Sophie Caillat et Amélie Petit ont lancé récemment une maison d'édition numérique, "Premier Parallèle", avec une vraie ambition éditoriale. Elles expliquent à Viabooks leur projet.
-Sophie Caillat et Amélie Petit : Premier Parallèle est né de la rencontre entre deux personnalités et deux univers, celui de l’édition papier et celui du journalisme numérique. L’une avait le savoir-faire de l’édition traditionnelle et l’autre l’expérience de la presse en ligne. Toutes les deux nous avions envie de faire un pas de côté, de créer une « maison » : il y a ce désir de créer un espace, physique (nous ouvrons bientôt une résidence d’écriture en Bourgogne) ou figuré, un lieu d’émulation où les grandes questions qui traversent notre société sont abordées. Un lieu de dialogue, d’échange, de débat.
-Amélie Petit: Je travaille dans l’édition, dans le domaine des essais et des documents depuis dix ans. Editrice indépendante pendant plusieurs années, j’ai par ailleurs été directrice littéraire des éditions François Bourin jusqu’à leur rachat, en 2013.
-Sophie Caillat: J’ai passé les six dernières années à Rue89, site d’info et de débat sur l’actualité, premier « pure player » lors de sa création par quatre anciens de Libération, et qui a été un laboratoire des nouvelles formes journalistiques. J’ai aussi écrit plusieurs livres et réalisé le premier MOOC en français sur le journalisme numérique (Informer et communiquer sur les réseaux sociaux).
-S.C. et A.P.: Nous croyons, au contraire, au livre imprimé et pensons que la librairie a de belles heures devant elle. Mais le numérique offre de nouvelles possibilités de lecture. Le fait de pouvoir acheter en un clic, à n’importe quel endroit de la planète, un ouvrage, moins cher, qui n’encombre pas sa bibliothèque, est très enthousiasmant. Le fait de pouvoir publier un texte rapidement, en s’inquiétant moins du poids des retours, l’est tout autant… Mais nous croyons fermement à la complémentarité des deux. Nous publions d’ailleurs aussi des livres papier, que nous distribuons en librairie via la Générale Librest. Nous voulons garder une structure légère et réactive, ce que permet le numérique, mais les libraires sont précieux et nous souhaitons travailler avec eux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous travaillons avec e-Fractions, qui diffuse des cartes-livres.
-S.C. et A.P.: Nous voulons être un lieu d’émulation, proposer des textes qui donnent à penser le monde dans lequel on vit, qui va très vite et est secoué par des révolutions anthropologiques majeures. Si nous n’avons pas prévu de publier de littérature pour le moment, nous ne nous interdisons rien, dans le domaine de la non fiction. Des articles de recherche, des manifestes, des textes d’intervention de tous formats, tant qu’ils éclairent les angles morts de la société. Bien sûr, en dernier ressort, le choix de nos livres est le fruit directe de nos deux subjectivités. Un livre publié, c’est avant tout la certitude qu’une parole mérite d’être portée.
-S.C. et A.P.: Nous lançons la maison avec trois titres, assez représentatifs de notre éclectisme : un livre de témoignages de femmes voilées, « Des Voix derrière le voile », un court essai sur l’empire Google « The United States of Google », qui pose la question cruciale des ambitions politiques des géants de l’Internet, et le journal d’un détenu semi-libre tenu par une journaliste très talentueuse qui assiste à son apprentissage de la liberté « La Lente évasion ».
-S.C. et A.P.: Jusque-là nous avons choisi nos auteurs parmi nos connaissances, des journalistes ou essayistes dont nous admirions le travail. Nous avons aussi cherché à traduire des textes publiés à l’étranger, afin d’importer des débats qui sont peu traités en France. Nous sollicitons aussi des auteurs dont nous pensons qu’ils sont des voix singulières, pour leur proposer de se prêter au jeu de Premier Parallèle.
-S.C. et A.P.: Outre un service de presse classique, nous allons promouvoir nos auteurs en ligne, puisque c’est aussi là que se trouvent nos lecteurs. Cela passera par des tribunes ou interventions sur les médias numériques, et bien sûr par les réseaux sociaux. Enfin, nous allons organiser plusieurs événements pour chaque livre, afin que le public ait l’occasion de prendre la parole et d’interroger l’auteur.
-S.C. et A.P.: Ce n’est ni une bonne nouvelle ni une surprise, mais c’est aussi logique puisque l’Europe tend à unifier ses législations. S’il est normal de considérer le livre numérique protégé par des DRM comme un service et non un bien, en revanche on peut s’interroger : les livres numériques que nous publions sans DRM peuvent se prêter, et ne dépendent pas d’un appareil pour être lu. Dans ce cas, ne devrait-on pas considérer que c’est un bien culturel, un livre comme un autre, et lui appliquer la TVA à 5,5% ?
-S.C. et A.P.: Nous ne pensons pas que le lecteur cherche à avoir 100 000 livres dans sa liseuse, mais plutôt à avoir de bons livres. On peut écouter une dizaine d’albums par jour, on ne peut pas lire dix livres dans le même laps de temps. D’ailleurs l’essentiel des éditeurs ont refusé d’entrer dans cette offre, ce qui fait qu’elle comprend surtout des livres autoédités. Nous envisageons de proposer, lorsque nous aurons suffisamment de titres au catalogue, un abonnement annuel, adapté à ceux qui se retrouvent dans notre ligne éditoriale.
-S.C. et A.P.: Le livre augmenté est un formidable développement pour le livre numérique, mais il est aussi onéreux et long à réaliser. Pour le moment, nous nous concentrons sur les textes, mais nous avons en tête des projets que nous aimerions développer en multimédia car ils le justifient.
-S.C. et A.P.: Dans les mois qui viennent nous allons publier l’essai d’un psychanalyste, Gérard Haddad, sur le fanatisme, une enquête de Sophie Bouillon sur les prostituées, le manifeste de l’association Génération cobayes et une traduction d’un essai danois sur la question, brûlante, de la mémoire.
Propos recueillis par Olivia Phélip
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