Autobiographie

« La petite dernière» de Fatima Daas, quête d’identité entre religion et homosexualité

« Je m’appelle Fatima Daas »L’héroïne de  La petite dernière (Notabilia)  ce roman autobiographique le répète à chaque début de chapitre. Comme une antienne. Lointain écho de la poésie arabo-persane, et des sourates du Coran. Volontiers litaniques, pédagogie oblige. Le vertige du texte est au prix de cette concession au formalisme ancien. Fatima Daas se cherche et se trouve. Dans un vertige. 

Portrait de Fatima Daas © Olivier Roller Portrait de Fatima Daas © Olivier Roller

Elle écrit et répète, comme une prière remplit en partie la fonction de berceuse qui rassure :

« Je m’appelle Fatima Daas
Je porte le nom d’un personnage symbolique en islam.
Je porte un nom musulman.
Alors je me dois d’être une bonne musulmane 
(…)
Je porte un nom qu’il ne faut pas salir, un nom que je dois honorer ».

Les sourates les plus poétiques du texte sacré, Fatima se les répète aussi souvent. Comme « les plus beaux noms » du prophète. Si Fatima réaffirme sans cesse son état civil, en évoque - en invoque - le substrat religieux à satiété, c’est pour mieux déjouer les doutes qui jalonne sa quête d’identité

Le douloureux paradoxe entre tradition et liberté

Lesbienne et musulmane. Française d’origine algérienne. Fatima est prise entre deux feux. Entre deux mondes. Entre respect de la tradition, et l’ appartenance familiale qui va de pair, et désir de liberté. Comment l’auteure et son double de papier se sortent-elles du douloureux paradoxe ? Par la colère et par le désir. Par l’écriture de ce brillant premier roman également.

Tanguy Viel a aidé la primo-romancière à forger son style dans des ateliers d’écriture au lycée. À sortir de la catégorie « adulte hyperinadaptée ». Toujours « à côté ». Ou tout au moins à transcender cet état de fait, ce sentiment. L’auteur de Paris-Brest a eu du nez. Tout comme Brigitte Bouchard, éditrice de l’excellente collection littéraire Notabilia. Virginie Despentes a aimé aussi. Elle l’écrit sur le bandeau de couverture.

Un pied de nez subtil à la tradition

Fatima apprend à la dure. Les conseils des Imam – mettre la poussière sous le tapis - lui sont de piètre utilité. Les non-dits, les a priori de la famille un poids supplémentaire. Mais elle ne laisse pas la fatalité la mener par le bout du nez. Bien que sa psychologue ne semble guère lui être d’une grande aide non plus. Aussi la répétition n’est-elle qu’apparente. Pied de nez subtil au formalisme de la tradition poético-religieuse.

Car Fatima se rebelle à l’école mais JAMAIS ni contre sa famille (« un ensemble logique, avec le même système de pensée d’une famille à l’autre, les mêmes perspectives, les mêmes projets, les mêmes peurs et les mêmes envies »). Ni contre la religion. Peut-être en cela est-elle moderne. Ou maligne. Elle lutte contre le destin, le « mektoub » avec habileté. Consciente de l’inutilité de s’opposer à un mur de pierre. Scandaleuse mais pas trop.

Fatima Daas, scandaleuse mais pas trop

Fatima Daas n’appartient pas à la génération punk. Celle des coups de gueules. Des attaques frontales. Des jugements à l’emporte-pièce et des prises de position débridées, le matin mal réveillé. Des prises de risque qui se paient un peu trop cher.

Au fil de son récit initiatique, la jeune rebelle progresse pourtant dans son auto-analyse. À sa manière, discrète. Marguerite Duras, Annie Ernaux, l’affection de sa maman -- par-delà les indécrottables préjugés - lui seront des guides plus personnels, plus certains, pour tracer son chemin.

Le style de Fatima Daas, sobre, élégant, fluide, participe de cette recherche, de cette faculté d’allier fardeau et bénédiction, substance d’un seul et même héritage. Somme toute classique.

Petite dernière, un brillant roman d’initiation

Fatima cherche et trouve des issues. À défaut de suivre une voie toute tracée. Elle connaît par cœur le sens du mot épreuve. Garde son look garçonne qui fait froncer les sourcils du clan mais trouve petit à petit une forme d’apaisement. Elle s’offre le petit luxe de la lucidité. Vers les vingt-neuf ans, il est temps, juge sa maman. « La Reine » règne en sa cuisine.

Fatima écoute, et apprend, de ses amies de corps et de cœur. Les dures lois de l’amour, dont le poète a le secret : « Il n’y a pas sur terre quelqu’un de plus malheureux que l’amoureux, même s’il trouve doux le goût de la passion. Tu le vois pleurer en toute situation, par crainte d’être séparé de ses biens-aimés ou par le désir de les rencontrer. Loin de lui, il pleure parce qu’ils lui manquent. Proches de lui, il pleure par crainte de la séparation ».  Ibn Qayyim al-Jawiyya

Coming-out à la manière soft

Fatima aime Nina. L’histoire n’est pas simple. « Elle [lui] laissera des souvenirs un peu partout à Clichy-sous-Bois, à Paris et ailleurs ». À force d’observer, de lire, d’écrire, d’écouter, sa maman, ses sœurs, son père Ahmed Daas - brutal dans ses mots, violent dans son attitude, mais aimant paraît-il, forcément avec « la petite dernière » - Fatima découvre le pot aux roses. Le pot au rose.

Pourquoi sent-elle si différent. La vérité est rarement glorieuse. Elle résonne comme une claque sans surprendre pour autant. Classique elle aussi. La tradition a ses raisons…

Au gré des expériences, Fatima trouve doucement sa voie. Celle de l’écriture. Et de la liberté d’aimer en paix. Au moins intérieurement, car dehors c’est une autre histoire.

Les dernières seront les premières

Sa place est celle de la petite dernière. Mais là, elle joue un premier rôle, à : montrer une autre voie aux filles qui se sentent proches d’ elle. Car Fatima Daas l’affirme, elle est « féministe intersectionnelle ». Alain si tu nous entends !

>Fatima Daas, La petite dernière, Notabilia, 192 pages, 16 euros.

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