2015 : la question de l’engagement de l’écrivain?

Les écrivains ne racontent plus seulement des histoires, les voilà en phase avec l'actualité, s'exprimant avec opinion sur ce qui se passe à travers le monde. Et non sans faire quelques vagues en se prêtant à ce jeu, parfois dangereux. Leurs livres font parler d’eux autant qu’ils font vendre, et les thèmes liés au monde actuel séduisent de plus en plus les jurés des prix littéraires. 2015, probablement en raison des tragiques événements qui ont touché la France, ce phénomène s'est accentué. 
 

L'année 2015 commence en tragique fanfare avec la violence inouïe des attentats de janvier. Des événements qui résonnent particulièrement avec la sortie de « Soumission » (Flammarion), le livre de Michel Houellebecq paru le 7 janvier, jour des attentats de Charlie Hebdo. Houellebecq y décrit la France en 2022, alors qu’est élu un président de la République issu d’un parti politique musulman. Si la promotion du livre est suspendue, son succès n’en est pourtant pas affaibli, se vendant à plus de 120 000 exemplaires en seulement cinq jours. Le roman polémique ne fait pas sensation qu’en France puisqu’il se retrouve en tête des ventes dans deux autres pays européens : l’Italie et l’Allemagne. 

L’écrivain porte désormais une parole pleine de responsabilités, avec une valeur de l’engagement. Le monde littéraire se rend compte de l’importance du livre, et l’auteur devient lui-même acteur de la situation. C’est ainsi que Michel Houellebecq se retrouve sous protection policière et Michel Onfray dans une vidéo de propagande de l’Etat islamique. La vidéo reprenait des propos du philosophe et essayiste concernant la politique anti-islam de la France. Michel Onfray a également fait parler de lui en novembre lorsqu’il annonçait le report de la publication de son livre « Penser l’Islam », dont la parution était prévue le 27 janvier. La maison d’édition Grasset indiquait que l’auteur reportait sa publication car « aucun débat n’est plus possible en France » sur le sujet. 
>Découvrez notre critique de "Soumission"

Des prix tournés vers l’islam 

L'islam est à la une des journaux, au coeurs des conversations, et tout aussi présent en libraires, se retrouvant en tête des ventes. Mais le sujet n’est pas qu’apprécié seulement par la population, il est également récompensé par les grands prix de la littérature. Les bandeaux des prix littéraires se mettent à recouvrir ces nouveaux livres qui abordent un sujet complexe, en tentant de l'expliquer, de l’analyser. Cette année, près des trois quarts des prix littéraires sont décernés à des écrivains qui mettent en avant le rapport avec l’islam ou la mondialisation. Le Grand Prix du roman de l’Académie Française récompense ainsi « 2084 » (Gallimard) de Boualem Sansal. Un livre aux accents orwelliens qui livre un message d’alerte sur le danger présenté  par le fondamentalisme religieux, en particulier l’islamisme radical. L’Académie Française reconnait, par le biais de ce prix, le pouvoir qu’ont aujourd’hui les mots, et prend des risques en récompensant un livre qui peut parfois déranger. Lauréat ex-aequo de ce prix, Hédi Kaddour aborde lui aussi un thème complexe dans son livre « Les Prépondérants » (Gallimard), qui évoque les années 1920 au Maroc et l’arrivée des Américains. 
>Découvrez nos critiques de "2084" et des "Prépondérants"

Le Goncourt quant à lui est attribué à Mathias Enard pour son livre « Boussole », chez Actes Sud. Un récit qui entraine son lecteur en Orient, et notamment vers les sites historiques d’Alep et de Palmyre. Un livre qui résonne donc tristement avec les évènement de l’année. D’ailleurs, la sélection du Goncourt avait été annoncée depuis le musée du Bardo, à Tunis. Tout un symbole alors que le musée avait été frappé par un attentat qui avait fait 22 morts en mars. Une initiative du Goncourt prévoit d’ailleurs une invitation du lauréat à Tunis en 2016, et la traduction de son ouvrage en langue arabe. 
>Découvrez notre article sur "Boussole"

Le passé s’inscrit dans le présent

Si Orwell est remis au goût du jour avec Boualem Sansal, d’autres écrivains refont surface suite aux évènements qui touchent le pays. Les livres deviennent un refuge de pensées. En janvier, après les attentats, Voltaire est la star de la rentrée avec son « Traité sur la tolérance », où le philosophe mène la charge contre l'"hydre" du fanatisme religieux. Après les attaques contre le Bataclan, avec Paris pris pour cible, c’est dans les écrits d’Ernest Hemingway que les parisiens se retrouvent. Les lecteurs s’arrachent « Paris est une fête » (Gallimard) dans lequel l’écrivain américain décrit l’art de vivre parisien. Une ode à la joie qui est la bienvenue après les atrocités du 13 novembre. 

 

Migrants et mondialisation

Dans un autre registre, le livre de Pascal Manoukian, « Les Echoués » (Don Quichotte), aborde un autre sujet brûlant : les migrants. L’auteur utilise ses mots comme arme contre l’indifférence, pour traiter courageusement de ce sujet qui dérange. Il retrace dans son livre le parcours de trois "échoués" du monde qui vont tenter de survivre dans la jungle de leur pays d’accostage, révélant ainsi leur humanité de manière très puissante. 

Ségolène Vinson, rescapée des attentats du 7 janvier, aborde un tout autre sujet dans son livre « Courir après les ombres » (Plon) : la mondialisation. L’écrivaine raconte les ravages de la mondialisation à travers l'histoire de Paul Deville, négociant pour la Shanghai Petroleum, une multinationale chinoise. 
>Découvrez notre interview de Pascal Manoukian

L’année littéraire de 2015 a donc été fortement marquée par les évènements en lien avec l’actualité. L’écrivain, et la littérature, redeviennent des acteurs majeurs du monde : l’écrivain à travers ses mots engagés, les prix littéraires par le biais de leur sélection et de leur choix de récompense. L’islam, la mondialisation et les migrants sont au coeur des préoccupations, tout en étant largement représentés dans la littérature française cette année. Et l'écrivain de devenir le témoin "voyant" de cette réalité qui lui parle et qui lui intime un engagement personnel au-delà du message littéraire.