Entretien avec Michel Le Bris

Viabooks: Vous êtes le créateur et le directeur du festival Etonnants Voyageurs. Pouvez-vous nous raconter comment est né ce festival?

Il est né il y a 22 ans d'un "ras le bol" d'écrivain. Je ne me sentais pas d'espace pour respirer dans le milieu littéraire français. Je savais qu'un monde allait naître. La littérature n'est jamais aussi vivante que lorsqu'on part dans l'inconnu. Un lecteur du journal Le Monde était inculte en matière culturelle. Ce sont les artistes qui inventent les paroles vives, les couleurs. Quand j'ai monté ce festival, tout le monde littéraire français a été contre moi. Mais dès la première année, il y a eu un public. Je suis très reconnaissant à Nicole Zand, journaliste du Monde qui nous a beaucoup soutenus la première année.
Lorsqu'on brise les règles, la créativité est en marge. Beaucoup d'écrivains étrangers ont été découverts en France grâce à Saint Malo. Prenez Sepulveda par exemple .
En 15 ans chez Phebus, j'ai édité 400 titres, parmi lesquels Bouvier, A Conti, l'école du Montana, les écrivains indiens avec une première edition en 1993: Ecrivains du monde, Ecrivains de l' Inde.On ne s'est pas trompé car l'intuition de départ était juste. Enfin, il y a eu le culot de créer un festival à l'étranger. Mabanckou, Fatou Diome toute une génération différente. Une bande était née. Saint Malo est le navire amiral.

Viabooks: Cette année la thématique choisie est "Villes-Monde. Cultures urbaines" pouvez-vous revenir sur ce thème et son choix?

Il s'agit d'apprendre du monde. Il faut aller sur place, rencontrer les gens, monter les choses avec les auteurs.

Viabooks: Concernant la Russie qui était le thème de l'année dernière, y êtes-vous allé personnellement souvent? Quels sont les grands textes que vous aimez concernant ce pays?

MLB: Je n'ai pas eu encore le temps d'aller en Russie. Depuis que j'ai créé le festival, le paradoxe est que je n'ai plus le temps de voyager. Haïti cette année a bousculé le programme de Saint Malo. Une nouvelle fois, il s'agit de capter le nouveau. Concernant la Russie, je connaissais les grands anciens et certains nouveaux comme Kourkov qui est dejà venu. La diversité du territoire russe est fascinante. La Russie est un monde immense et l'une des grandes figures de notre avenir. Ecouter les écrivains nous ouvre des perspectives.
 

Viabooks: Colyn Thurbon a reçu l'année dernière le prix Nicolas Bouvier . Pouvez-vous nous parler de ce grand écrivain et de son dernier texte "En Sibérie"?

MLB: En Grande Bretagne, il est le plus grand écrivain voyageur. J'édite depuis 1990, "Les Russes". Thurbon est un auteur formidable et son texte En Sibérie est vraiment remarquable.

Viabooks: Nous avons beaucoup aimé votre ouvrage "La Beauté du Monde" et le film qui l'accompagnait, travaillez-vous en ce moment sur un nouveau texte? ou un nouveau film?

MLB: Je viens de sortir deux textes. "Je est un autre" qui est un collectif qui vient de paraître chez Gallimard et "Le Dictionnaire Amoureux des Explorateurs" chez Plon. Les réalisateurs qui sont ici à Saint Malo sont très proches de la littérature. Ca vaut aussi pour les photographes reporters. On se retrouve autour d'artistes de différents horizons. Ces rendez-vous entre photographie, littérature et cinéma permettent de partager les questions du monde d'aujourd'hui.

Viabooks: Pensez-vous qu'une "nouvelle génération d'écrivains voyageurs s'affirme en ce moment?

MLB: Oui, il y a je crois un souffle nouveau. David Fauquemberg est venu par exemple pour son livre qui se passe en Australie "Nullarbor". On trouve beaucoup de jeunes auteurs passionnants. C'est cette génération née avec le roman noir et cette sensibilité que l'on retrouve dans la revue 21.
 

Viabooks: Pouvez-vous nous parler du livre collectif qui va paraître chez Gallimard Je est un autre sous votre direction et celle de Jean Rouaud?

MLB: Ce livre est né d'une conversation avec Jean Rouaud. Il reprend la phrase de Rimbaud "Je est un autre"qui est intéressante à relire car elle a toujours été mal comprise. Les écrivains ont beaucoup à dire sur la multiplicité du monde.

Viabooks: Que représente le festival en terme de personnes attendues et d'organisateurs?

On attend 60.000 personnes. Il y a une grande tension, une merveilleuse et éreintante excitation. Nous sommes une équipe de 5 personnes en permanence. A partir de Janvier différentes personnes commencent à venir nous aider. En tout, nous sommes à la fin autour de 200 personnes. Il y a 27 salles à sonoriser, 300 rencontres. Il faut aussi qu'une équipe soit là pour permettre aux personnes de suivre le festival sur internet.
C'est Saint Malo qui a créé le concept du café littéraire.
J'ai la chance d'avoir constitué autour de moi une équipe formidable. Certains assurent aussi la régie du festival de Lorient, une autre performance, avec aussi plusieurs salles dans la ville. Je suis fier de les voir fonctionner. C'est une chance formidable pour nous et pour eux aussi je crois.