Portrait

Jacqueline de Romilly: Des découvertes de la Grèce aux révélations de la mémoire

Qui était Jacqueline de Romilly? De ses brillantes études à ses engagements pour la survie de la langue grecque, de son métier de Professeure au Collège de France à ses derniers livres de souvenirs, cette femme marque dans le paysage de la littérature un modèle d'engagement et pose un doux et lumineux regard sur la poésie du monde.

Jacqueline de Romilly est née le 26 mars 1913 à Chartres. Son père Maxime David fut professeur et mourra au front au début de la Première Guerre Mondiale. Sa mère, Jeanne née Malvoisin ne cessa de la soutenir et de lui permettre de ne jamais souffrir de l'absence de son père mort si jeune. Brillantissime, soutenue par cette mère remarquable et dévouée, elle passa les concours, poussée par l’excellence et le travail.

A 17 ans, Jacqueline de Romilly fut la première jeune fille à récolter deux premiers prix au concours général. A partir de 1973, elle fut Professeur au collège de France, titulaire de la chaire, « La Grèce et la formation de la pensée morale et politique ». Membre de l’Institut, elle reçut également la citoyenneté grecque en hommage à son combat en faveur de l’enseignement de cette langue.  Emerveillée par le miracle grec, cet Athènes du Vè siècle où, confiait-t-elle à Anne Diaktine dans Libération du 4 Août 2004, « tout est sorti brusquement ».

Souvent taxée d’élitisme, elle répondait, s’en défendant : « Elitiste, non. Ce que je souhaite, au contraire, c’est que tous les élèves qui le désirent puissent étudier le grec ancien. » Ainsi, elle conseillait aux gens d’aller voir aussi bien Troie que de lire les textes d’Harry Potter.

Sa mère Jeanne David fut amie de Louis Jouvet et de Jean Giraudoux. C’est encore sa mère qui lui donne en 1933 les œuvres complètes de Thucydide qui ne la quitteront jamais. Dans ce même entretien accordé à Anne Diaktine, elle souligne : « Vous savez pourquoi vous vener me voir ? Parce que je suis un drapeau. L’emblème du grec ancien ».

 

L'amour de la langue française

Jacqueline de Romilly aimait à faire partager son goût pour les mots. Son éditeur, Bernard de Fallois souligne à ce propos " qu'elle insiste plus sur les beautés de cette langue que sur les dangers qui la menacent. (...) En somme, elle nous fait vivre le roman des mots". La langue française devient ainsi paysage. C'est encore un autre paysage qu'elle aimait tant regarder lorsqu'elle était dans sa maison de Provence. Dans sa série de nouvelles réunies dans le recueil Sous des dehors si calmes, elle place une femme qui dit je et qui n'est pas elle mais "une certaine Anne, qui évoque des moments passés dans sa maison, dans son jardin, dans le silence et la paix. C'est dans ce silence disait-elle qu'"on s'ouvre tout naturellement aux méandres et aux surprises de la vie intérieure."

 

Etincelles des souvenirs

La Grèce bien entendu a été le combat de son existence mais à la fin de sa vie, ayant presque perdu la vue, elle nous a livré des textes merveilleux. Des récits et des romans, des souvenirs comme autant de cadeaux et d’hommages faits au monde. Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur en Mai 2006, elle disait avoir chez elle « un désir d’écrire très ancien, obscur. » Un désir qui lui vient très certainement de sa mère, qui fut écrivain et femme de lettres reconnue. Dans Les Roses de la Solitude, qui sont de courts récits, nouvelles brodées autour de l’idée du souvenir, elle confiait « Ecrire ces souvenirs, c’est aussi les revivre ». Dans Les Révélations de la mémoire, elle prend à part le lecteur et lui révèle une découverte: Des moments de sa vie reparus en surprise dans ses souvenirs ont engendré chez elle un éblouissement dont elle questionne le sens. Elle souligne ainsi: "On peut imaginer que ce que nous vivons s'inscrit tout ensemble dans le cadre mouvant du présent et évolution rapide, plus ou moins voués à l'oubli, mais aussi dans un domaine autre, auquel nous n'avons pas normalement accès, mais où se conservent, de façon durable, ces impressions que nous pensions fugitives, parce que nous n'avions qu'une vue partielle des choses. On pourrait appeler cet aspect durable et normalement inconnu de nous, tout simplement l'Eternité" .

 

De la femme de lettres à la poétesse de l'insaisissable

Certes on se souviendra de Jacqueline de Romilly comme de cette femme de lettres exceptionnelle qui mena un combat pour la survie de la langue et du sens mais il faudra encore retenir d'elle à la fin de sa vie, alors affaiblie , son incomparable capacité à rendre par l'écriture la beauté du monde. Dans ce merveilleux livre, Sur les chemins de Sainte Victoire, qu'elle apercevait des fenêtres de sa maison en Provence, elle note avec une infinie délicatesse où perle l'émotion à chaque mot: "Je sais bien que, lorsque je penserai plus tard à l'ocre de la terre, je ne reverrai pas ces contrastes luxueux entre les rouges sombres et les bruns clairs, entre la discrétion de ces sols couleur de vieux bois et l'éclat arrogant des terres à bauxite. Non: cela sera perdu. Mais j'essaie. Et sans doute cette conscience de la beauté qui va d'un moment à l'autre m'échapper est-elle ce qui aujourd'hui m'incite plus que tout à écrire".

En savoir plus

Jacqueline de Romilly, Jeanne, Bernard de Fallois

Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte Victoire, Bernard de Fallois

Jacqueline de Romilly, Les Révélations de la Mémoire, Bernard de Fallois

Jacqueline de Romilly, Les Roses de la solitude, Bernard de Fallois

Jacqueline de Romilly, Dans le Jardin des Mots, Bernard de Fallois

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