Christophe Bigot revient sur les dernières années de la vie de Marguerite Yourcenar dans « Un autre m’attend ailleurs » (Éditions de la Martinière), lorsque la célèbre académicienne vécut une passion pour un jeune homosexuel, de 46 ans de moins qu'elle. Brigit Bontour a été transportée par ce texte, qui dit tout de l'amour et de ses ombres. Le livre finaliste du Prix Femina est d'ores et déjà lauréat du Prix de la biographie romancée Geneviève Moll 2024.
Qui aurait pu imaginer que la grande dame des lettres, magnifique de dignité et de distance, vêtue en Saint-Laurent haute couture sécherait en ce soir de janvier 1981, les agapes prévues après sa réception à l’Académie française ? Pour rejoindre Jerry, un jeune Américain dont elle est passionnément amoureuse, dans un bar du Marais.
Marguerite Yourcenar a soixante-seize ans ans, il en a trente, mais ce n’est qu’un détail, elle a trouvé en lui, son Antinoüs, son Cavalier polonais, personnage d’un tableau de Rembrandt qu’elle adore.
Comblée d’honneurs et de prix, elle est aussi la première femme à être élue à l’Académie française en plus de trois siècles, mais ne se reconnaît pas dans tous ces honneurs qui lui pèsent.
Elle a vécu près de quarante ans avec sa compagne Diane Frick qui fut également sa traductrice à Monts Déserts, dans le Maine au nord-est des Etats-Unis.
Elle aime les femmes, il aime les hommes. Elle est attirée par « les hommes à hommes », Dans sa jeunesse, elle a été éprise d’André Fraigneau, un homosexuel qui la rejeta. Elle a écrit Alexis ou le traité du vain combat, une longue lettre d’un homme expliquant à sa femme, qu’il préfère les garçons. Dans son chef-d'œuvre, Le Coup de grâce, un soldat repousse l’amour de Sophie, une jeune fille, au profit de son frère Conrad dont il est épris. Elle s’est intéressée à Mishima.
Sans doute a-t-elle vu d’emblée en Jerry Wilson, plus que l’assistant et compagnon du metteur en scène Maurice Dumay, venu tourner un documentaire chez elle : « quand ils sont partis, un grand froid a saisi Marguerite. Elle s’est souvenue de la fixité des yeux de Jerry. C’était un regard clair et un peu mort. Ce bleu transparent remuait quelque chose en elle, à des profondeurs si abyssales qu’elle a renoncé à y plonger ».
Très vite, elle va succomber aux charmes de ce regard et Jerry va s’installer dans sa vie, en devenant son « secrétaire » alors que sa compagne très malade décède.
Malgré les mises en garde de son entourage, elle semble revivre, « éprouve l’ivresse d’une jeune mariée à lui servir son café fumant, ses tranches de pain nappées de confiture d’airelles ». Né dans une plantation au fin fond de l’Arkansas, il est son opposé. Gay, il a eu des conquêtes féminines et assure ne pas discriminer en fonction de l’âge. Elle veut le croire, elle n’a jamais été aussi heureuse, elle exulte. Tout ce que l’accumulation des ans lui a ravi, l’avenir, l’espoir, les projets, elle le retrouve au contact du jeune homme. Et qu’importe s’il n’a aucune culture générale, il est incollable sur l’ornithologie, l’horticulture et surtout la musique, le blues, le gospel, la photographie.
En sa compagnie, elle parvient à vaincre sa phobie de l’avion en s’envolant pour des voyages lointains, l’Égypte, le Japon, les Caraïbes, le Kenya où elle est victime d’un grave accident. Autant de séjours enchanteurs avant l’épilogue tragique. Jerry rencontre un garçon de son âge, Daniel, un voyou qui va l’initier à la drogue.
Le bonheur des débuts de leur relation mouvementée va disparaître, le sordide s’inviter, elle n’est plus pour les deux comparses qu’une vieille femme dont il faut tirer profit. « D’amoureuse compréhensive, Marguerite est devenue spectatrice complaisante. Victime consentante puis victime tout court. La voici héroïne pathétique de mélodrame ».
Un dernier voyage en Inde en compagnie de Jerry sous la double emprise de la drogue et de son amant, la conduit aux portes des enfers. Elle, Marguerite Cleenewerck de Crayencour, académicienne octogénaire, craint même un moment la prison pour possession de stupéfiants, que Jerry a cachés dans les tiroirs de sa chambre.
Depuis 1981, le sida commence à faucher des amis du jeune homme, dont Maurice. On ne parle que de mauvaise grippe, mais bientôt la nature de la maladie va être établie. Jerry en meurt en 1985. Elle s’éteint en 1986. Durant les derniers mois, elle ne le revoit pas, Daniel faisant obstacle.
Tout dans le roman de Christophe Bigot est exceptionnel, sa connaissance de Marguerite Yourcenar, d’abord, l’écriture classique et inspirée ensuite, mais surtout la force vitale qui émane de son livre, la façon dont il décrit le retour à la vie d’une femme prête à soulever le couvercle du mausolée où sa renommée l’a enfermée. Ses titres de gloire écrit l’auteur sont « lourds comme des vases grecs, pompeux comme des épitaphes princières ».
Une femme qui, par sa rencontre avec un jeune homme qui pourrait être son petit-fils, va envoyer valser les conventions et s’offrir de nouvelles années de jeunesse. Est-elle dupe ou revit-elle vraiment l’aube de sa vie, son amour pour Fraigneau ?
L’auteur ne le dit pas, mais laisse le lecteur se faire sa propre opinion sur la magnifique et tragique aventure qui a permis à Marguerite d’aimer, de voyager à nouveau, à l’âge où souvent les jours s’étiolent entre ennui et regrets. Il ne s’appesantit pas non plus sur la force des liens entre les deux protagonistes, même si Jerry fut pour elle une véritable passion. Une liaison qui, en plus de lui procurer un supplément d’existence, aura permis l’écriture de deux livres, Blues et Gospels et La voix des choses, comprenant les photos de Jerry.
Un autre m’attend quelque part donne un sérieux coup de jeune à l’auteure de L’œuvre au noir et déboulonne la statue du commandeur que beaucoup ont voulu ériger à Marguerite, la grande amoureuse.
Le roman vrai de la passion entre Marguerite Yourcenar, première femme à entrer à l’Académie française, et Jerry Wilson, jeune photographe de quarante-six ans son cadet. Captivant, subversif et follement romanesque.
Au tournant des années 1980, tous les yeux sont rivés sur Marguerite Yourcenar, l’autrice des Mémoires d’Hadrien. Pourtant, que sait-on d’elle ? Qu’elle vit aux États-Unis, qu’elle vient de perdre sa compagne, l’Américaine Grace Frick… À près de soixante-seize ans, Yourcenar semble ne plus rien avoir à attendre de la vie. La rencontre de Jerry Wilson va tout changer. Avec ce photographe américain homosexuel âgé de trente ans commence alors un roman d’amour aussi inattendu que destructeur – la dernière passion d’une grande dame des lettres et d’une grande amoureuse.
> Christophe Bigot,« Un autre m’attend ailleurs », Éditions de la Martinière, 303 p., 20 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
Christophe Bigot présente en vidéo son livre « Un autre m’attend ailleurs ». Réalisation Mollat.
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