Philippe Tesson s'est éteint à 94 ans. On le croyait immortel, tant sa vivacité d'esprit, son goût des mots et ses sourires facétieux semblaient le protéger des outrages du temps. Il est parti presque en scène comme son cher Molière, continuant de présider le prix Interallié et avec sa fille Stéphanie, le Théâtre de Poche, jusqu'à son dernier souffle. Avec lui disparaît une époque qui privilégiait le sens de la formule, le panache des mots et la liberté de pensée.
On le croyait immortel. Avec son oeil rieur, il avait conservé son esprit de curiosité, son enthousiasme pour les choses de l'esprit, sa passion pour le théâtre et les grandes envolées lyriques. A 94 ans, ce grand seigneur de la presse et de la culture s'est éteint.
Philippe Tesson appartenait à la grande tradition française du verbe, de l'éloquence, et de l'insolence. Se situant entre Beaumarchais et Talleyrand, il avait le courage des idées. Nul n'a jamais réussi à le formater. Libre il est toujours resté, sans compromission avec le pouvoir, sans jamais s'assujettir à une quelconque autorité. Son seul maître était le talent.
Belle plume et homme d'esprit, il aimait aussi fédérer. Chef de file de toute une génération de journalistes et auteurs, Philippe Tesson a été le rédacteur en chef du journal Combat de 1960 à 1974, avant de fonder Le Quotidien de Paris, qu'il a dirigé de 1974 à 1994. Il a servi de pépinière à bon nombre de talents qui ont ensuite poursuivi leur route sans jamais l'oublier : de Dominique Jamet à Eric Neuhoff, Bertrand de Saint-Vincent, Georges-Marc Benhamou, Olivier Frébourg, Armelle Héliot et tant d'autres, qui lui doivent beaucoup. Car quiconque côtoyait Philippe Tesson se trouvait élevé dans une autre dimension. Le «maître» savait révéler le talent des autres et pousser chacun à dépasser ses limites, même si cela venait heurter les siennes.
Devenu homme de lettres et de théâtre dans les années 90, il avait quitté l'observation du monde de la politique sans regret, quand il avait trouvé que celle-ci était devenue ennuyeuse et techno-médio-cratique. En ayant repris le Théâtre de Poche-Montparnasse avec sa fille Stéphanie, il avait de nouveau su créer un lieu de circulation des talents et d'expression artistique. La vie était pour Philippe Tesson un théâtre à ne pas prendre trop au sérieux et le théâtre une vérité à jouer très sérieusement.
Inlassable découvreur, il était aussi président du Prix Interallié, pour défendre une certaine idée de la littérature. Ainsi, en novembre dernier, avait-il soutenu avec verve Philibert Humm, pour son livre Roman Fleuve (Editions des Equateurs). Avec ses airs de Hussard des temps modernes, le lauréat avait fait montre d'une jeune insolence qui l'avait particulièrement réjoui.
>Lire notre interview de Philibert Humm lors de la remise de son prix.
Aujourd'hui la presse et la culture sont en deuil. Philippe Tesson était l'un des derniers représentants de cette génération qui portait le verbe haut et considérait la presse comme un lieu de courage et de belles réparties. Une époque qui ne pensait pas que l'information était un divertissement vulgaire, les idées une perte de temps et le panache une élégance inutile. Philippe Tesson avait tourné le dos aux algorithmes, aux néologismes issus du marketing et aux tyrans de la pensée dogmatique. Il est resté jusqu'au bout l'incarnation de la liberté.
Pour avoir eu la chance de démarrer ma carrière journalistique dans la pépinière Tesson, je mesure à quel point cela fut un privilège. Nous avons tous tant appris de lui et de son équipe. Chacun à notre façon, avons eu à coeur de poursuivre une certaine beauté du style appris sous son influence. Lorsque je l'ai vu pour la dernière fois, en novembre 2022, ce fut à l'occasion de la remise du prix Interallié au restaurant Lasserre. J'ai pu lui réexprimer ma gratitude pour les années Quotidien. Il aimait bien que je me sois aujourd'hui tournée vers les livres et l'actualité littéraire. Il m'avait invitée à venir le revoir au théâtre en début d'année. La vie en a décidé autrement. Notre échange sous les lambris et les grands lustres en cristal de chez Lasserre fleurait la douceur de vivre. La félicité de ce lieu feutré nous avait enveloppés d'une joyeuse insouciance. Ce moment d'éternité scella notre cérémonie d'adieu.
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