Eric Val-Harbort, membre de la communauté Viabooks a lu HHhH de Laurent Binet. Il nous livre sa critique en soulignant le travail de documentation du livre et sa capacité à s'indigner contre "la bêtise politique". Ce Prix Goncourt du Premier Roman est un conseil de lecture qui tombe à point nommé en ces jours d'été...
Les personnages ont évidement existé, le plus connu d’entre eux , Heydrich, est le parfait salaud brillant et pervers; les deux héros officiels du roman, un Tchèque et un Slovaque parachutés au vrai sens du terme pour préparer l’attentat qui éliminera Heydrich à Prague sont sympathiques, vraiment héroïques, touchants, faits de chair, la restitution est plausible et l’ensemble enlevé.
Le fait historique est rendu encore plus digestible par l’interposition à pagination que l’on ressent être quasi égale d’une description détaillée du travail de documentation de l’auteur, qui nous fait complaisamment part de ses douleurs, des ses doutes sur la légitimité même du roman historique en tant que genre, ainsi que de ses enthousiasmes devant les inévitables coïncidences et coups de chance qui émaillent sa recherche de documents. Nous sommes conviés à prendre connaissance de ce que cet envahissant travail de collecte de faits et de détails destinés à étayer son travail a pu avoir comme retentissement sur son existence pendant trois ans (doutes, questionnements, ruptures sentimentales etc.)
Tout cela est bien sympathique, mais le devient moins lorsque, se juchant sur une chaire construite de ses propres mains, Laurent Binet se propose de nous assener ses commentaires sur divers sujets, tels que par exemple le sport, qui pour avoir été utilisé quelque temps par les totalitarismes (de droite seulement, bien sur, car notre auteur se dit fièrement fils de bon communiste français, donc pas d’aggiornamento en vue) le sport, donc, devient pour toujours et sans appel « une vraie saloperie fasciste ». On s’amusera par ailleurs à ses dépens de son indignation qui le laisse sans voix devant la « bêtise politique » portée à un sommet par Daladier qui faisait remarquer en 38 que les Allemands travaillaient 50 heures par semaine à s’armer pendant que les Français s’adonnaient aux joies des 48 heures ramenées à 40 ; cet homme avait très tort. De plus il n’était qu’un traitre qui avait été socialiste, l’allusion est lourde, mais l’effet assuré et sans risque. Passons sur la nécessité pour le corps enseignant d’être subversif (Internationale situationnisme pas morte, éduc nat= devoir d’insoumission ! on se croirait dans une AG du SNESUP), une opinion touchante d’archaïsme mais inutilement agaçante. On pourra plus franchement s’irriter (après qu’il a exécuté Saint John Perse) de le voir qualifier «les Bienveillantes » de Jonathan Littell de « Houellbecq chez les nazis » (chapitre 204), et commencer à se demander pour qui se prend ce monsieur Binet qui parle bien plus de lui que de Gabcik et de Kubis, ces héros finalement ramenés au rang de faire-valoir d’un bloggeur passablement narcissique.
Reprenons : Un vrai succès éditorial, une première œuvre dont la forme est inhabituelle, suffisamment pour avoir retenu l’attention de Grasset, bien vu de leur part car ce livre s’est vendu très vite et très bien. Un page turner rédigé en chapitres très brefs (cela vous rappelle l’insipide « Da Vinci code » ?- soyez rassurés, c’est évidement beaucoup plus intelligent , et au moins les nombreux faits historiques sont non contestables), une écriture plus qu’honnête, des jeux de miroirs intéressants, un roman historique avec toutes ses faiblesses du genre ( situations imaginées, conversations arbitraires), mais ici les faiblesses sont lucidement analysées par l’œuvre elle-même et deviennent un stimulant de lecture .
Gros tirage donc : s’agit-il d’une œuvre majeure ? La question si elle est posée sous entend notre réponse. En italien, une préparation « alla putanesca » signifie que le plat va toujours plaire, une traduction serait : « à la putassière ». C’est un peu ce qui vient à l’esprit en lisant HHhH, qui déploie cette complaisance très séduisante dans sa façon d’éblouir et de tirer le lecteur par la manche, qui fonctionne excellemment en ses débuts mais qui s’essouffle vers les deux tiers de l’ouvrage. Le problème d’une composition inédite est que l’insistance du respect de la forme à laquelle elle est obligée fait le tri impitoyablement : une œuvre dont le fond est dense résiste alors qu’une plus mineure s’effondre. Une des raisons de la lassitude vis-à-vis du livre de M Binet est que, inévitablement, le lecteur un peu critique réalise que le principal héros du livre est l’auteur lui-même, que ce projet qui nous est imposé n’était pas annoncé, et que quitte à de voir se colleter avec une personnalité rugueuse, autant en choisir une qui ait de la densité – Hemingway, Jean Genet, Richard Millet vous êtes si loin !
Concluons : ce mélange original d’une autobiographie sans modestie qui irrigue au risque de menacer d’asphyxie un roman historique par ailleurs bien tourné et bien documenté constitue réellement un objet éditorial intéressant, qui fera une bien meilleure lecture pour la plage que les best sellers habituellement imposés par le marché.
Conférer le profil de ce lecteur, http://www.viabooks.fr/membres/eric-val-harboit
Laurent Binet, HHhH, Grasset.
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