Le thème de la mère ouvre des champs inépuisables pour la création littéraire. Etudions les écrivains qui parlent de leurs mères ainsi que les relations entretenues entre la mère et l'enfant. De Madame de Sévigné qui tenait une correspondance avec sa fille Madame de Grignan chaque jour, au joli texte de Gérard de Cortanze « Miss Monde », en passant par les manques terribles des narrateurs de Patrick Modiano, les cruautés de Folcoche chez Hervé Bazin, célébrons la mère dans tous ses états littéraires.
Le visage de la mère est d'abord source de vie. Visage de l'amour sacré, de la protection, la mère est la référence première, le premier idéal pour l'enfant. Pour différents auteurs, la mère est une grande source d'inspiration. La mère est à la fois source de création et force étouffante et destructrice. Des métaphores de fertilité et de stérilité, de régénération et d'avortement pleuvent dans la littérature.
La mère possède en elle un instinct plus ou moins développé d'attachement à celui ou celle qu'elle a mis au monde. A ce sujet, on peut rappeler le très beau long-métrage librement adapté du texte de Nancy Huston, "L'Empreinte de l'Ange". Elsa Valentin remarque une petite fille qui la bouleverse. Très rapidement, elle sait que c'est sa propre fille. Elle est obsédée par ce sentiment inexplicable qui relève de l'instinct de la mère.
Madame de Sévigné éprouvait un amour immense pour sa fille Madame de Grignan. Pas un jour ne passait sans qu'elle lui écrive. Outre la force des rapports entre la mère et la fille, ces correspondances forment des documents inestimables sur la vie de l'époque. Aujourd'hui, on trouvera les lignes qui suivent un peu trop épanchées. Pourtant, elles sont marquées de l'adoration d'une mère pour sa fille: "J'ai peur que le vent ne vous emporte sur votre terrasse si je croyois qu'il vous pût apporter ici par tourbillon, je tiendrois toujours mes fenêtres ouvertes et je vous recevrois, Dieu sait!"
"Le Livre de Ma Mère" d'Albert Cohen fait le récit de la vie de la mère de l'écrivain disparue. Mère amour, elle ne sait que faire pour satisfaire les désirs de son fils et de son époux. Cet ouvrage est un hommage autobiographique d'une force inouïe. Il fait l'éloge de la mère disparue "sainte sentinelle à jamais perdue, guetteuse d'amour toujours à l'affût". Le narrateur du récit s'adresse encore à la Mère directement en soulignant: « Maman de mon enfance, auprès de qui je me sentais au chaud », « Maman, qui fus vivante et qui tant m’encourageas », « Maman, de là-haut, vois-tu ton petit garçon... ? ». Enfin, lettre ouverte aux fils des mères encore en vie, le texte de Cohen rappelle encore les différents temps du dévouement maternel et renvoie souvent au modèle religieux du Je vous salue Marie, même si Cohen n'était pas chrétien mais juif.
La figure de la mère est souvent prise comme donnée et les tensions qu'elle incarne méritent une attention particulière. Dans "Trois Jours chez ma mère", (Prix Goncourt 2005°, François Weyergans soulignait: "Je me disais qu'on écrit que pour sa mère, que l'écriture et la mère ont partie liée". Si l'on suit ce que nous dit Weyergans, on pense évidemment à Marcel Proust. Les relations que ce dernier partageaient avec sa mère étaient absolument fusionnelles et intellectuellement très affirmées. On se souvient les débuts de la "Recherche du Temps Perdu" dans "Du Côté de chez Swann" où le jeune Marcel cherche le sommeil et attend avec un désir irrésistible le baiser de sa mère. "Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m'embrasser quand je serais dans mon lit. Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que le moment où je l'entendais monter puis où passait dans le couloir à double porte le bruit léger de sa robe de jardin en mousseline bleue, à laquelle pendaient de petits cordons de paille tressée, était pour moi, un moment douloureux.".Ce baiser ne dure pas: en celà il est douloureux. Mais, ce manque est moteur et principe du processus de l'écriture.
Au cours d'un interview pour le magazine Le Matricule des Anges dans le numéro de Février Avril 1994,Christian Bobin confiait à Dominique Sampiero ceci à propos de la mère:
"Je ne cite jamais son prénom parce qu'elle-même ne l'aime pas. Mais plus profondément, quand je parle des mères, de la mère, comme si c'était une entité qui traverse toutes les cultures, je pense à un point commun, un point divin où la société renonce, s'arrête pour un temps, et il y a une personne qui prend le relais. Et qui a des trouvailles de coeur et d'intelligence inépuisables. Toutes sont comme ça. Quand je parle de la mère qui traverse les phrases comme une souveraine, avec une longue traînée d'encre et de lumière, quand je fais des petites enluminures autour de la mère, c'est aussi la mienne. Mais pas uniquement. Parce que la mienne, j'ai peu de souvenirs. Elle est vivante, elle est toujours là, elle habite pas très loin d'ici d'ailleurs, mes parents habitent l'immeuble à côté, mais j'ai peu de souvenirs. Je ne sais pas ce qu'elle a fait avec moi. Je pense qu'elle a dû être insensée. Pour m'amener des dizaines d'années après, à parler des mères comme ça, elle a dû être complètement démente. Démente d'amour. M'envelopper, me baigner dans une affection, un attachement insensés. Il s'agit donc d'elle. Mais plus simplement aussi de jeunes femmes que je regarde avec leurs enfants. Le passé est ameuté, ressuscité par le présent. Mais c'est quand même du présent avant tout dont je parle. Même quand je me tourne en arrière, c'est le présent que je vois."
La dimension poétique des textes s'accompagne souvent de vraies convictions en matière esthétique. Ainsi, les couvertures des ouvrages sont tirées des clichés pris par le photographe Edouard Boubat. Les images accompagnent les textes. Elles donnent aux figures de la mère et de l'enfant toute leur profondeur, leur émotion et leur symbole.
Depuis les débuts de son oeuvre, Gérad de Cortanze s'est d'abord tourné vers ses origines paternelles puis maternelles. Pour le jeune garçon qui va à Noël au cinéma avec ses parents, sa mère est Miss Monde. On retrouve dans ce texte émouvant et plein d'humour l'adoration d'un fils pour sa mère. Sa mère est en effet la plus belle du monde. Elle ne ressemble pas à Miss Monde, elle est Miss Monde: "En 1955, j'avais sept ans. Comme chaque année, à Noël, j'allais avec mes parents au cinéma Gaumont dans le IXe arrondissement. Fauteuils rouges. Ouvreuses se promenant dans les allées, comme des soubrettes en tablier blanc à dentelles, et portant sur leur ventre des paniers en osier remplis de friandises. Ce soir-là, aux Actualités, on nous montra l'élection de Miss Monde. Applaudissements, remarques salaces, cris d'approbation. Mais pour moi, il n'y avait aucun doute: la grande femme brune en bikini de soie noir, qui se déhanchait sur une plage devant des palmiers oscillant au vent, c'était ma mère. "
L'absence de mère est alors une profonde souffrance, un manque violent impossible à combler.
Le souvenir le plus pénible de Michel des Castillo est la séparation avec sa mère. Ayant vécu l'abandon, bien des années plus tard, il n'en veut pas à sa mère, mais il ne lui pardonne pas: "Je ne lui en veux pas parce que je comprends mieux maintenant. Elle a eu une vie très difficile. Elle n'était pas faite pour être mère. Elle a vécu à une époque où la condition de la femme n'était pas celle d'aujourd'hui. (...) Elle avait envie d'être libre. Je l'encombrais parce qu'elle n'arrivait pas à assurer sa liberté et sa féminité avec moi".
De la même manière, Modiano dans "Un Pedigree" raconte son enfance délaissée par des parents inexistants. Un père qui lui donne des rendez-vous dans des halls d'hôtels et une mère actrice. Dans le dernier texte de Modiano "L'Horizon", la mère du narrateur Bosmans apparaît au coin d'une rue. C'est la femme aux cheveux auparavant rouges, désormais blancs et à la canne "De loin il la reconnut, bien qu'il ne l'eût pas rencontrée depuis trente ans : celle qui, selon son état civil, était sa mère." Lorsque les regards du fils et de la mère se croisent, le récit devient de plus en plus angoissant. La mère est là, menaçante. Son fils la regarde dans les yeux "pétrifié , comme s'il faisait face à une Gorgone (...) Elle lui lança un flot d'injures (...) Elle leva sa canne et tenta de le frapper à la tête. (...) D'un geste impérieux, elle tendit sa main grande ouverte. Mais Bosmans n'avait pas d'argent sur lui".
En plus de haïr son fils, la mère de Bosmans le poursuit en lui demandant de l'argent. Il y a alors dans la figure de la mère un aspect diabolique, vicieux et pervers. Le fantôme de la mère hante le personnage en lutte avec ses monstrueux souvenirs.
Heureusement, il n'en est pas toujours ainsi. Et si parfois certaines femmes refusent d'être mères, la plupart d'entre elles jouissent de donner la vie et de voir grandir l'enfant qu'elles ont mis au monde.
Dans une édition de poche tout à fait raisonnable, on trouve encore le recueil de lettres adressées par de célèbres écrivains à leurs mères intitulé "Ma chère Maman". William Faulkner, Marcel Proust, Charles Baudelaire, Antoine de Saint Exupéry, Gustave Flaubert,et d'autres encore s'adressent à leur mère chérie. Fort jolie attention pour toutes les mamans dont on célébrera la fête dimanche prochain. Et vous aussi pourquoi pas, prenez vos plumes et n'hésitez pas à nous confier vos écrits sur Viabooks!
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