Alors que nous célébrons le centenaire de celui que Maurice Barrès appelait « notre jeune homme », Jean-Marc Holsters nous parle de sa passion pour Marcel Proust. Et nous l’explique avec sa verve et son humour habituels.
«Tu peux faire quelque chose de très bien, avec juste un piano, tout seul, dans le petit cercle de lumière, au milieu des ténèbres : Mérimée ou Modiano...
Tu peux faire du Bach, avec un big band hétéroclite, au fond d'une cave crasseuse, parmi les macs et les balances – et dehors une ville bombardée : ça s'appelle Céline...
Une flûte, un tambourin et un chœur d'enfants joyeux : voilà Prévert...
Douze moines dans une cathédrale, font résonner le « Rorate caeli desuper », c'est Claudel, et c'est beau.
Tu peux même arriver à bricoler de l'immortel avec une fanfare militaire : Rostand...
...Mais Lui, c'est au palais Garnier, la toute grosse machine, le stuc, les ors, le grand orchestre symphonique, tout un corps de ballet, des décors de Rubens, de Watteau, de Bosch...Les grandes eaux de Versailles...Alors, oui, ça en agace certains, ils sortent avant la fin, vont bouffer un morceau de carton au Pizza Hut, boulevard des Italiens...Il ratent le grand final en ré majeur, le public debout, en larmes, ils ratent le petit monsieur si blanc, aux manières exquises, qui vient saluer modestement, comme il sied à un Prince. Ils ratent Marcel Proust.
Les cons.
Il y aura cent ans, aujourd’hui, à 16h30, le 18 novembre 1922, au numéro 44 de la rue Hamelin, Paris XVIème, Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust entrait dans l'Eternité.
J’ai rencontré, souvent, des détracteurs du petit Marcel.
Trop long, trop chantourné, abscons, sans intérêt – Hein ? toutes ces duchesses, je vous demande un peu ! – j’ai même rencontré un lettré – Ô manes de mes aïeux ! – qui trouvait ça « cucul ».
« Cucul ». Proust. Celui-là, je ne vais pas vous mentir, je lui ai fait du mal.
Oui, je le confesse, Proust a pour moi certains des attributs que les fidèles n’accordent qu’à la divinité, ou aux saints du calendrier. J’en deviendrais aisément fanatique, si j’étais porté au fanatisme.
Parce qu’enfin, je vais vous dire, mes agneaux :
Proust, tu peux aimer ou pas, y être sensible ou pas – ça, c’est comme Houellebecq, Chateaubriand ou Vialatte, c’est comme le foot ou la broderie, si t’as pas le bon bout de velcro, à l’intérieur, l’exact velcro qui s’accroche à ça, tu peux lire le plus beau livre du monde, ça glissera sur toi comme pluie sur l’aile du canard – mais tu n’as pas le droit, si tu sais lire, de dire que c’est mauvais, ou quelconque.
Ou alors, tu es juste un con.
C’est pas bien grave, remarque. On est nombreux.
Proust, c’est l’écrivain total, celui qui a tout, le souffle, la poésie, le drame, la farce, la tragédie, la philosophie, la virtuosité, le nombre, la verve, l’humour…Et l’analyse, donc ! Proust porte l’analyse à un point de perfection, d’exhaustivité, de virtuosité qui en fait une sorte de poétique. Son oeil de mouche voit tout, au ralenti. Ce qui pour le commun des mortels dure un centième de seconde est par lui décortiqué, disséqué comme si cela durait une demi-heure.
Quelque part sur le plus haut sommet de ce qu’un être humain peut faire avec des mots, juste au-dessus de Shakespeare et de Dostoïevski, le petit moustachu trop poli, maniéré, le snobinard à sa maman, le névrosé, la honteuse, l’éternel enfant de bourgeois aux yeux de faon – « notre jeune homme », comme disait Barrès - trône.
Tout seul. Dans la gloire.
L'une des choses qui font de la Recherche une œuvre – T’es assis ? Je te jure que j'emploie pas ce mot de bon cœur, c'est le seul qui colle – une œuvre transcendante, une œuvre comme il n'y en a pas cinq dans l'histoire de l'humanité - une Bible - c'est qu'elle n'est pas finie. Comme les Pensées de Pascal, si tu veux.
Attends, tu vas voir, y a que deux choses essentielles en art, pas huit, pas douze, il y en a deux : la Vérité et la Vie.
Parfaitement : la Vérité. Si Proust avec son gros machin mal ficelé, débordant de partout, plein d'erreurs, de redites, de miracles, de poésie, d'élan, de cacophonie, si Proust avec son truc fabriqué à la va comme je te pousse – cathédrale, mon cul! - encre, sperme et sang, morve et charbon de bois, avec sa rossinante qui caracole dans tous les mauvais chemins de boue, si Proust a écrit le plus grand roman du monde, c'est parce qu'il a mis ses tripes sur la table, anus compris, et les hémorroïdes, et la merde à l'intérieur; ses vraies tripes, à lui, sans tricher, sans trembler. Seppuku, tchac, clair et net, tout le fourbi fumant et saignant qui dégringole d'un seul coup, voilà : la Vérité, la seule qui vaille, celle qu'on a dans le ventre.
Et la Vie…C'est peut-être même un coup de bol, ou un miracle…Il a pas eu le temps de l’achever, de l'embaumer, son bouquin… Alors ça palpite encore, les phrases s'enroulent comme une partouze de vers de terre, les mots se montent dessus, une guerre de fourmis sur la page…C’est l'équivalent littéraire du tremblement de lumière chez les impressionnistes…Mais c'est aussi parce qu'il l'a transfusée, la Vie, ses six litres de sang, jusqu'à la dernière goutte, tant pis, banco !
Ils te disent : -Ah ! la Recherche, c’est quelque chose !
Non. La Recherche, c'est pas quelque chose, la Recherche, c'est quelqu'un. Une transsubstantiation, ça s’appelle. Les gens de lettres te composent toujours plus ou moins des alphabets qui imitent la vie, ici, t'as la vie, la vie elle-même, déguisée en alphabet.
Proust est entré au tombeau après avoir tenté l'impossible - mais dès qu'un homme veut l'impossible, un dieu mort se relève et combat à ses côtés, t'as qu'à essayer… - et Proust ressuscite, chaque fois qu'une main nouvelle entr'ouvre les portes du Mausolée, et récite la formule sacrée :
« - Longtemps, je me suis couché de bonne heure »
Alors, dans la lumière, IL EST LÀ, lui-même, en personne, avec ses manies, sa préciosité, son élégance, son ironie, son doux regard de jeune fille, il est là, il te prend par la main et t'emmène à Combray…Et tu retrouves un monde perdu, ton monde aussi bien, tu le retrouves malgré l'abyssale distance où tant de jours sont venus se placer – dans le Temps. »
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