Qui était Henry James? Ayant passé sa vie de part et d'autre de l'Atlantique, son oeuvre est nourrie par ses voyages. L'ambiguïté, les mystères et les secrets qui se trouvent au coeur de ses textes se développent encore autour du caractère ambivalent de ses rapports avec le Nouveau Monde, l'Europe et particulièrement la France.
Issu d'une famille irlandaise aisée et profondément cultivée, Henry James naît à New York en 1843.Très rapidement, il va voyager et découvrir l'Europe. Sa jeunesse est un constant dialogue entre l'Europe et les Etats Unis. C'est après la fin de la guerre de sécession et des études de droit à l'Université de Harvard qu'il part en 1869 pendant un an sillonner l'Europe. L'Angleterre d'abord où il rencontre George Eliot puis la France, la Suisse et l'Italie qu'il aimera tant pour l'effervescence des arts. Mais, "la seule manière de vivre en Amérique est de tourner le dos à l'Europe". Lorsqu'il rentre chez lui, il se trouve mélancolique au début des années 1870. Ainsi, il repart dès 1872, envoyé par le journal américain The Nation à la découverte des villes d'Europe. Il reste alors en Italie et mène à Rome grand train. Puis, après la mort de sa mère en 1881, il décide de repartir en Europe, prenant ses quartiers à Londres qui deviendra son lieu d'élection. Un an avant sa mort en 1915, par solidarité pour l'Angleterre en guerre, il va jusqu'à demander la nationalité britannique.
Les nombreux allers et venues de James entre l'Amérique et l'Europe vont modifier le personnage et l'écrivain. L'Europe va lui permettre de prendre de la distance par rapport aux codes puritains de l'Amérique et de s'ouvrir davantage à la modernité. Toute son oeuvre sera ainsi nourrie de l'analyse précise des décalages et des différences de perception entre l'ancien et le nouveau monde. Dans Les Ambassadeurs, roman de Paris comme le qualifie Jean Pavans, James montre à quel point la France compte pour lui et pour son oeuvre.
James sillonne donc l'Europe. Envoyé par les journaux, il est critique littéraire et reporter. En ceci, il observe, croque à l'infini les situations, les anecdotes afin d'approcher toujours au plus près le sensible. Le voyageur est un des personnages récurrents de ses textes. Henry James possède cette formidable faculté de se tenir à distance et, son activité de critique en est certainement une des précieuses causes. Du reste, il considérait ses nombreuses chroniques comme "l'éducation même de sa vie imaginative". La vie et la littérature chez James sont intrinsèquement liées.
L'oeuvre de James tend au fil de ses textes à entrer plus en profondeur dans les méandres de la psychologie humaine. L'ambiguïté et le côté indécidable des situations veillent à souligner la complexité de l'être. On trouve chez James une extrême perspicacité psychologique qui se développe à travers la précision des détails et le flouté des attitudes. L'auteur pose une multitude de regards sur le monde qui, chaque fois ouvrent de nouvelles possibilités. Ainsi, les personnages de James sont de beaux caractères qui s'interrogent sur la question de l'existence. Strether dans Les Ambassadeurs dit ne rien savoir mais sentir les choses. Souvent encore James souligne l'évolution des personnages dans ses textes et le phénomène troublant de basculement qui les anime. Le Strether du début, compassé, un peu innocent n'est plus du tout le même à la fin du roman. De même Chad qui apparaît rude, agité et sauvage dans les premiers temps prend des attitudes beaucoup plus "polissées" par la suite.
Chaque texte de James cache, dissimule de nombreux secrets jusque dans les suggestions des titres mêmes. Pensez au texte L'image dans le tapis. De la même manière, les personnages n'arrivent jamais directement. Le lecteur doit avoir la patience de les attendre. Pensons à Chad dans Les Ambassadeurs qui est absent pendant tout le début du livre. Strether découvre le lieu dans lequel il habite sans lui. Le sens des textes de James est alors déplacé. Le lecteur est appelé par cette écriture énigmatique, tout en sous-entendus et en non-dits. L'image de pensée est tissée dans la profondeur des mots. Dans L' Image dans le tapis, James montre que la forme et la cohérence jaillit du désordre apparent d'un paysage complexe. Le secret est encore au coeur des Papiers d'Aspern. A aucun moment ces fameux papiers n'interviennent concrètement. On ne les voit pas même brûler. Car ils sont note Jean Pavans "à la fois secrets et sacrés, ils ont en effet la puissance vitale et meurtrière d'un tabou, sur lequel se fondent les rapports des trois personnages, avec toute la richesse instantanée de leurs arrière-pensées."
James partage avec la littérature française un mélange d'admiration et d'agacement. Simultanément à la nouvelle traduction des Ambassadeurs, est paru récemment au Seuil le recueil de textes critiques La Situation littéraire actuelle en France, traduit également par Jean Pavans. Il a lu les grands auteurs avec beaucoup d'intérêt et ne manque pas de placer leurs textes dans ses romans ou d'en faire des analyses de même que dans Du roman considéré comme un des beaux arts où il convoque là encore tour à tour Maupassant, Flaubert, Balzac et Zola. James s'est encore passionné pour George Sand dont il aime le "côté viril" de cet "être sororal en littérature". Il aime son appêtit féroce de la vie qui correspondrait selon Diane de Margerie à sa propre curiosité masculine et mentale: "Avoir de la vie une connaissance de première main est, peut-on dire sommairement, le grand exploit accompli par Madame Sand en tant que femme. Elle était plus masculine que n'importe quel homme qu'elle aurait pu épouser" Virils étaient son tempérament et son caractère." Il voue à Balzac une grande admiration sans toutefois l'idolâtrer, ne craignant pas de faire dire à un de ses personnages dans Les Ambassadeurs que Louis Lambert est "un mauvais roman." "Si il condamnait l'exaltation flaubertienne de l'Art" note encore Gérard Georges Lemaire, "il admirait la notion d'atelier présente chez Flaubert et louait Maupassant parce qu'il incarnait d'une part le refus de toute interférence de la morale bourgeoise dans l'art de la fiction et de l'autre, la volonté de représenter la totalité de l'existence sans sentimentalisme et sans préjugé."Dans la préface à La Situation Littéraire Actuelle en France, Jean Pavans rappelle les mots peu aimables d'André Gide à propos de James: "James, par lui-même, n'est pas intéressant; il est intelligent seulement; il n'y a pas en lui de mystère, de secret; pas de figure in the carpet". Ne perçevrait-on pas là une pointe de jalousie dans ces propos de Gide car en lisant cette nouvelle traduction des Ambassadeurs, on ne peut que louer cette constante sophistication à traiter le détail psychologique et à saisir les infinies et mystérieuses contradictions de l'instant.
Henry James, Les Ambassadeurs, Le Bruit du Temps, 2010 (Trad, Jean Pavans)
Henry James, Les Papiers d'Aspern,Nouvelles Italiennes, La Différence, 2010. (Trad, Jean Pavans)
Henry James, L'Image dans le Tapis, Pierre Horay, 1956. Repris dans Nouvelles Complètes (Trad Jean Pavans)
Henry James, La situation littéraire actuelle en France, Seuil, 2010. (Trad, Jean Pavans)
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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