Marcel, un amour de Proust, Jocelyne Sauvard, Edition du Rocher, 336 pages, 19,90 euros
*A LIRE AUSSI
Lire notre article sur l’acquisition par la BnF d’une édition originale de Du Côté de chez Swann de Marcel Proust, enrichie d’une lettre-dédicace de huit pages de l’écrivain à son amie Marie Scheikévitch. >Aller sur le site de la BNF pour plus d'informations
*A VOIR ET A SUIVRE, PROUST PAR LA COMEDIE FRANCAISE
Les acteurs de La Comédie française se relaient pour lire A la Recherce du temps perdu. Chaque soir à 19 h sur la page Facebook de l'Institution, vous pouvez suivre la lecture d'un extrait. >Les replays sont à retrouver sur la chaîne YouTube de La Comédie Française
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